Par Imad Wakidi, cofondateur de Holivia, solution d’accompagnement personnalisée conçue pour améliorer la santé mentale des collaborateurs.
Si la santé mentale au travail est de moins en moins un tabou, elle reste un sujet délicat pour bon nombre d’entreprises. On a gagné le droit d’être vulnérable, mais on est alors étiqueté « maillon faible », parce que, culturellement, les choses n’ont pas tellement changé. Or il faut du courage pour montrer ses failles ; de la force pour avouer ses faiblesses.
Relecture de La Fontaine
On connaît tous la fable du chêne et du roseau, où l’arbre immense, sûr de sa force, finit terrassé par la tempête, alors que le faible roseau courbe et plie sous le vent, puis se relève. C’est une bonne métaphore du problème de la santé mentale en entreprise : car les employés qui finissent en burn out ont bien souvent lutté contre le vent de leur vulnérabilité, s’épuisant à donner le change, à paraître forts... jusqu’à la rupture. Ceux qui ont accepté leur fragilité subissent certes les effets du vent, de la tempête passagère, mais ils se redressent rapidement.
Il faut parfois enfoncer des portes ouvertes : il n’est pas normal de souffrir au travail. Ou plutôt : il n’est pas normal d’accepter de souffrir au travail. Il n’y a pas si longtemps encore, il était difficilement concevable d’exprimer à ses collègues son mal-être, ses craintes, ses doutes, moins encore à ses responsables. Cela ne se faisait pas. Et puis, on n’allait pas au travail pour être heureux, mais pour gagner sa vie, alors... Cette conception utilitaro-doloriste de la carrière professionnelle peut sembler caricaturale, mais elle a la vie dure. Souffrir au travail est encore considéré par beaucoup comme une situation acceptable, presque banale au fond.
Ce que tu ne tais pas te rend plus fort
C’est ce que tendent à prouver les derniers chiffres de l’Assurance maladie, qui témoignent d’un mal-être croissant des travailleurs. Bien sûr, il faut tenir compte du contexte et des nouvelles modalités d’organisation du travail, mais la cause de cette souffrance psychique est plus profonde et demeure ancrée dans notre culture : celle de la performance, de la productivité, du refus de l’échec. Une culture du travail qui regarde encore de travers la fragilité et valorise les « durs au mal ». Or il n’y a pas de dur au mal : que des maux qui durent. On ne peut pas tisser de relations sociales saines, solides et sincères si l’on n’a pas d’abord de la compassion pour soi-même, suffisamment, j’entends, pour se montrer vulnérable.
Contrairement à l’idée reçue, la vulnérabilité n’est pas faiblesse, loin de là : parce qu’elle consiste à accepter ses failles, à partager ses émotions et ses sentiments comme ses idées et ses opinions, elle rapproche et crée de la confiance, favorisant l’implication et le plaisir. Assumer ses imperfections, exposer ses doutes, demander de l’aide, c’est en effet donner à autrui la possibilité de vous connaître vraiment, de vous voir tel(le) que vous êtes, au-delà de l’arsenal ordinaire déployé pour masquer la vulnérabilité. Choisir de s’exposer, c’est prendre le parti de la confiance a priori, c’est faire le premier pas : un courage contagieux, qui se nourrit des audaces qu’il suscite.
Grands modèles, grands changements
Heureusement, les choses et les mentalités évoluent, notamment sous l’impulsion de quelques grands sportifs, dont on ne peut pas dire qu’ils soient faibles ou dépourvus de ce fameux « mental d’acier » qui ferait défaut au commun des mortels. Teddy Riner, dont la vulnérabilité ne saute pas aux yeux, en particulier sur le tatami, assume depuis longtemps d’être suivi par une psychologue et considère ce soutien comme absolument nécessaire. Plus récemment, les témoignages des championnes Simone Biles et Naomi Osaka ont permis de libérer la parole sur la santé mentale, et de libérer ces dernières de la pression liée à l’image d’« invulnérabilité » qu’elles avaient à porter.
Il serait souhaitable qu’un PDG du CAC 40 ose à son tour exposer ses faiblesses, autorisant ainsi son organisation à le faire. Découvrir l’humain derrière l’image de celui ou de celle censé incarner l’assurance, la détermination et la performance à tout épreuve, serait puissamment inspirant. Alors... à quand une vraie révolution culturelle ? Quand patrons et responsables comprendront-ils que la vulnérabilité suscite l’empathie et par là-même des relations humaines plus authentiques ? Quand arrêtera-t-on de croire que ce que nous sommes ne suffit pas ? Il faudrait l’écrire au fronton de toutes les entreprises : Vous avez le droit de ne pas aller bien. Un droit fondamental, longtemps dénié ou dédaigné, qui libère le collaborateur de la peur d’être jugé, de la honte et du silence. De la plus grande part de son mal, en somme.