Par Michel Rességuier, président de Prospheres dirigeants
La systématisation des PGE a créé une distorsion artificielle des bilans, amenant un grand nombre d’entreprises à se lancer dans des stratégies de regroupement. Or ces opérations ont rarement les succès escomptés. Le problème provient souvent d’une gouvernance excessivement centralisée et verticale qui conçoit la trajectoire des entités du groupe par le seul prisme de l’acquéreur. La solution : appliquer aux entités du groupe le principe de subsidiarité.
Les filets de sécurité mis en place par le gouvernement ont permis aux entreprises de résister à l’atonie, voire à la disparition de toute visibilité sur leur activité. Et c’était bien le but. Mais cette profusion de liquidité a eu une autre conséquence. Cette dette à faible coût et aux conditions de remboursement très favorables, a en effet créé une distorsion artificielle des bilans, solvabilisant anormalement les entreprises et suscitant des velléités de croissance externe dans des proportions inédites. Les exemples se multiplient ces derniers mois de ces entreprises lancées dans des stratégies de buildup et transformées de façon opportuniste en pôles de consolidation au sein de leur secteur. Des stratégies souvent soutenues par les fonds de capital-investissement eux-mêmes, sommés d’employer les masses de capitaux levés au cours des dernières années.
Le risque de faire dévier les filiales de leur raison d’être
A priori, rien d’inquiétant à cela. Ces opérations reposent en effet sur une vision industrielle généralement bien réelle, élaborée autour de leviers de création de valeur clairement identifiés : mutualisation de moyens, acquisition d’actif stratégique, relais de croissance, complémentarité business, etc. Mais voilà, dans les faits, ces opérations sont très souvent destructrices de valeur. Pourquoi ? La raison provient de l’attention souvent excessive portée par l’entreprise acquéreuse à sa seule vision, de la survalorisation de son propre prisme et donc de la méconnaissance des spécificités propres aux sociétés acquises. Loin d’être mutuellement bénéfique, ce biais amène ainsi les acquéreurs à prendre involontairement des décisions contre-productives pour les filiales. Il brise en retour la dynamique de ces dernières, allant parfois jusqu’à les faire dévier de leur raison d’être. Résultat : leur potentiel de création de valeur intrinsèque s'atrophie et l’acquéreur détruit plus de valeur dans les entreprises acquises qu’il n’en gagne sur sa propre activité.
Une stratégie requiert en effet un discernement exigeant de la singularité de la société concernée et un fort engagement de ceux qui l'exécutent. Ces deux dimensions sont d'ailleurs fortement corrélées, car l'Homme aime faire ce qu'il fait bien et fait bien ce qu'il aime. De ce point de vue, une stratégie n'est qu'une déclinaison de la vocation de l'entreprise : elle est toujours spécifique à celle-ci. Si l'acquéreur plaque ses propres croyances sur la singularité de sa cible, il l'atrophie nécessairement.
Le risque de destruction de valeur est renforcé par la nature-même des opérations de buildup au sein du périmètre des fonds d'investissement, dont le volume des acquisitions impose une vision systématique et quasi-industrialisée de leurs participations, dans un contexte où le prix des cibles n’a guère baissé, loin s’en faut : à ce jour, l'excès de liquidités injecté par les gouvernements pour amortir les conséquences de leurs décisions au titre de la lutte contre la Covid-19, n'a généré de l'inflation que dans la valeur des entreprises (même s'il est probable que cette inflation se répandra tôt ou tard dans une large part de l'économie au cours des prochains mois).
La solution est organisationnelle, voire philosophique et psychologique
Les buildups sont-ils pour autant condamnés ? En aucun cas. Ils doivent juste s’appuyer sur une gouvernance moins centralisée et moins verticale en limitant au maximum l’impact d’une décision exogène arbitraire sur la trajectoire des entreprises acquises. En clair, les acquéreurs doivent appliquer à l’ensemble de leur groupe, le principe de subsidiarité selon lequel les dirigeants et les équipes des sociétés acquises doivent conserver le champ décisionnel le plus large possible afin d'être en mesure de sanctuariser et de développer leur singularité sur leur marché. En parallèle, les acquéreurs doivent lutter contre la tentation naturelle de réorganiser leurs filiales nouvellement acquises selon leur seul prisme.
Un buildup réussit mieux lorsque la cible pilote, configure et dimensionne son intégration dans son nouveau groupe d'appartenance, avec le souci de créer de la valeur pour elle-même grâce à cette nouvelle relation privilégiée. À cette proposition qui peut sembler audacieuse, certains objectent que la filiale doit se voir imposer des sacrifices dans l'intérêt supérieur du groupe. Mais cette objection est un trompe-l'œil. En effet, si une action de la fille détruit une part de sa richesse afin de contribuer une plus grande valeur positive dans le groupe consolidé, alors une autre entité du groupe a mathématiquement les moyens de plus que compenser l'effort consenti par ladite filiale. Il suffit donc d'indemniser la filiale pour qu'elle se retrouve belle et bien gagnante.
Rien d’insurmontable, donc. Les raisons des échecs étant avant tout organisationnelles, voire dans certains cas psychologiques, l’attention des acquéreurs et le cas échéant, de leurs sponsors financiers, doit s’attacher autant à valider la stratégie du nouveau groupe qu’à mettre en place un équilibre des pouvoirs plus vertueux.