Par Patrice Gautry, Chef économiste au sein de l’Union Bancaire Privée
Dans le contexte de la pandémie, et compte tenu des enseignements tirés de la crise européenne de 2012, les politiques budgétaires de l’UE ne peuvent plus se contenter de restaurer les limites fixées par le traité de Maastricht en termes de déficit budgétaire et de dette publique, mais doivent les réviser, voire les réformer radicalement.
Afin de permettre aux Etats européens de lutter efficacement contre la pandémie, les critères de Maastricht ont été mis entre parenthèses, mais ils sont censés s’appliquer de nouveau en 2023. Il s’agit des règles en termes de discipline fiscale (3% de déficit budgétaire du PIB), de limite de la dette publique (60% du PIB) et de respect des contrôles exercés par la Commission européenne (dans le cadre du ‘Stability and Growth Pact’ (SGP), le Semestre européen donne aux Etats des objectifs à moyen terme).
Toutefois, cette échéance de 2023 paraît trop proche et impliquerait une austérité excessive pour les pays. En outre, la Commission européenne s’est lancée dans une revue stratégique de cette gouvernance fiscale.
Pour éviter la stagflation, un compromis en faveur d’une interprétation très flexible de ces règles semble être le minimum, et il est probable que naissent des axes de réforme plus nets dans le sillage du plan de relance ‘Next Generation EU’ (NGEU).
Une interprétation très flexible des règles du traité de Maastricht est le minimum requis.
De plus, avec les nouveaux objectifs environnementaux et les dépenses nécessaires au niveau des Etats, les critères de jugement de la politique budgétaire apparaissent aujourd’hui obsolètes. Il s’avère en effet que les règles liées au SGP sont complexes et, in fine, peu appliquées car les décisions politiques visant à sanctionner un pays sont toujours ajournées. Ainsi, la lenteur des réformes rend la politique budgétaire procyclique, ce qui aggrave la récession en phase de crise et empêche de restaurer les excédents en phase d’expansion soutenue. Enfin, l’austérité budgétaire s’est souvent traduite par une réduction de l’investissement public, ceci conduisant à un sous-investissement dans les infrastructures et les nouvelles technologies.
L’année 2022 promet d’âpres négociations pour redéfinir le cadre de la politique budgétaire européenne. Les travaux menés par plusieurs organismes au sein de l’UE ont abouti à quatre pistes de réflexion, avec à la clé un éventail de mesures à débattre selon la volonté et les équilibres politiques qui prévaudront en 2022.
Redessiner l’Union européenne
Même si l’Union européenne (UE) a fait face à une sévère récession durant la pandémie, elle a su montrer sa capacité de rebond et de forte mobilisation. La crise sanitaire a aussi révélé les nombreuses fragilités qui se sont installées depuis le début des années 2000, à savoir notamment une dépendance à l’égard des pays émergents pour les biens manufacturés et les médicaments, ainsi que vis-à-vis de certains débouchés à l’exportation (Etats-Unis, Chine, Royaume-Uni), et enfin une diversification industrielle et technologique inégale et insuffisante par rapport aux autres zones économiques.
1) La refonte des critères de déficit (3% du PIB) et de dette (60% du PIB) : Ces chiffres pourraient être revus à la hausse pour tenir compte du contexte actuel, mais cela passe par une modification des traités européens.
2) Davantage de flexibilité dans l’appréciation des critères de déficit et de dette mais aussi s’agissant de la vitesse d’ajustement en fonction des pays : Dans ce cadre, l’évolution de la dépense publique nette plutôt que des calculs de déficit complexes serait le pivot de l’analyse de la conduite de la politique.
Retirer l’investissement stratégique des dépenses courantes publiques dans le calcul du déficit permettrait d’assouplir les règles sans contraindre l’investissement.
3) Une transformation du NGEU en un instrument permanent : Le but serait de développer un ‘Fonds monétaire international (FMI)’ européen pour offrir des réponses budgétaires et monétaires, avec un objectif de convergence de moyen terme sur mesure, des aides cycliques disponibles, et une capacité à réagir aux chocs extérieurs grâce à des ressources propres et pérennes, permettant ainsi d’activer une solidarité et des transferts au sein de la zone euro.
4) Un rôle accru du Parlement européen dans le processus budgétaire.
Ces évolutions pourraient mettre en lumière l’utilité d’une dépense publique stratégique et accélérer l’intégration de la zone euro. La résistance aux chocs extérieurs a été cruciale ces dernières années, soulignant le besoin d’une action coordonnée sous l’angle budgétaire et monétaire. Enfin, l’enjeu est que la dette européenne et celles des Etats membres restent soutenables, tant aux yeux des contribuables que des marchés, alors qu’elles ont augmenté au fil du temps et des crises passées.
L’espace politique et économique de l’UE a été redessiné par la sortie du Royaume-Uni et par les réponses apportées lors de la pandémie : la création d’un plan de relance et d’intervention (‘Next Generation EU’ - NGEU) et la mise en place de mécanismes de transfert entre Etats fournissent en effet les bases d’un espace commun disposant de nouveaux outils d’intervention à un moment où les règles du traité de Maastricht sont réexaminées.
L’union monétaire constitue la pierre angulaire de l’édifice européen ; elle a évité une fracture de la zone euro et mis en œuvre de nouveaux soutiens au travers des achats d’obligations d’Etat et d’entreprise, avec en outre une redéfinition de l’objectif d’inflation de la BCE. Toutefois, cette zone monétaire ne peut pallier l’absence d’union sur d’autres secteurs, et il s’avère que certains chantiers, comme l’union bancaire, peinent encore à être finalisés.
L’UE a jeté les bases d’un nouveau fonctionnement de la zone, avec l’émission de dette commune ainsi que des transferts entre Etats par le biais du fonds NGEU. Bien qu’elle ne se traduise pas encore par une véritable union budgétaire, cette action collective s’installe en parallèle des actions nationales et ouvre la voie à d’autres réformes. La zone euro est ainsi à un tournant, qui, si la volonté politique est manifeste, permettrait de redéfinir les principes de son action et de contribuer à une plus forte intégration au sein de l’UE. Ce dernier point a été mis en avant par le parti socialdémocrate (SPD) et les Verts lors de la récente campagne électorale allemande, et il fait écho à la stratégie de la France, qui présidera le Conseil de l’UE au premier semestre 2022, mais également aux choix budgétaires et politiques des Premiers ministres espagnol et italien.
Les défis pour la zone euro sont importants et vont au-delà de l’aspect monétaire et budgétaire pour bâtir une Europe de la santé (production et distribution), de l’énergie (groupement et stockage stratégique), et de la défense, avec en outre une politique étrangère plus présente. Enfin, l’Europe du climat se construit, et les échéances budgétaires et réglementaires se mettent en place.
La zone euro a peut-être une chance à saisir avec ces outils à disposition et une volonté politique renouvelée. Cette nouvelle approche aura des impacts majeurs à moyen terme, et ceux-ci pourraient conduire à une croissance potentielle supérieure, mettant fin au déclin de la productivité et aux contraintes du vieillissement de la population. L’attrait accru pour les nouvelles technologies, lié aux préoccupations climatiques et à la mutation de l’industrie traditionnelle, apparaît comme une chance, mais aussi comme une obligation au vu des ambitions affichées par les Etats-Unis et la Chine.
L’UE deviendrait ainsi plus autonome et moins exposée aux chocs économiques et politiques provenant des autres zones. Son cycle de croissance reposerait alors davantage sur sa demande intérieure ainsi que sur une meilleure intégration permettant de profiter de synergies régionales et sectorielles. Enfin, en termes géopolitiques, une zone euro forte et unie répondrait à la montée de l’isolationnisme américain observé ces dernières années et au centrisme chinois qui ne fait que s’exacerber.