IFRS 16 fête cette année ses 3 ans de 1ère application et nous disposons désormais d'un recul suffisant pour faire un état des lieux précis quant au succès d'implémentation de cette norme et des outils choisis pour la mettre en place.
Marie Laure Navelot, Product Manager chez kShuttle et formatrice en normes IFRS et consolidation chez Synvance
Gregory Ponce, responsable de la practice IFRS 16 chez Synvance
1/ Trois ans, après, quel est votre bilan ? Les groupes ont-ils réussi à publier des données selon le nouveau format demandé et comment s’y sont-ils pris ?
Marie-Laure Navelot : Oui, globalement, on peut affirmer aujourd'hui que les groupes ont réussi ce tour de force (non sans mal) de publier des données quantitatives et qualitatives selon le nouveau format requis en tenant compte de toutes les spécificités d'une norme bien plus difficile à appréhender qu'il n'y paraissait de prime abord. Dans certains cas, ce travail a permis de revoir les processus de décision, de les améliorer, voire de les modifier, afin de rendre l’entreprise plus ‘agile’ dans les domaines de la contractualisation et de l’usage des biens nécessaires à son cycle de valeur.
Gregory Ponce : Pour rappel, les groupes avaient mis la priorité sur le recensement des contrats au sein de chaque filiale en phase amont de la sélection de leur outil de gestion IFRS 16. Par ce premier travail, ils avaient estimé l’impact de la norme sur leurs états financiers (niveau d’endettement, EBITDA…).
Cette étape réalisée, il fallait ensuite choisir un outil capable de répondre à un triple objectif :
- prendre en charge cette masse d'informations ;
- calculer (correctement !) le droit d'usage et l'engagement financier relatif à l'activation des contrats ;
- gérer les événements qui jalonnent la vie d’un contrat.
Ce travail de fourmi, dense et lourd d'un point de vue administratif, a nécessité l'implication de nombreuses parties prenantes dans les entreprises allant du service juridique à la DAF, avec toute la complexité qu’un travail transverse peut comporter.
2/ Quel a été l’impact de la crise de la Covid sur l’application de l’IFRS16 depuis 2020 ?
Marie-Laure Navelot : La crise de la Covid a nécessité une adaptation suite aux dispositions qui ont pu être accordées par les bailleurs pour "aider" les locataires sur l'année 2020 : rallongements des délais de paiements, périodes de gratuité… A ce titre, un amendement d'IFRS 16 de mai 2020 est venu détailler les modalités d'application de ces ajustements techniques avec de nouvelles options à la clé. Les éditeurs ont également dû proposer des solutions pragmatiques pour intégrer cet amendement et démontrer ainsi leur flexibilité et leur capacité à s'adapter à un environnement règlementaire mouvant.
Gregory Ponce : Aussi, la crise de la Covid a naturellement déplacé la problématique initiale d'une réponse solution logicielle à une nouvelle contrainte réglementaire, vers un besoin accru de prévoir l'avenir, de modéliser, sur un horizon moyen à long terme, l’évaluation des engagements financiers. En effet, la période actuelle a plus que jamais renforcé la nécessité de travailler les budgets de capex et de trésorerie. A ce titre, les contrats de location, du point de vue IFRS 16, n'échappent pas à la règle. L'évolution des taux et le niveau d'incertitude élevé d'une reprise durable contraignent les groupes à estimer rapidement l'impact des variations d'éléments entrant dans le calcul des engagements financiers liés à l'application de la norme.
3/ Du coup, qu’est-ce que cela implique en termes de capacités de projection et de simulation ?
Marie-Laure Navelot : Ces travaux budgétaires et prévisionnels exigent des solutions logicielles en place une capacité à répondre aux contraintes normatives en termes de calcul et de présentation des données mais aussi et surtout une aptitude à pouvoir simuler en masse l'impact, par exemple, d'un changement de taux d'actualisation si le taux d'endettement marginal d'un groupe est amené à évoluer. La solution IFRS 16 se doit de pouvoir apporter au consolideur la rigueur des calculs et du respect des règles de la norme, mais aussi permettre aux autres acteurs de l’entreprise d'avoir une vision claire de ce que sera l'avenir.
Le consolideur n'est donc plus la seule partie prenante de la problématique IFRS 16. Les contrôleurs de gestion et tous les acteurs de la partie FP&A s'intéressent désormais à cette thématique. A l’heure où les groupes envisagent leurs investissements à l’aulne de la durabilité, le choix des investissements et de leur mode de financement doit répondre à des critères plus performants : le seul aspect financier, même s’il reste primordial, n’est plus exclusif.