Dans un nouvel article publié en août dans la revue Economics Letters, les professeurs Alexandre Garel (Audencia), Adrian Fernandez-Perez (Auckland University of Technology) et Ivan Indriawan (University of Adelaide) ont constaté que le pessimisme et la mauvaise humeur étaient associés à un investissement plus important dans des fonds durables ou écoresponsables.
Les émotions exercent une forte influence sur les décisions d'achat. En raison de la popularité croissante des actifs financiers axés sur des objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), des chercheurs ont étudié le rôle que les émotions pouvaient jouer dans la décision d’investir dans des fonds durables. Ils ont testé deux théories concurrentes sur le rôle de l'humeur dans ce choix.
La première repose sur l'idée que les actifs durables sont généralement moins risqués. Il a été montré que les actifs considérés comme entièrement ou principalement durables surpassent les actifs moins durables en cas de crise, car les investisseurs les considèrent comme plus fiables et présentant moins de risques structurels, juridiques et de réputation. Cette théorie repose également sur l'idée qu'une humeur morose entraîne un comportement plus averse au risque. Ainsi, lorsqu'une personne est triste, déprimée ou en colère, elle aurait tendance à être plus prudente dans ses décisions d'investissement et à choisir des investissements à moindre risque.
Une deuxième théorie, contraire, repose sur l'idée qu'une humeur positive favorise les comportements prosociaux et un plus grand altruisme. Les investisseurs de mauvaise humeur auraient tendance à se concentrer sur eux-mêmes et moins sur les autres, et seraient moins susceptibles de choisir des investissements durables. Les investisseurs plus heureux, en revanche, pourraient se montrer plus altruistes et favoriser les investissements durables parce qu'ils profitent aux autres (par exemple, à la communauté, aux collègues de travail ou à l'environnement).
Alexandre Garel, enseignant-chercheur en finance à Audencia, explique : « Notre recherche a testé les deux théories, et nous avons constaté qu'une mauvaise humeur est associée à un investissement accru dans les actifs durables. Cela est sans doute dû à une plus grande aversion au risque qui pousse les investisseurs à favoriser les investissements durables qu'ils perçoivent comme moins risqués. »
Mesurer l’humeur et la durabilité des fonds
Pour distinguer les fonds durables des fonds non durables, les chercheurs ont utilisé l’index Morningstar Sustainability, destiné à aider les investisseurs à mieux comprendre et gérer le risque ESG global de leurs investissements. Une note de durabilité plus élevée est associée à un risque ESG plus faible.
Pour saisir l'évolution de l'humeur moyenne des ménages au cours d'un mois donné, les chercheurs ont utilisé une métrique (OR) qui mesure l'évolution du pourcentage mensuel de personnes souffrant de dépression saisonnière ou en présentant des symptômes.
Un OR plus élevé indique une augmentation de la dépression symptomatique et donc une baisse de l'humeur. Dans l'hémisphère nord, l’OR est élevé en automne (septembre), faible au printemps (mars) et modéré en été et en hiver. Les pays de l'hémisphère sud connaissent le schéma inverse.
Les universitaires ont comparé les niveaux d’OR aux investissements dans des fonds communs de placement en actions durables dans 25 pays sur la période 2018-2021.
En général, les fonds communs de placement ayant une note de durabilité élevée attirent davantage de capitaux, ce qui suggère que les investisseurs valorisent les investissements durables. Mais surtout, les chercheurs constatent que lorsqu'il y a une augmentation du pourcentage de personnes en dépression saisonnière, les investissements dans les fonds à durabilité élevée augmentent par rapport aux alternatives à faible durabilité (0,070% de plus par mois ou 0,84% par an). Pour un fonds commun de placement moyen d'une taille de 100 millions de dollars US, cet afflux de capitaux supplémentaire équivaut à 840 000 dollars US par an.
« Cette association négative est cohérente avec une interprétation de l'aversion au risque et soutient l’hypothèse selon laquelle une humeur moins bonne conduit à des investissements plus durables car les investisseurs les perçoivent comme moins risqués. Toutefois, compte tenu des caractéristiques de nos données, nous ne pouvons pas vérifier si l'humeur des investisseurs s'améliore après avoir investi dans des fonds durables. Cela confirmerait non seulement que les investissements durables sont une option plus sûre, mais aussi que le fait d'y investir améliore l'humeur des gens », explique Alexandre Garel.
Alors, la mauvaise humeur est-elle en fait bonne pour l'environnement et la société ?
« Nos résultats suggèrent que, lorsqu'il s'agit d'investir dans des fonds communs de placement en actions durables, l'aversion au risque déclenchée par la mauvaise humeur est une cause plus probable d'augmentation des investissements que le bonheur potentiel lié à un comportement altruiste. Cela n'implique pas que la tristesse soit bonne pour l'environnement ou la société, mais plutôt confirme que les investisseurs considèrent les investissements durables comme une option plus sûre », conclut Alexandre Garel.