I - Macro : Retour à l’ancienne normalité
1. Une année de pics et de creux avec un retour à l’« ancienne normalité »
Les 12 prochains mois devraient connaître des sommets en matière d'inflation mondiale, de resserrement des politiques des banques centrales, de rendements des obligations d'État core et de volatilité des marchés, ainsi que des creux en termes de croissance du PIB, de croissance des bénéfices des entreprises et de valorisation des actions mondiales. Cependant, nous ne nous attendons pas à revenir à la « nouvelle normalité » telle que celle connue post-crise financière mondiale en 2008. Nous sommes convaincus que des changements structurels seront à l’origine d’une inflation élevée persistante, et donc de taux d'intérêt et d’un coût du capital plus élevés et de valorisations des actifs plus faibles.
2. Un ajustement vers des taux plus élevés qui continue de perturber les marchés
Lorsque les taux augmentent et que les investisseurs exigent des primes de risque plus élevées, le coût du capital augmente. Cela se produit à un moment donné dans la plupart des cycles, mais nous pensons que l'ajustement actuel est structurel et qu'il s'avère exceptionnellement important et rapide, ce qui augmente le risque qu'il soit perturbateur. De nombreux emprunteurs hypothécaires pourraient connaître un choc s’ils se refinancent aux taux de 2023, tout comme de nombreuses structures capitalistiques d'entreprises, conçues pour un environnement de taux bas, qui devraient subir un ajustement aussi brutal. De plus, comme la dette publique a fortement augmenté pendant la pandémie et que les "bond vigilantes" sont de nouveau aux aguets, certains États souverains pourraient être contraints de se remettre en question comme l'a récemment fait le Royaume-Uni. Nous pensons que les investisseurs devraient faire attention à ces points faibles qui pourraient provoquer des perturbations plus larges.
3. Une démondialisation croissante
Les chaînes d'approvisionnement manufacturières, les marchés des matières premières, les systèmes financiers, les régimes réglementaires, les cadres de politique fiscale et monétaire... sont tous devenus plus intégrés entre 1980 et 2008, et plus fragmentés depuis. Les raisons à cela sont diverses et variées, et englobent notamment la réaction politique virulente aux conséquences inégales de la mondialisation, les chocs provoqués par la crise financière mondiale et la pandémie, le déclin de l'internationalisme américain et les tensions croissantes liées au réalignement des blocs géopolitiques.
Nous anticipons d'autres événements importants en 2023, qui devrait être placée sous le signe de forts impératifs politiques, de sécurité et de gestion des risques.
4. Un redoublement des efforts pour clarifier le terme « ESG »
La démarche ESG est devenue de plus en plus politisée en 2022, notamment avec la crise en Ukraine qui a provoqué une forte surperformance des actifs liés aux combustibles fossiles et alimenté la crainte que les investisseurs ESG privaient les fournisseurs d'énergie nationaux de capitaux. Pour contrer cette politisation, nous pensons qu'il est nécessaire de clarifier la distinction entre les processus d'investissement et les résultats observés. L'intégration ESG est un processus conçu pour garantir que les facteurs ESG financièrement significatifs soient pris en compte, au même titre que les autres, dans l'analyse traditionnelle des investissements. Les exclusions, l'investissement durable et celui d'impact visent à obtenir un résultat extra-financier spécifique, dans un portefeuille ou dans le monde réel, en plus d’un objectif de rendement financier. Le secteur et ses régulateurs devraient se concentrer sur cette clarification en 2023.
II – Marchés obligataires : le retour de la discipline
- Une inflation persistante appelant une vigilance accrue sur le marché obligataire
Nous approchons 2023 avec une inflation élevée et des niveaux extrêmes de dette publique. Dans ce contexte, nous constatons que les investisseurs obligataires défendent plus fermement leurs intérêts face aux régulateurs. Les marchés sanctionnent les incohérences de politique entre les autorités budgétaires et monétaires au sein d'un même pays, ainsi que les divergences excessives de politiques budgétaires ou monétaires entre pays. Nous pensons que les rendements des obligations souveraines peuvent se situer dans une fourchette limitée lorsque les politiques sont cohérentes, mais potentiellement plus élevés et plus volatils lorsqu’elles sont incohérentes. Malgré le rythme de l'ajustement des politiques et les mouvements de taux du marché qui en découlent, les banques centrales, hors Royaume-Uni, n'ont pas eu à intervenir pour maintenir la liquidité du marché. Cependant, il existe un risque important pour les marchés obligataires en 2023 si un conflit émerge sur la politique à adopter.
- La capacité d’absorber des taux plus élevés, un défi pour le crédit
Au cours de la dernière décennie, de nombreuses structures financières ont été construites autour de taux en baisse, voire proches de zéro, y compris de nombreuses structures de dette. Les emprunteurs à taux variable devront donc s'adapter immédiatement, mais comme nous nous attendons à des taux structurellement plus élevés, nous sommes convaincus que les emprunteurs à taux fixe devront également s'adapter. Nous n'anticipons pas de hausse majeure des défauts de paiement : l'économie a historiquement été capable de générer une croissance saine avec des taux à ces niveaux. Dans ce contexte, les marchés du crédit sont soutenus par des bilans généralement solides et des échéances généralement éloignées de plusieurs années. Cela dit, plus vite les investisseurs intègreront des taux durablement plus élevés dans leurs analyses de crédit, plus vite ils pourront procéder aux ajustements nécessaires de leur portefeuille.
III - Actions : les gagnants et les perdants
- Un recalibrage des estimations de bénéfices qui favorise les plus forts
Une grande partie de la baisse des marchés actions au premier semestre 2022 semble être due à l'application de taux d'actualisation plus élevés aux estimations de bénéfices futurs, restées largement inchangées. Les estimations de croissance des bénéfices pour 2023 n'ont pas chuté de la même façon que les estimations de croissance du PIB réel, peut-être parce que l'inflation élevée a soutenu la croissance du PIB nominal. Alors que l'inflation diminue tout en restant relativement élevée, et que l'économie ralentit, les estimations de bénéfices devraient probablement être revues à la baisse. Nous pensons également que la dispersion augmentera, favorisant les entreprises moins exposées aux coûts de la main-d'œuvre et des matières premières, avec un meilleur pouvoir de fixation des prix pour maintenir leurs marges, mais aussi celles ayant recours à une comptabilité des bénéfices moins agressive. Cela devrait se traduire par une performance des actions plus disparate.
- Les équipes de direction se recentrent sur la valeur actionnariale
Lorsque les investisseurs exigent des primes de risque plus élevées et que les rendements obligataires représentent un obstacle à l’obtention de rendements nettement plus importants, une façon de garder le coût du capital bas est de se concentrer à nouveau sur la création de valeur actionnariale tangible à court terme. Lorsque la conjoncture économique est difficile, les équipes de direction efficaces commencent généralement par améliorer les structures de capital et les bilans, se séparer des divisions à faible rendement, acquérir des cibles stratégiques pour gagner en efficacité et s'engager de manière créative auprès des actionnaires. Dans ces conditions, nous avons tendance à observer le véritable potentiel de la coopération entre les actionnaires actifs et les directions des entreprises : 2023 pourrait s’annoncer animée au sein des conseils d’administration.
IV - Alternatifs : des défis à relever, mais des opportunités pour les plus agiles
- Des performances plus disparates au sein des marchés privés
Les marchés privés ne seront pas à l’abri du ralentissement actuel. Les sorties sont plus difficiles dans un contexte de marchés cotés volatils, et si les valorisations des sociétés privées tendent à moins baisser que celles des marchés cotés, nous pensons qu'elles sont tout de même susceptibles de diminuer. Un tel environnement pourrait entraîner une dispersion des performances, favorisant ainsi les sociétés de meilleure qualité, en particulier lorsque la direction privilégie des plans de croissance bien définis plutôt que de s'appuyer sur du levier et des acquisitions multiples. Il est également important de se rappeler que les fonds de capital-investissement investissent généralement sur plusieurs années, ce qui permet aux nouveaux fonds et aux récents vintages disposant de dry powder de rechercher des opportunités au fur et à mesure que les valorisations diminuent avec le ralentissement économique.
- De plus en plus d’opportunités pour les investisseurs opportunistes
Lors d'un ralentissement, et lorsque les valorisations diminuent, voire décrochent, les fournisseurs de liquidités peuvent sélectionner des opportunités parmi les alternatives liquides et illiquides ainsi que les stratégies opportunistes de niche. Parmi les alternatives liquides, nous pensons que les stratégies macro globales et autres stratégies couvertes orientées vers le trading peuvent continuer d’offrir des opportunités dans un contexte de volatilité. A mesure que les structures de dette seront remaniées, il devrait y avoir de plus en plus d'opportunités parmi les solutions de capital de niche qui devraient connaître des rendements attrayants, voire accentués. Du côté des alternatives illiquides, les fonds secondaires de private equity sont devenus attractifs pour les investisseurs. Les tensions économiques pourraient également créer des opportunités de valeur à long terme au sein des actifs réels sensibles à l'inflation, aussi bien sur les marchés liquides (comme certaines matières premières) qu’illiquides (par exemple, l'immobilier).