L’analyse de Patrick Rakotoson, Président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de l’Essonne.
Les industriels ont désormais le pied à l’étrier environnemental, c’est une certitude. Mais parce que la filière est d’abord un gigantesque écosystème, l’articulation de tous ses acteurs autour des enjeux de neutralité carbone dissimule encore quelques entraves.
Le pivot vers la transition industrielle est opéré
Des aides à la décarbonation, il y en a. Cela dit, les principaux intéressés restent la clé de voûte de l’effort à fournir et des objectifs à atteindre. Il n’y a pas si longtemps, la prise en compte des émissions de CO2, bien qu’à l’esprit des entrepreneurs, en restait à l’état de fait. Trop peu d’innovations technologiques à disposition, trop peu de démarches collectives, trop de risques à l’investissement. Le pivot aussi intellectuel que matériel, aussi spirituel que substantiel, vient très certainement d’être opéré ces deux dernières années.
Et comme toujours, pour qu’une véritable transition prenne forme, la conjonction de multiples facteurs a précipité la prise de conscience autant que les mesures effectives.
Premier accélérateur, la pandémie. Si les conditions d’apparition du SARS-Cov-2 restent obscures à ce jour, la population mondiale discerne aisément, à l’origine de cette crise, le rôle prééminent de l’humain, toutes activités confondues.
Deuxième accélérateur, le marché. La survie d’une entreprise et son développement ultérieur dépendent maintenant très concrètement de la capacité de l’industriel à démontrer à ses clients et partenaires son engagement, vrai et tangible, pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre.
Troisième accélérateur, la création de dynamiques. Compétition européenne, lutte contre les délocalisations, nouvelles contraintes réglementaires, appels d’air financier et coopérations publiques/privées alimentent une volonté collective.
Des exigences opérationnelles encore difficiles à résoudre
L’objectif de neutralité carbone ne se résume néanmoins pas aux seules questions énergétiques et suggère de la part des entreprises des efforts très conséquents à tous points de vue.
Si l’acheteur public pondère déjà ses marchés sur des critères parfois très larges de RSE, le secteur privé n’est plus en reste. Les grandes entreprises, aux moyens suffisants pour développer concrètement des mesures environnementales favorables, reportent sur leurs fournisseurs et sous-traitants les mêmes exigences. Ce n’est donc pas une mince affaire, pour une structure de taille petite ou moyenne, de s’aligner.
Or, cette transition vers la neutralité repose en partie sur la délicate identification des plus gros enjeux, propres à chaque structure. L’expérience montre que ce n’est pas aussi facile que cela en a l’air. Ce sont des sujets particulièrement techniques, nécessitant des réponses souvent complexes à mettre en œuvre. Apporter les solutions les plus opérationnelles, les plus clé en main aux PME - PMI est aujourd’hui un vrai défi pour l’ensemble des organismes intervenant à leurs côtés et l’un de leurs premiers objectifs.
Encore faut-il savoir comptabiliser les efforts et évaluer de manière objective l’impact des investissements et des mesures prises. Il n’y a pas de progression sans véritable évaluation. C’est également l’outil idéal pour accompagner la soumission d’une offre à un marché public, en justifiant concrètement des améliorations. Mais à ce jour, pourtant, la majeure partie des PME continue de déclarer plutôt que de démontrer, faute de pouvoir accéder aux certifications et labellisations existantes, souvent trop coûteuses, en plus d’être récurrentes. Il y a là certainement une piste importante de simplification des processus d’évaluation à observer.
La décarbonation est une démarche collective
Parmi les leviers de la décarbonation, l’économie circulaire joue un rôle de premier plan. Bien connue dans sa phase d’écoconception à sa phase de réemploi et jusqu’au recyclage, l’économie circulaire organise également la réflexion autour de nouveaux modèles, comme celui de l’économie de la fonctionnalité. En promouvant la vente de l’usage plutôt que du produit, le modèle offre un cycle vertueux. Il fait ainsi tendre l’industrie vers une conception de qualité pour un produit durable afin que le modèle fonctionne et reste rentable. De nombreux exemples essaiment, en chimie notamment ou en manufacture.
Cependant, d’autres étapes amont restent à construire collectivement. La réutilisation des matières premières secondaires et autres matériels de chantiers et déblais forment de très importants gisements locaux. L’économie circulaire suppose alors une mobilisation de proximité, tout à la fois de ses acteurs comme de ses ressources. Or, la valorisation des matières ne peut pas exister sans foncier suffisant pour accueillir les process, généralement le point d’achoppement de ce type d’initiative. Ici, le rôle des collectivités territoriales est prépondérant pour faciliter l’accès au foncier utile.
In fine, la transition écologique est un sujet d’innovation à part entière. Au-delà de la technologie industrielle, la réflexion porte et doit porter sur nos modèles de coopération. Le rapprochement entre entreprises est un levier naturellement performant. En s’appuyant sur l’accompagnement des plus grandes, les petites entreprises entrent de plain-pied dans la R&D collaborative. L’open innovation fait émerger des startups ambitieuses sur des sujets cruciaux comme le retraitement du plastique. C’est pourquoi les CCI soutiennent activement les initiatives facilitant l’essor de la fertilisation croisée, à l’instar d’événements comme Techinnov.
Mais d’un point de vue organisationnel, il s’agit maintenant de porter les ambitions plus haut, à travers des regroupements éminemment plus opérationnels. Il y aura peut-être de nouveaux obstacles, mais tout est possible.