Qu’il reprenne ou qu’il cède une activité, l’entrepreneur est confronté à d’importants enjeux patrimoniaux. Lors des rendez-vous du Repreneuriat organisés récemment par l’Association Cédants et Repreneurs d’Affaires (CRA), Pascal Ferron, vice-président de Walter France, expliquait, avec d’autres conseils, Sophie Ducamp-Monod, notaire et Sylvie Ouaniche, AG2R La Mondiale, pourquoi les aspects patrimoniaux doivent être étudiés avec le plus grand soin tant par les repreneurs que par les cédants d’entreprise.
Il existe une forte similarité pour un entrepreneur qui reprend une entreprise et pour celui qui vend la sienne : dans les deux cas, il s’agit pour eux d’un cap fondamental dans leur vie professionnelle. Outre les aspects économiques, ils ont tout intérêt, afin de mettre le maximum de chances de leur côté, de s’intéresser de près aux aspects patrimoniaux de l’opération.
Tout entrepreneur possède trois grandes masses de patrimoine : un patrimoine privé, un patrimoine social, constitué des droits accumulés tout au long de sa carrière, et un patrimoine professionnel. Il devra prendre en compte ces trois composantes pour définir sa stratégie patrimoniale.
> Côté repreneurs
Les primo-repreneurs sont souvent d’anciens cadres de grands groupes. Leur objectif : racheter, pas cher, une entreprise qui gagne beaucoup d’argent ! Leurs considérations sont très pratiques : s’assurer un bon niveau de revenus grâce à l’activité de l’entreprise, et éventuellement, si l’opération comporte de l’immobilier, un bon niveau de patrimoine.
Un repreneur pourra agir à plusieurs niveaux.
- Les choix juridiques, lors de la création, sont multiples : SAS, SARL, holdings en cascade... Il n’existe pas de solution meilleure qu’une autre, en revanche, la forme juridique devra être en adéquation avec la stratégie de l’entrepreneur, qui devra anticiper le développement futur de son activité et bien définir ses objectifs : travailler seul, s’associer, limiter son développement à l’assurance de revenus suffisants, être dans une logique de croissance exponentielle…
- La part de l’immobilier pouvant peser lourd dans la balance, l’entrepreneur devra acheter les locaux à part, via une SCI par exemple, afin notamment de pouvoir céder le moment venu uniquement l’entreprise et non les murs, générateurs de revenus fonciers pour ses vieux jours ;
- Il pourra faire réaliser un audit de protection sociale, qui consiste à évaluer son niveau de protection sociale en cas de maladie ou d’accident de la vie, les droits acquis en termes de retraite, l’impact éventuel du passage du statut salarié au statut de non-salarié (TNS), etc. En matière sociale, contrairement au statut « uniforme » des salariés, le statut de non salarié permet de mieux adapter sa protection à sa situation personnelle, alors autant exploiter au maximum cette possibilité, en sachant que les arbitrages pourront évoluer tout au long de la vie de l’entrepreneur.
- Il sera indispensable pour lui d’étudier son contrat de mariage. Il faut savoir que les entrepreneurs qui se sont mariés sans contrat de mariage sont placés, de fait, sous le régime de la communauté. En cas de divorce, c’est la moitié de la valeur de l’entreprise que l’entrepreneur devra verser à son conjoint. Sophie Ducamp-Monod, notaire spécialisé dans l’accompagnement patrimonial au sein de l’étude éponyme, conseille vivement, avant la reprise, d’opter pour le régime de la séparation de biens, qui protègera d’ailleurs aussi le conjoint. En cas de problèmes de gestion ou de difficultés économiques, celui-ci ne sera pas, en principe, solidaire si la responsabilité individuelle de l’entrepreneur est mise en cause.
- Le repreneur aura par ailleurs tout intérêt, s’il a des enfants mineurs, à utiliser le mandat à effet posthume par lequel il peut nommer un mandataire qui, s’il décède, gérera l’entreprise en attendant la vente. En effet, le conjoint n’est pas forcément la personne la plus expérimentée pour assurer cet « intérim ».
- De la même manière, le repreneur pourra souscrire une garantie homme-clé. Pour Sylvie Ouaniche, responsable régionale transmission chez AG2R La Mondiale, cette garantie va permettre, en cas de décès ou d’incapacité de gérer, de verser un capital à l’entreprise afin de pouvoir rémunérer une personne qui gérera l’entreprise. Et cette garantie ne concerne pas que le dirigeant. « L’homme clé » peut être un salarié très pointu techniquement dont l’expertise est irremplaçable pour l’entreprise.
- Si le cédant vend à un tiers de la famille, il aura tout intérêt à donner à ses enfants avant de vendre : en effet, le transfert par donation ne génère aucune plus-value, contrairement à la vente : ainsi, il pourra non seulement commencer à transmettre à ses enfants, mais aussi purger tout ou partie de l’impôt sur la plus-value.
- Autre point d’attention, en cas de reprise familiale, la donation-partage permet de fixer la valeur de l’entreprise au moment de la donation. Contrairement à une donation simple, il n’y aura ainsi pas de débat entre les héritiers pour revaloriser la valeur de l’entreprise au jour du décès.
- Toujours dans le cas d’une reprise familiale, si les signataires d’un pacte Dutreil s’engagent à conserver l’entreprise donnée par un parent pendant une période en principe de six ans, alors les droits de donation seront calculés sur une valeur fiscale de 25% de la valeur de l’entreprise, puisque 75% de sa valeur sera exonérée. Il peut y avoir un effet de levier complémentaire si l’entreprise est cédée en nue-propriété.
- Si son entreprise constitue la totalité ou la partie la plus importante de son patrimoine, et que l’entrepreneur a plusieurs enfants, la constitution d’une holding permettra à l’enfant qui reçoit l’entreprise, par une remontée des dividendes, de payer la soulte à ses frère et sœurs.
- L’entrepreneur peut également prévoir de souscrire une assurance décès pour obtenir des garanties croisées. En cas d’association, et si un associé meurt, les autres associés se retrouvent face aux ayants-droits de celui-ci. S’ils n’ont pas la trésorerie suffisante, cette garantie leur permet de pouvoir racheter leurs parts aux ayants-droits et maintenir la pérennité de l’entreprise.
Trois conseils clés pour les repreneurs
La reprise d’entreprise est une formidable aventure entrepreneuriale, mais qui peut s’étaler sur plusieurs mois, voire plusieurs années avant de prendre les rênes de l’entreprise.
Pour Pascal Ferron, le repreneur ne devra jamais reprendre une entreprise par défaut, pour de mauvaises raisons, mais toujours une entreprise à laquelle il pourra apporter une véritable valeur ajoutée.
Pour Sophie Ducamp-Monod, le repreneur doit avoir pour étoile polaire l’adéquation entre son projet d’entreprise et sa viabilité à court/moyen/long terme.
Pour Sylvie Ouaniche, c’est dès son projet que le repreneur doit s’attaquer à toutes ces problématiques, et pas plusieurs années après la reprise d’entreprise. Car à trop attendre, en cas d’accident de la vie ou de difficultés, il sera trop tard…
> Côté cédants
Pour un cédant, son entreprise, c’est son bébé dont il aura, de toute manière, du mal à se séparer. Le premier conseil que donne Pascal Ferron aux entrepreneurs, c’est de ne pas trop tarder à céder. Car sinon, à force de moins investir, peut-être même de moins s’investir, il fera perdre de la valeur à son entreprise. Le deuxième point important est d’anticiper au maximum afin de se projeter vers « l’après ». Vendre pour faire quoi ? Car après un tour de monde et quelques après-midis de golf, le temps risque de paraître long… Il est important d’avoir des projets personnels ou même parfois professionnels puisqu’un cédant n’est pas toujours une « personne âgée », mais peut être un entrepreneur en pleine vitalité qui a envie de réinvestir dans un autre projet. Attention, donc, à ces quelques prérequis, car sinon, c’est ainsi qu’après plusieurs mois de négociations, un cédant peut finalement dire « non » à une proposition d’achat, uniquement parce qu’il prend conscience qu’il n’a pas grand-chose d’autre dans sa vie, mettant au passage son repreneur en difficulté.
Au départ, un cédant n’envisage pas forcément sa cession sous le bon angle. Souvent, ce qu’il commence par rechercher, c’est un bon prix. Or, à force de trop vouloir valoriser, on ne vend pas. De plus, le plus important est de bien choisir un repreneur dont les valeurs seront en adéquation avec celles de l’entreprise, et dont la vision et les compétences pourront apporter une vraie valeur ajoutée.
Ensuite, bien évidemment, plusieurs questions se posent. Combien va-t-il me rester après la vente ? Comment minorer l’impôt sur les plus-values ? Si je transmets à un enfant, comment m’assurer de ses capacités ?
En matière sociale, un assureur a toute sa place dans le processus de transmission. Là encore, anticiper est la clé d’une bonne transmission dans ce domaine, en permettant au cédant de protéger ses revenus actuels et d’organiser ses revenus futurs. Sylvie Ouaniche explique que la méthode d’analyse se base sur une question toute simple : quelle vie souhaitez-vous vivre demain ? L’accompagnement patrimonial par la démarche « Mon projet de vie » va consister, en fonction de ses souhaits futurs, à découper les besoins du cédant par période de vie, et à l’aider à trouver en face les ressources nécessaires correspondantes, par période également, au moment où il en a besoin.
Sophie Ducamp-Monod, quant à elle, commence par conseiller aux cédants d’étudier leur régime matrimonial, qui peut avoir un impact sur les personnes qu’ils souhaitent protéger. Parfois, le contexte international interfère également ; il suffit qu’un conjoint soit étranger, qu’en enfant soit étudiant à l’étranger, ou encore que le cédant ait envie de partir à l’étranger, pour que la donne change.
> Utiliser toutes les possibilités d’optimisation de sa succession
Il est également très important d’envisager de donner les titres de son entreprise à ses enfants avant la cession. Ce sont ainsi les enfants qui vendront l’entreprise. En transmettant gratuitement à ses enfants, le cédant ne paiera pas de plus-value de cession. Et sous certaines conditions, il peut n’y avoir pas non plus de taxation de plus-value pour les héritiers. C’est là une piste très intéressante pour optimiser la fiscalité.
S’il ne l’a pas encore fait, il ne sera jamais trop tard pour envisager une donation-partage qui permet de fixer le prix de l’entreprise et des autres biens à la date de la donation. La donation alternative est également une piste à explorer si le cédant veut tester les capacités de l’un de ses enfants à gérer l’entreprise. L’entrepreneur donne l’entreprise à son enfant repreneur, mais si, à un terme qu’il fixe dans la donation, ce dernier ne semble pas avoir l’envergure pour diriger celle-ci, alors il pourra lui substituer, par exemple, un portefeuille de valeurs mobilières.
Enfin, le cédant devra bien évidemment se poser la question du montage juridique qui pourra être nécessaire, en amont, avec ses enfants, telle une holding de reprise.
> L’interprofessionnalité des conseils, un gage de réussite pour les entrepreneurs
Collaboration entre experts-comptables, avocats, notaires, assureurs… : une reprise ou une cession réussie est une opération où l’entrepreneur a su s’entourer d’un certain nombre d’experts.
Tous connaissent les principes fondamentaux de ce qu’il est possible de faire, mais chacun va apporter son éclairage d’expert dans son domaine propre et surtout sur les principes d’application.
La pertinence de leur « intelligence collective » permettra à l’entrepreneur de vivre la vie future qu’il veut, et non pas de la subir en fonction de ses moyens.
Pascal Ferron conclut : « Le meilleur conseil que l’on puisse donner aussi bien à un repreneur d’entreprise qu’à un cédant, c’est d’anticiper, anticiper, et encore anticiper.
Une réflexion le plus amont possible sur tous ces sujets patrimoniaux, sociaux et fiscaux lui permettra de sélectionner les meilleures options, à condition bien évidemment qu’il ait su s’entourer de conseillers pertinents et ayant l’habitude de pratiquer l’interprofessionnalité. »