L'annonce, le 11 novembre, du lancement de la « Beyond Oil and Gas Alliance » (BOGA) pourrait ouvrir une brèche dans les négociations sur le changement climatique. Visant à regrouper des pays et juridictions qui s'engagent à progressivement ne plus délivrer de permis d'exploration et de production d'hydrocarbures, cette nouvelle alliance devrait dans l'idéal permettre de faire entrer par la fenêtre un sujet, la sortie des énergies fossiles, qui, en presque 30 ans de négociations, n'a jamais pu être mis à l'ordre du jour. Dans une note d’information, le T-lab décrypte ces enjeux et les défis qui restent à relever.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, en presque trente ans de négociations internationales sur le changement climatique, il n'a jamais été question de débattre de l'avenir des énergies fossiles et de la façon d'en réduire l'exploitation. Alors que les énergies fossiles représentent près de 90% des émissions mondiales de CO2 et 70% des émissions totales de gaz à effet de serre, limiter à la source la production de charbon, de gaz ou de pétrole n'a jamais été à l'ordre du jour. Le terme « énergies fossiles » est même absent de l'Accord de Paris. Depuis le sommet de Rio en 1992, les Etats se sont en fait entendus autour d'un principe quasiment inviolable : « notre mix énergétique national n’est pas négociable ».
On ne manque pourtant pas d'études scientifiques énonçant clairement les données du problème : une très grande part des réserves de pétrole, de gaz et de charbon que les Etats et entreprises du secteur prévoient d'exploiter dans les années à venir ne doivent pas l'être si l'on veut avoir une chance raisonnable de rester en deçà de 1,5°C. Une étude récemment publiée montre même que cela reviendrait à organiser une baisse de la production de gaz et de pétrole de 3% par an jusqu’en 2050 et de 7% pour le charbon.
Baisser la production de ces ressources fossiles n'est pourtant pas l'objet de l'accord de Paris ni celui de la négociation lors de la COP26. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, les Etats prévoient même de produire deux fois plus d'énergies fossiles que l'objectif de 1,5°C ne le permet. TotalEnergies veut ainsi augmenter de 25% sa production d'hydrocarbures d'ici à 2030, tandis qu'il est toujours aussi difficile, y compris en France, de mettre fin aux soutiens publics dont bénéficie ce secteur.
Le lancement par le Costa-Rica et le Danemark de la « Beyond Oil and Gas Alliance » (BOGA) le jeudi 11 novembre pourrait ouvrir une brèche. Non que la programmation de la sortie des énergies fossiles deviendrait immédiatement un objet de négociation en tant que tel : ces alliances, fort nombreuses, se constituent en parallèle des négociations proprement dites, et relèvent de la déclaration, sans rien de contraignant. En outre, elles restent le plus souvent muettes sur les procédures et mécanismes de mise en œuvre et de contrôle des objectifs annoncés.
Néanmoins, cette nouvelle alliance, qui regroupe des pays et des juridictions qui s'engagent à progressivement ne plus délivrer de permis d'exploration et de production d'hydrocarbures, est la première initiative diplomatique qui articule engagements climatiques et sortie programmée des énergies fossiles. Loin de se limiter à des restrictions sur les financements de nouvelles infrastructures ou au désinvestissement progressif des entreprises du secteur fossile, cette nouvelle alliance fait de l'interdiction, ou des restrictions, de l'exploitation de nouveaux gisements un levier de l'action climatique.
Cette annonce est clairement une évolution positive qui vient légitimer toutes les luttes menées pour s'opposer à l'exploitation de nouveaux gisements et d'autre part clairement indiquer qu'il n'est plus possible d'envisager la lutte contre les dérèglements climatiques sans envisager la fin des énergies fossiles.
L’annonce de cette nouvelle coalition va-t-elle permettre que le terme « énergies fossiles » soit intégré à l’accord de Glasgow, ce document qui en fin de COP regroupe les engagements officiels pris par les Etats dans le cadre de la négociation ? Ce n’est pas certain mais si la formulation retenue dans le brouillon de la décision est maintenue, nul doute que Glasgow aura contribué à légitimer les actions militantes, politiques et juridiques visant à faire fermer des infrastructures d’énergies fossiles.
A l’échelle nationale, le gouvernement français, qui a décidé de rejoindre cette alliance, va tout de suite passer un stress-test à ce sujet : la ministre de la transition écologique Barbara Pompili est en effet saisie d’une demande de permis pour que la Française de l’Énergie (anciennement European Gas Limited) exploite le gaz de couche en Lorraine (hydrocarbure non conventionnel, gaz enfermé dans les couches de charbon), ce qui pourrait représenter un potentiel de 400 puits de forage en Moselle sur un territoire de 191 km².