A l’occasion de la Semaine de la finance responsable, l’ACT-Alliance contre le tabac interpelle les institutions et le grand public sur l’opacité et le manque d’exigence des fonds d’investissements dits « responsables ».
Notre collectif engagé dans la lutte contre le tabagisme déplore que l’industrie du tabac ne soit pas encore expressément exclue du label ISR (dédié à la finance) mais aussi de nombreux autres labels censés récompenser les réels efforts des entreprises pour leurs programmes RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale).
Une campagne de sensibilisation pour exiger une finance sans tabac
Alors que plus de la moitié des Français pensent aujourd’hui que la finance durable peut avoir un impact sur notre société, il est à ce jour très difficile de savoir exactement ce que finance son épargne. Afin d’aider le consommateur à privilégier les investissements responsables, des fonds dits « verts » ont été créés, censés soutenir les entreprises vertueuses au niveau social et environnemental.
Néanmoins, ces fonds ont été pointés du doigt à plusieurs reprises pour leur manque d’exigence. A titre d’exemple, le label ISR créé par le ministère de l’Economie et des Finances et à ce jour le plus connu et le plus répandu, n’exclut pas expressément l’industrie du tabac.
En cours de refonte, le label ISR prévoit d’exclure de sa nouvelle mouture le charbon et les énergies fossiles non conventionnelles, sans toutefois mentionner explicitement l’exclusion du tabac. Il est incompréhensible aujourd’hui qu’un tel secteur, incompatible avec les objectifs de développement durable poursuivis par le label, ne fasse pas l’objet d’une exclusion. Au cours des douze derniers mois, l’ACT a interpellé à plusieurs reprises les instances gouvernementales, sans succès.
C’est pourquoi, l'ACT engagé dans la lutte contre le tabagisme lance sa campagne de sensibilisation nommée « Label Imposture » à destination du grand public et des institutions. A travers un spot de 1’30 min, l’ACT réclame une finance responsable sans tabac, où les valeurs portées par les fonds d’investissements se reflètent dans les secteurs d’activités financés. En ligne sur la chaîne YouTube de l’association et sur l’ensemble des réseaux sociaux, ce spot fera l’objet d’une amplification média dédiée tout au long de la Semaine de la Finance Responsable.
Pour Marion Catellin, Directrice de l’ACT-Alliance contre le tabac : « Quand on connaît l’étendue des dégâts qu’elle cause, il est inacceptable que l’industrie du tabac puisse s’approprier les enjeux de responsabilité sociétale et environnementale. L’OMS elle-même estime qu’il y a une « contradiction inhérente » entre les activités de l’industrie du tabac et la promotion d’une démarche RSE. Ne soyons pas dupes : la démarche RSE n’est qu’un moyen pour l’industrie du tabac de redorer son blason. Notre revendication pour une finance sans tabac doit s’appliquer aussi aux autres secteurs : les fabricants, fournisseurs et distributeurs de tabac ne peuvent en aucun cas être qualifiés de « responsables ». Tous les acteurs ayant la charge de décerner des labels ou certifications RSE doivent en prendre conscience. »
Politique RSE : une stratégie marketing de l'industrie du tabac pour redorer son image
Pour répondre aux préoccupations actuelles des consommateurs, l’industrie du tabac développe depuis plusieurs années des programmes RSE promettant d’agir positivement sur la société et l’environnement tout en étant économiquement viable. Plutôt qu’une véritable démarche, les enjeux de RSE sont avant tout l’occasion pour les cigarettiers de redorer leur image et de mener des actions de greenwashing :
1/ Pour faire face à la perte de vitesse du marché des cigarettes traditionnelles dans les pays développés, l’industrie du tabac a mis sur le marché dès 2015 des produits présentés comme étant « à risques réduits », tels que le tabac chauffé. Si aucune étude ne permet de conclure que ce dispositif comporte moins de risques pour la santé que les produits du tabac classiques, les profits eux sont bien réels : selon le rapport d’activité 2021 de PMI, 50% des revenus du cigarettier devraient provenir des nouveaux produits du tabac et de la nicotine.
2/ Ces efforts mis en avant ne compensent en aucun cas l’activité mortifère des cigarettiers. A titre d’exemple, entre 2014 et 2020, PMI a dépensé plus de 13 M$ américains pour financer des projets environnementaux. Sur cette même période, l'entreprise a réalisé un bénéfice équivalent à plus de 180 Mrds$ américains, directement issus de la vente de ses produits nocifs.
3/ Ces actions superficielles permettent néanmoins à l’industrie du tabac d’être présente voire récompensée lors de grands temps forts RSE :
- Ce mois-ci, la filiale française de Philip Morris a été accueillie au salon Produrable, « le plus grand rendez-vous européen des Acteurs et des Solutions de l'économie durable ».
- En 2021, British American Tobacco figurait dans l’indice DJSI World (Dow Jones Sustainability Indices). Seule entreprise du tabac récompensée par cet indice, cette distinction la classait parmi les 10% d’entreprises les plus performantes en matière de développement durable.
- L’an dernier, Japan Tobacco International a reçu, pour la troisième année consécutive, le score « A » du Carbon Disclosure Project saluant ses efforts opérationnels dans la lutte contre le changement climatique et la préservation des ressources en eau.
Par la nature même de son activité, l’industrie du tabac est incompatible avec la notion de RSE, définie par la Commission européenne comme étant « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ».
Santé, droits humains, environnement : l'industrie du tabac ne peut être labellisée
Avec plus de 8 millions de morts par an dont 75 000 recensés uniquement sur le territoire français, le tabagisme reste la première cause de mortalité évitable. Comme le confirmait encore récemment une étude publiée dans The Lancet, un tiers des cancers dans le monde sont attribuables au tabac. Aujourd’hui, un tel produit entraînant le décès prématuré d’un consommateur sur deux n’obtiendrait jamais d’autorisation de mise sur le marché.
Au-delà de ses conséquences désastreuses sur la santé publique, l’industrie du tabac porte atteinte aux droits humains :
- Selon l’OMS, ce sont 1,3 million d’enfants qui travaillent illégalement dans les champs de tabac, au détriment de leur éducation et de leur santé. Comme alertait l’ACT dans sa campagne « Changeons leur futur », ces enfants souffrent de la « maladie du tabac vert » : en travaillant dans les plantations, ils absorbent par la peau autant de nicotine que celle contenue dans 50 cigarettes.
- Afin de faire prospérer leur business, les cigarettiers n’hésitent pas à recruter les consommateurs dès le plus jeune âge. Grâce à des stratégies marketing bien rôdées, ce sont plus de 200 000 mineurs qui tombent chaque année en France dans le tabagisme. Parmi eux, plus des 2/3 deviendront des fumeurs réguliers.
L’industrie du tabac est également l’une des plus polluantes au monde, de la production à la consommation de ses produits :
- Chaque année ce sont environ 200 000 hectares de terre qui sont défrichés pour la culture du tabac ; soit l’équivalent de la surface du pays Luxembourg (2,584 km2).
- Cette même culture gaspille 22 milliards de tonnes d’eau par an, l’équivalent de 7,5 millions de piscines olympiques.
- En termes de CO2, elle émet annuellement 84 millions de tonnes de monoxyde de carbone, autant qu’un pays comme le Pérou.
- Enfin, elle est à l’origine des 4,5 trillions de mégots jetés chaque année dans la nature. La majorité d’entre eux comporte un filtre en acétate de cellulose, un additif plastique difficilement biodégradable pouvant polluer jusqu'à 500 litres d'eau et qui représente le deuxième déchet plastique le plus retrouvé sur les plages de l'Union européenne.