Par Michaël Levy, Associé - Gérant de Flex 360 et Responsable de la multigestion.
Habituels en temps de crise, les mouvements de Flight to Quality ont changé de nature, depuis plusieurs mois. La configuration de marché qui s’est dessinée à la faveur d’une nouvelle cartographie des risques oriente en effet les flux d’investissement à la recherche de sécurité dans des directions inédites. D’un côté, les actifs réputés sans risque ont atteint des niveaux de valorisation qui leur ôtent toute perspective de rendement réel, au moment où la confiance dans les simples dépôts bancaires commence à s’éroder. De l’autre côté, certains segments des marchés d’actions séduisent un nombre croissant d’investisseurs jusqu’à récemment rétifs au risque.
D’un point de vue géographique, c’est le cas des marchés américains, britanniques ou suisses (en forte hausse ou plus ce premier trimestre, par opposition à des marchés d’Europe du Sud en berne).
D’un point de vue sectoriel, certains titres, comme dans la santé, surperforment largement des valeurs cycliques en manque de croissance économique.
La voilà, la nouveauté : les investisseurs se sentent aujourd’hui plus en sécurité en s’orientant vers les actions de sociétés en mesure de générer du cash, grâce à des modèles économiques réputés à la fois rentables et résilients, que vers certains produits de taux surévalués.
Comment expliquer cette tendance ? En réalité, les investisseurs ne font que suivre les injonctions des banques centrales, qui tentent (avec succès) de faire oublier la réalité des marchés au seul profit de l’efficacité de leurs choix de politique monétaire. Les critères fondamentaux de valorisation sont devenus un critère marginal pour emporter une décision d’investissement. Ce qui compte avant tout, c’est ce que les banques centrales pointent ostensiblement du doigt.
Le tout nouveau gouverneur de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda, a expliqué qu’il était prêt à mettre en œuvre « tout ce qui peut l’être » pour sortir le pays de la stagnation économique dans laquelle il est englué depuis deux décennies. Résultat : prémices d’un essor programmé de la croissance de la masse monétaire, ces propos ont provoqué une accélération du rally du Nikkei 225, qui a déjà bondi de près de moitié en seulement six mois, allant jusqu’à renforcer la détente des rendements des emprunts d’Etat européens périphériques.
Cette rhétorique rappelle le discours de Mario Draghi, lorsqu’il annonçait il y a quelques mois son programme de rachat potentiellement illimité de dettes de la zone euro. Résultat : si elle n’a pas éradiqué tout risque systémique au sein de la zone euro (la réplique chypriote vient de le rappeler), cette posture a provoqué une forte baisse du rendement des emprunts des Etats espagnols et italiens, dont les écarts vis-à-vis du Bund allemand se sont rétrécis à respectivement 350 et 310 points de base (voire près de 50 pour la France !)
Si cette nouvelle donne doit être prise en compte par les gérants et les investisseurs, dont les choix sont désormais largement balisés par les banques centrales, elle n’est pas dénuée de risque. Artificiellement maintenue, cette dislocation entre les niveaux de valorisation et les fondamentaux de marché finira en effet par se combler.
Reste à savoir quand et à quelle vitesse. Pour les gérants et les investisseurs, tout l’enjeu réside donc dans la nécessité de composer avec cette schizophrénie sciemment entretenue, sans perdre de vue la force de rappel que constitueront tôt ou tard les fondamentaux de marché.
Les traders de Wall Street l’expliquent bien en rappelant que s’il ne faut jamais combattre la Fed, il est impossible de lui accorder une confiance aveugle (« Don’t fight the Fed. But don’t trust it either »). Dit autrement : la décote propre à certains actifs injustement délaissés représente aujourd’hui une opportunité inédite pour se positionner à bon compte, dans la perspective d’une normalisation des stratégies monétaires.
La puissance de feu des banques centrales, si elle oriente les marchés à court terme, ne doit pas faire oublier les convictions propres aux gérants.