Par Hymane Ben Aoun, fondatrice d'Aravati, présidente de Syntec Conseil et Directrice générale du groupe Teaminside
Après un an de pandémie, le mode de gouvernance des entreprises apparaît brutalement challengé. Les cartes du business ont été rebattues en faveur des canaux numériques et les effets de la crise ont entériné une fois pour toute la montée en puissance du digital dans tous les métiers : de la réorganisation des process de production et de distribution, en passant par le marketing et la communication, jusqu’à la gestion des ressources humaines. Trop longtemps cantonnés à un rôle opérationnel, les experts dans ce domaine sont aujourd’hui appelés à siéger au plus haut niveau de décision. Une question cependant se pose : ces responsables digitaux doivent-ils remplacer les actuels directeurs de BU à la table du comité exécutif ?
Un mode de direction à reconsidérer
À l’occasion de cette crise, nombre de sociétés industrielles françaises se sont posées la question de la relocalisation de leur production, notamment quand leurs fournisseurs ont ralenti ou suspendu leur activité et que les frontières se sont fermées. Jusqu’alors, dans les comités de direction, on pensait surtout « cost killing » et flux tendu. Les problématiques de transformation, les projets liés à l’innovation et à la digitalisation des process n’avaient pas réellement voix au chapitre au niveau des instances dirigeantes, en dehors du directeur de la transformation. Tous ces sujets n’étaient pas suffisamment entendus et défendus. On se limitait souvent à agir par petites touches. Désormais et au regard des derniers événements, les entreprises sont amenées à repenser en profondeur leur mode de gouvernance, dans lequel le digital apparaît fondamental. Comment s’organiser pour être moins dépendant et plus efficient ? Comment s’adapter sans attendre le monde de demain ? À l’évidence, le business a changé et les mentalités ont évolué. De nombreux exemples le prouvent.
Le business model en pleine mutation
Il y a quelques années à peine, on estimait que le business model historique serait mis à mal quand la part de marché des canaux digitaux se situerait entre 15 et 25%, selon les secteurs. C’est à partir de ce seuil que l’on identifiait le point de rupture et l’entrée dans une nouvelle ère. Que dire aujourd’hui quand on sait qu’une entreprise comme Nike réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires dans le e-commerce et qu’elle dépense plus de 50% de son budget média dans le digital ? En 2020, sur 38 milliards de chiffre d’affaires, l’équipementier sportif a enregistré une croissance de 82% en e-commerce. C’est phénoménal ! Et ce qui est vrai pour Nike, l’est aussi dans une moindre mesure pour d’autres groupes, à l’image de L’Oréal. Le leader mondial des cosmétiques entend bien faire croître encore son business digital, sans rien perdre côté magasins. Et n’allez surtout pas croire qu’on en reviendra, après l’éradication de la Covid, au bon vieux modèle 20/80 en faveur du retail traditionnel. Le vieux monde a vécu et les habitudes prises pendant un an vont s’ancrer durablement.
Depuis la réouverture des magasins, on ne constate pas d’effet de bascule et l’on est en droit de penser que les chiffres vont s’additionner. À partir de là, puisque le digital est partout, comment l’incarner suffisamment au plus haut niveau des entreprises ?
Une place de choix pour le digital dans les instances dirigeantes
Le fait que Julie Walbaum, l’ancienne directrice e-commerce de Maisons du Monde, soit devenue directrice générale de l’enseigne est un signe des temps. Pour accélérer la transformation, vaincre les peurs et la résistance au changement, les entreprises se doivent désormais d’incarner les fonctions digitales au plus haut niveau de leurs instances exécutives. Il s’agit pour elles d’intégrer ces nouveaux enjeux à leurs discussions stratégiques, à leur vision et à la planification de leurs actions. Quand une marque vend majoritairement en ligne, sur son site et sur les marketplaces, réalisant la moitié de son chiffre sur des canaux virtuels, elle se doit de faire monter les compétences digitales dans ses prises de décisions. Et ce, pour tous ses métiers, y compris la gestion des ressources humaines, domaine dans lequel la crise sanitaire a révélé l’urgence de faire évoluer les systèmes d’information. Un modèle de transition consisterait par exemple dans la mise en place, au-delà du CDO, “d’implants digitaux forts” au sein des comités exécutifs. C’est sur la base de ce passage de relais progressif que l’économie parachèvera une mutation devenue cruciale.