Avec 13 jours de retard en moyenne, les délais de paiement en Europe retrouvent les niveaux d’avant crise Covid. La France et la Belgique signent les meilleures améliorations, l’Allemagne et les Pays Bas restent les payeurs les plus ponctuels. Face à la crise, les entreprises redoublent d’efforts pour préserver leurs bonnes relations fournisseurs
Le groupe Altares, expert historique et référent de la data d’entreprise publie ICI le panorama des retards de paiement des entreprises en Europe et en France au 2e trimestre 2022.
Alors qu’ils s’inscrivaient en forte hausse dès l’été 2020, atteignant 14,5 jours au 4e trimestre 2020, les retards de paiement à l’échelle Europe diminuent rapidement pour retrouver des seuils d’avant crise. A l’heure actuelle, près d’une entreprise européenne sur deux (48,4%) paye ses fournisseurs à l’heure. Une dynamique portée d’une part par les nettes améliorations enregistrées en France et en Belgique, et d’autre part par les comportements restés vertueux chez les entreprises d’Allemagne et des Pays-Bas. Alors que le Vieux Continent est confronté à de profonds bouleversements, les comportements de paiement des entreprises restent très modérés. Premier élément d’explication avancé : les entreprises redoublent d’efforts pour préserver leurs bonnes relations avec leurs fournisseurs, à l’heure où les chaînes d’approvisionnement sont exposées à de nombreuses crises.
Selon Thierry Millon, directeur des études Altares : « Covid, difficultés d’approvisionnement, guerre en Ukraine, inflation galopante, ralentissement de l’activité économique, crise énergétique et désormais menace d'une récession… ce contexte sérieux incite à la vigilance et par conséquent à la gestion précautionneuse de son cash. Pourtant, globalement, les comportements de paiement ne se dégradent pas. Mieux, ils s’améliorent. Les entreprises cherchent à préserver leur relation avec leurs fournisseurs et pour cela s’attachent à payer les factures à l’heure, quitte à négocier ponctuellement des délais plus longs lorsqu’ils sont sous le plafond des 60 jours. »
L’Europe tient ses délais, portée par les nets progrès de la France et la Belgique et les comportements historiquement vertueux de l’Allemagne et des Pays-Bas.
En dépit d’un contexte économique difficile, le règlement des factures fournisseurs n’a pas été la variable d’ajustement des entreprises européennes cherchant à conserver leurs liquidités. On observe plutôt le phénomène inverse avec davantage de clients « ponctuels » (48,4% au 2ème trimestre 2022 vs. 45,3% au 3e trimestre 2020). Les retards les plus lourds, supérieurs à 30 jours, sont également moins fréquents (8,3% des entreprises vs. 10% il y a 18 mois). In fine, les retards moyens en Europe diminuent nettement pour atteindre 13 jours, un seuil qui n’avait plus été atteint depuis le 1er trimestre 2018.
Les meilleurs élèves restent historiquement l’Allemagne (6,5 jours) et les Pays-Bas (5 jours) qui restent sous le seuil des 7 jours depuis de nombreuses années. Les entreprises allemandes, dont les deux tiers payent leurs fournisseurs à l’heure, présentent un retard moyen quasi 2 fois inférieur à la moyenne européenne (6,5 jours vs. 13 jours).
La Belgique, traditionnellement proche des seuils français (entre 11 et 12 jours) se distingue avec un retard moyen descendu à 9 jours sur le 2ème trimestre 2022. Alors qu’est entrée en application, le 1 février dernier, la loi du 14 août 2021 visant à lutter contre les retards de paiement, 54% des entreprises belges payent désormais leurs factures à l’heure contre moins de 41% avant la Covid.
Les pays latins à la peine, le Royaume-Uni dérape
L’Europe latine fait, en comparaison, figure de mauvais élève. L’Italie, où les retards de paiement dépassaient les 19 jours entre l’été 2020 et le printemps 2021 est parvenue à redescendre sous le seuil de 18 jours à partir de la fin de l’année 2021. La proportion d’entreprises réglant leurs fournisseurs à l’heure augmente légèrement depuis début 2021 mais reste faible à seulement 40,2%. Inversement, la part des grands retardataires recule mais reste encore haute à plus de 12%.
Thierry Million poursuit : « A l’heure où la France s’apprête à déployer la facturation électronique, les résultats italiens peuvent paraitre décevants. La problématique des retards de paiement semble résister à l’effort de dématérialisation déployé par l’Italie, où l’obligation d’échange de factures sous format électronique concerne l’ensemble des entreprises depuis le 1er janvier 2019. »
L’Espagne, si elle ne parvient pas encore à redescendre sous le seuil de 14 jours de retard (14,2 au 2ème trimestre 2022), renoue néanmoins avec ses niveaux d’avant crise (14,4 jours). Le retard moyen qui avait atteint 16,2 jours début 2021, a donc été réduit de plus d’une journée en un an.
Le Portugal ferme la marche avec un retard moyen qui peine à passer sous le seuil des 26 jours. La proportion d’entreprises décalant leurs règlements de plus de 30 jours au-delà du délai contractuel a reculé de 3% depuis le pic de fin 2020 (20,3%). Reste que 17,3% des entreprises payent encore avec de grands retards. Un taux proche de celui des payeurs ponctuels (19,3%).
Le Royaume-Uni, avec désormais 15,6 jours de retard moyen, enregistre son plus mauvais chiffre depuis fin 2016. Désormais, une entreprise britannique sur dix retarde le règlement de ses fournisseurs de plus 30 jours.
Pour Thierry Millon : « Les bons chiffres de ce premier semestre 2022 donnent l’illusion d’une résilience sans faille des entreprises européennes. Mais ne nous y trompons pas, le risque commercial et financier grandit rapidement, à l’instar de l’envolée des défaillances d’entreprises. Car faute de liquidités abondantes, les comportements de paiement pourraient bien se dégrader de nouveau en Europe sur cette deuxième partie de l’année ».
La France repasse sous le seuil symbolique des 12 jours.
Dans une Europe ou les comportements de paiement s’avèrent très hétérogènes, la France retrouve sa valeur référence proche des 12 jours de retard en moyenne. Au 2ème trimestre 2022, elle passe même sous ce seuil, à 11,6 jours, renouant avec les niveaux d’avant crise.
Les entreprises françaises, comme leurs consœurs européennes, présentaient durant l’été 2020 des retards de paiement au plus haut depuis près de vingt ans, au-delà de 14 jours. Depuis, l’amélioration progressive a permis de réduire ce délai de près de 3 jours.
Les Pays de la Loire meilleurs payeurs. L’Ile-de-France à la traîne malgré une très nette amélioration des comportements sur ces derniers mois.
Les fournisseurs des entreprises franciliennes, dont le retard de règlement avait dépassé 20 jours au plus haut de l’épisode Covid, ont « gagné » 4 jours de délai. Néanmoins, avec un décalage encore supérieur à 16 jours, un effort reste à faire pour approcher la moyenne nationale.
Les entreprises ultramarines sont encore au-dessus avec des décalages de paiement de plus de 19 jours.
A l’inverse, la performance des Pays-de-la-Loire est à souligner. Après avoir réussi à contenir les retards à peine au-dessus de 11 jours (11,3) en été 2020, les entreprises ligériennes affichent désormais seulement 9 jours de retard. Il s’agit du meilleur délai du pays, avec la Bretagne dont les retards étaient restés sous la barre des 11 jours (10,9) en été 2020.
Une corrélation entre retard de paiement et taille de l’entreprise
Les données l’attestent, plus l’entreprise est grande, plus les retards de paiement s’allongent.
Sur le deuxième trimestre 2022, les organisations employant entre 200 et 999 personnes présentent un retard de 13,7 jours (+ 2 jours vs. moyenne toutes tailles confondues). Les structures les plus grandes d’au moins 1000 salariés, présentent un retard moyen de 16,7 jours, soit plus de 5 jours de plus comparé à la moyenne.
A l’inverse, les structures de 10 à 49 salariés présentent traditionnellement de meilleures performances. C’est actuellement le cas avec des reports de règlements de moins de 11 jours (10,8 jours). Les plus petites entreprises, comptant moins de trois salariés, ne sont jamais parvenues à redescendre sous 12 jours depuis la crise sanitaire. Des tensions sur les paiements étaient même constatées en fin d’année 2021 et début 2022.
Les activités B2C toujours plus fragilisées. La filière textile-habillement particulièrement impactée
Les activités où l’on observe les comportements les moins vertueux restent les activités B2C, fragilisées depuis la crise Covid. Parmi celles-ci on retient : la restauration (19,4 jours), les salons de coiffure ou de beauté (19 jours) et le commerce de détail d'habillement (17,6 jours).
La filière textile-habillement est également sous tension en B2B. Le commerce de gros affiche un retard de plus de 18 jours tandis que dans la fabrication, le décalage qui avait approché 12 jours en 2021 remonte au-delà de 13 jours depuis le début de l’année.
Parmi les autres activités peu vertueuses figure la promotion immobilière qui n‘est jamais parvenue à redescendre sous le seuil des 20 jours. Actuellement, les promoteurs décalent leurs règlements de près de 24 jours en moyenne.
A l’inverse, quelques activités présentent des retards de paiement inférieurs à 10 jours. En tête de celles-ci le bâtiment (8,2 jours) et l’assurance (8,9 jours), suivis de l’édition (9,2 jours), la fabrication de matériaux de construction (9,4 jours) ou la réparation-maintenance industrielle (9,4 jours).
Les conclusions de Thierry Millon : « Elève sérieux mais peut mieux faire ! Telle pourrait être l’appréciation du relevé de notes français. La France s’est dotée de nombreux outils de cadrage, suivi et sanction pour lutter contre les retards de paiement. Nous sommes désormais loin des 20 jours de retard de paiement que nous mesurions en 1995 lorsque la Commission européenne adoptait une première recommandation concernant les délais de paiement dans les transactions commerciales. La relation clients-fournisseurs s’est depuis apaisée mais aussi structurée, parfois au prix de process qui se sont complexifiés. La DGCCRF, qui a notifié 1579 amendes administratives depuis 2014 pour un montant total de plus de 126 millions d’euros, pointe régulièrement du doigt le défaut des entreprises en matière d’organisation comptable. Une simplification est donc attendue notamment par la généralisation progressive au secteur privé de la facturation électronique entre 2024 et 2026. Depuis le 1er janvier 2020, toutes les entreprises traitant avec le secteur public transmettent déjà leurs factures sous format électronique. En 2021, Chorus Pro a ainsi traité plus de 63 millions de factures dématérialisées émises par 730 000 entreprises dont près de la moitié (48%) étaient déjà des TPE/PME. La modernisation est donc en marche. Cependant, l’exemple italien laisse suggérer que la facturation électronique ne saurait à elle seule réduire les retards de paiement en dehors de quelques retards litigieux ou opportunistes. En attendant 2024, la vigilance est de mise pour les prochaines semaines et mois. Il sera en effet difficile de confirmer les bonnes intentions de ce début d’année. »