Nos entreprises sont appelées à résoudre de grands défis dans les années à venir. Savoir les anticiper nécessite d’établir en premier lieu un tableau précis des effets temporaires ou durables de la crise récente sur le tissu industriel français. Sans compréhension de ce qui a changé (ou non) pour elles durant cette crise, nos incantations à « innover » et « rebondir » risquent de rester vaines.
Le nouvel ouvrage de La Fabrique de l’industrie, intitulé L’industrie à l’épreuve de la crise : des entreprises affaiblies mais résilientes ouvre la « boîte noire » des entreprises industrielles pendant la crise économique qui a accompagné la pandémie de Covid-19. L'enquête, réalisée avec KPMG France auprès de 900 d’entre elles, révèle l’impact très hétérogène de ce choc économique, la façon dont elles se sont adaptées et dont elles peuvent tirer parti des grands défis révélés ou réactivés par la crise.
Des perdants, c’est certain, mais des gagnants ?
70 % des entreprises déclarent avoir pâti de la crise sanitaire, avec un impact différent selon les secteurs : 91 % des entreprises du secteur aéronautique ont été concernées par une baisse de la demande tandis que c’est le personnel qui a manqué à l’industrie agroalimentaire. La baisse des activités a eu des répercussions en cascade dans certaines filières. Pourtant, malgré l’ampleur du choc, l’emploi industriel est resté remarquablement stable : pour 3 entreprises sur 4 les effectifs salariés n’ont pas évolué entre mars 2020 et avril 2021. Ce paradoxe témoigne d’un recours massif à l’activité partielle. Selon l’enquête, 75 % des entreprises industrielles ont mobilisé le dispositif pendant la crise – y compris celles n’ayant pas rencontré de difficultés.
S’adapter pour survivre
L’année 2020 aura été une expérience inédite en matière d’organisation du travail. 36 % des entreprises interrogées ont mis à l’arrêt au moins un de leurs sites de production entre mars 2020 et avril 2021. Mais, en tout, 41 % ont dû repenser leur organisation pour appliquer les consignes sanitaires. Le déploiement massif du télétravail, là où c’était possible, a réveillé des inégalités anciennes dans l’industrie : en mai 2020, 57 % des cadres ont déclaré avoir exclusivement télétravaillé, contre seulement 1,5 % des ouvriers. Sur un autre plan, seules 20 % des entreprises industrielles ont modifié leurs sources d’approvisionnement au cours de la crise. Les dépendances à l’égard de certains fournisseurs étrangers n’ont donc pas donné lieu à une réorganisation massive des chaînes d’approvisionnement. Bien souvent, ce sont des instances de dialogue qui ont été mises en place, dans l’urgence, avec les fournisseurs.
Une fois la crise finie, faire face aux grands défis
On a usé de tous les superlatifs pour qualifier la reprise, jusqu’à ce qu’elle soit freinée par une pénurie de matières premières puis de semi-conducteurs. Cela a remis en évidence la forte concentration de nos moyens de production. Cependant, on est loin d’un changement de paradigme : aujourd’hui seules 25% des entreprises ayant des fournisseurs à l’étranger – qui déjà sont minoritaires – souhaitent les relocaliser. De nouvelles stratégies d’approvisionnement pourraient donc passer par une meilleure prise en compte de la criticité des produits, la constitution de stocks ou encore la diversification des fournisseurs. La digitalisation des entreprises est également un enjeu majeur. Alors que 61% des entreprises de 50 à 249 salariés et 54% des entreprises de plus de 250 salariés ont un projet de digitalisation, la proportion reste faible dans les petites entreprises (24 % pour les entreprises de 1 à 9 salariés et 31 % pour celles de 10 à 49 salariés). Le retard numérique de ces dernières pourrait donc encore s’aggraver.
A propos des autrices
Docteure en économie, Sonia Bellit est cheffe de projet à La Fabrique de l’industrie. Ses recherches portent sur l’emploi, les politiques industrielles et l’industrie du futur.
Charlène Belma est diplômée d’une licence en économie et sociologie et poursuit actuellement des études en économies internationale et du développement.