Par Marc Rousselle Associé au sein de la practice Strategy Marketing & Sales de Keyrus Management.
La crise sanitaire du printemps 2020 n'avait pas fait dévier les entreprises de leur cap : une fois la période de sidération de mars passée et les mesures d'urgence traitées (RH, Trésorerie), les moins impactées d'entre elles par les restrictions de déplacement semblaient avoir repris tant bien que mal leur plan de route.
Les premières vagues de l'épidémie et les conséquences économiques avaient fait émerger dans tous les secteurs d'activité des constats parfois douloureux d'un retard patent voire d'une inadaptation à la nouvelle donne économique et sociétale : un monde résolument digital, connecté, dans lequel l'entreprise devra s'adapter à des modes d'échanges et de consommation qui évoluent continuellement.
La deuxième vague d'offensive du Covid-19 à l'automne dernier a apporté une nouvelle réalité : l'exercice de prévision et d'anticipation à moyen et long terme est devenu chaque jour plus incertain. Les actionnaires en avaient déjà pris acte au printemps. D'une enquête menée dès le printemps 2020, il était clairement ressorti que la plupart des arbitrages effectués au sein des entreprises répondaient désormais à des attentes prioritaires de ROI à court terme.
Dans ce contexte, l'heure est-elle encore pour les dirigeants aux grandes stratégies ?
Il semblerait que le pilotage à vue leur ait été imposé et les ait plutôt conduits à passer directement de la vision d'ensemble au plan tactique, décidé dans la hâte du quotidien.
Il ne faudrait cependant pas tomber dans le piège consistant à confondre agilité et versatilité : rester cohérent pour préserver le « sens » de la mission de l'entreprise auprès de ses clients et de ses collaborateurs est sans doute le défi aujourd'hui le plus important du dirigeant.
Le « système D » qui s'est illustré au printemps n'a qu'un temps. Pour bousculer les habitudes et faire changer ses fondamentaux, les équipes marketing et commerciale, vont devoir gérer la schizophrénie de cet horizon à double focale :
- nécessité d'être frugal dans les dépenses de communication tout en assurant le niveau de visibilité nécessaire pour rassurer les clients,
- être sur le pont au quotidien pour assurer les ventes du jour, de la semaine ou du mois tout en dégageant le temps incompressible à la transformation du métier, et cela souvent en effectif réduit.
Car cette transformation nécessite du temps, et c'est bien ce qui semble aujourd'hui manquer à l'entreprise. A titre d'exemple, faire évoluer l'expérience clients ne se résume pas à quelques coups de pinceau sur un parcours digital ou une action promotionnelle en boutique : cela implique de modifier le schéma de distribution et les canaux relationnels, dont l'utilisation en soi repose elle-même sur la construction d'un socle de connaissance client unifié qui fait régulièrement défaut.
Quelle est alors la bonne feuille de route des dirigeants pour sortir « par le haut » de l'impasse apparente dont la crise sanitaire n'a fait qu'accentuer les dilemmes nés d'une transformation de nos écosystèmes initiée depuis plus d'une décennie ?
Quel exercice complexe que de demander aux dirigeants et à leurs managers, plongés dans l'incertitude de ce que sera leur environnement demain, de construire une feuille de route cohérente et porteuse de sens pour l'entreprise !
Imaginons des joueurs rassemblés pour construire un puzzle dont personne ne voit l'image finale sachant que chacun ne dispose que de quelques pièces sans les avoir nécessairement partagées avec ses partenaires de jeu…
Une enquête menée à l'issue du premier confinement avait mis en lumière l'aptitude des dirigeants à gérer l'urgence avec efficacité : il leur faudra dans les prochains mois, les prochaines années, démontrer leur capacité à construire l'avenir. Les voies pour y arriver sont multiples, les arbitrages seront difficiles.
En effet, les chantiers à mener s'attaquent aux « fondamentaux » de l'entreprise, avec des enjeux à la fois transverses et spécifiques aux différents métiers.
Dans ce cadre, le Marketing et le Commerce sont en première ligne avec une feuille de route conséquente : repenser l'expérience client, priorité numéro 1 citée, à travers une nouvelle promesse à la fois digitale et humaine, individualiser la relation, opérer un ancrage local plus en proximité. Relever ces défis implique le développement de moyens et savoir-faire data et digitaux importants, au service de plans d'actions dont l'efficience - non plus l'efficacité - devra être mesurée et démontrée.
Ce puzzle de chantiers se traduit au quotidien par une imbrication plus forte des activités marketing et commerciales. S'il n'existe pas de « règle magique » pour aider le dirigeant à sa construction, l'entreprise doit identifier ses propres clés pour en assembler les différentes pièces à travers un nouveau modèle opérationnel. Le succès du futur modèle exige des changements culturels forts nécessaires pour adapter la transformation digitale déjà initiée à la nouvelle donne du marché et l'accélérer dans sa mise en œuvre.
En souhaitant aux dirigeants qu'ils trouvent rapidement les clés pour éviter que le puzzle ne devienne un casse-tête : bonne et fructueuse transformation !