Cela fait sept ans et demi que les Objectifs de développement durable (ODD) ont été lancés par l’ONU en 2015. L’année 2030 avait alors été fixée comme date limite pour atteindre ces 17 objectifs.
À mi-parcours, Jan Anton van Zanten, stratégiste ODD chez Robeco, dresse le bilan de ces premières années et de ce qu’il nous reste à accomplir.
Les ODD sont critiqués depuis le début et pour une multitude de raisons
Trop nombreux pour certains, pas assez pour d’autres, ou encore trop ambitieux dans l’esprit et dépourvus de vrais mécanismes de mise en œuvre. Une récente étude de Nature, par exemple, affirme que les gouvernements parlent beaucoup des ODD mais n’agissent pas assez, puisque aucun signe ne montre qu’ils ont l’intention de modifier leurs cadres réglementaires ou l’allocation de leurs ressources pour les réaliser.
On entend aussi que les ODD sont incohérents, redondants et même contradictoires. Certains objectifs ont en effet des répercussions négatives sur d’autres, ce qui signifie qu’il y aura un coût à payer pour les atteindre tous. Ainsi, l’ODD 8 (travail décent et croissance économique) ne peut être atteint de façon réaliste sans entrer en conflit avec l’ODD 13 (mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques), l’ODD 14 (vie aquatique) et l’ODD 15 (vie terrestre).
Des progrès trop lents
Un autre problème majeur est que les progrès sont bien trop lents. Aucun pays n’est sur la bonne voie pour respecter l’échéance de 2030, en partie à cause du Covid-19, qui a mis un coup de frein et même inversé la tendance pour certains objectifs. C’est par exemple le cas de l’ODD 3 (bonne santé et bien-être), qui a régressé en raison de la pandémie mondiale et de ses effets évidemment néfastes.
Outre la pandémie, un autre sujet particulièrement inquiétant aujourd’hui est celui des ODD centrés sur l’environnement. Si nous ne nous attaquons pas au réchauffement climatique et ne mettons pas fin à la perte de biodiversité telle qu’exigée par trois ODD, il est peu probable que nous atteignions un seul autre objectif, dans la mesure où tous les systèmes sociaux dépendent de l’environnement naturel.
Par conséquent, si nous savons que nous n’atteindrons pas les ODD, ne serait-il pas logique de les abandonner ? C’est ce que pensent certains spécialistes de la durabilité. Hans Stegeman, stratégiste en chef à la Triodos Bank, spécialisée dans le développement durable, a déclaré dans le journal néerlandais FD que nous devrions cesser de poursuivre ces objectifs. De leur côté, 100 scientifiques ont adressé une lettre à l’ONU intitulée « Les gens souffriront davantage si les professionnels s’illusionnent sur le développement durable ».
Des ODD encore très pertinents
Ces critiques mettent au jour de véritables problèmes liés aux ODD mais elles n’invalident pas pour autant leur postulat de départ. La définition d’objectifs à l’échelle mondiale reste un moyen important de promouvoir la durabilité. Pour la première fois de son histoire, l’humanité dispose d’un programme commun pour créer un monde meilleur, sur la base d’objectifs concrets. Que répondre à ces critiques, alors ? Le fait que les progrès vers les ODD soient trop lents n’est pas une raison pour les abandonner, car « les grands exploits sont rarement le résultat d’un manque d’ambition », écrivent des scientifiques dans un article de Nature.
Et dans un monde où des milliards de personnes n’ont pas accès aux besoins élémentaires et voient leur environnement naturel se dégrader rapidement à cause du réchauffement climatique, de la perte de biodiversité et de la pollution, créer un monde meilleur n’est pas un vœu pieux.
Mais cela signifie qu’il faut régler de nombreux problèmes en même temps, trouver l’équilibre optimal entre eux et y investir davantage. Les gouvernements, les entreprises et les investisseurs doivent faire de sérieux efforts pour réellement œuvrer à l’atteinte des objectifs, au lieu de simplement en parler. Au cours de mes recherches, j’ai identifié trois priorités en matière de progrès : améliorer la gouvernance des ODD au niveau macro, agir sur les interactions entre chaque ODD, et renforcer la participation du secteur privé.
Investir dans les ODD et engager le dialogue
En fin de compte, les ODD ont besoin du soutien des investisseurs aussi. Ceux-ci disposent généralement de deux leviers d’action : l’allocation de capitaux et l’actionnariat actif.
D’une part, ils peuvent soutenir les ODD en finançant les entreprises qui contribuent de manière positive aux ODD et en évitant celles qui ralentissent les progrès. Dans la mesure où cela nécessite de savoir quel est l’impact de chacune des sociétés de notre univers sur ces objectifs, Robeco a créé son propre cadre ODD en 2017. Celui-ci nous permet de noter les contributions (positives et négatives) des entreprises aux objectifs mondiaux, afin d’évaluer si elles sont adaptées pour l’investissement.
D’autre part, les investisseurs peuvent, en tant qu’actionnaires actifs, engager le dialogue avec les entreprises dans lesquelles ils investissent et exercer leur droit de vote pour soutenir (ou rejeter) certains comportements d’entreprise en matière d’ODD. Cette approche combine la gestion active et l’actionnariat actif, ce qui peut constituer une force puissante, en particulier auprès des entreprises dont les activités freinent la réalisation de certains objectifs.
Poursuivons la route
Pour résumer, je pense que si de nombreuses critiques relatives aux ODD et à la pertinence d’y investir sont recevables, nous ne devrions pas en conclure qu’il faut les abandonner. Nous devrions plutôt réévaluer si les actions que nous entreprenons ont un impact positif et comment nous pouvons améliorer les choses.
Le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, la pauvreté, les inégalités et l’accès aux soins sont de vrais problèmes. Les ODD sont une initiative mondiale visant à obtenir le soutien de toute la société (gouvernements, entreprises et société civile) pour relever ces défis. Supprimer les ODD ne résoudra pas ces problèmes, mais les conserver peut inciter à travailler sur ces défis.
Commençons donc par considérer que les ODD sont bien plus qu’une simple liste de vœux. Apprécions leur complexité, élaborons de meilleures politiques pour les mettre œuvre et… poursuivons la route !