Quel lien entre sensibilité au climat et rendement des obligations des entreprises privées dans la zone euro ?
Dans le cadre de la chaire de recherche et d’enseignement « Finance Reconsidered: Addressing Sustainable Economic Development », une étude a été réalisée au cours des derniers mois sur le thème de la finance climat. Cette recherche, intitulée « ESG & Fixed-Income - Climate Sensitivity in EURO Corporate Bonds » et menée par Ricardo Henriquez, étudiant du MSc Sustainable Finance de Kedge et doctorant au sein de la chaire, a pour but de comprendre le lien entre sensibilité au climat et rendement des obligations d’entreprises privées dans la zone Euro (ou comment l’exposition au changement climatique des entreprises de la zone Euro affecte les rendements de leurs emprunts obligataires).
Depuis les accords de Paris en 2015, ayant pour objectif de limiter le réchauffement à +1,5°C à horizon 2100, la règlementation pousse les investisseurs financiers à intégrer les risques climat dans leur stratégie et à les reporter de manière transparente avec une exigence d’impact. Récemment, l’UE, dans le cadre de son plan sur la finance durable, a mis en place une règlementation stricte pour la divulgation d’information (Sustainable Finance Disclosure Regulation, SFDR) ainsi que la taxonomie verte (classification servant à mesurer la durabilité de 70 activités économiques représentant 93% des émissions de gaz à effet de serre (GES), et servant de guide aux investisseurs pour aligner leur épargne et leurs investissements avec cette exigence).
L’étude identifie quelles obligations supportent le mieux les risques climatiques règlementaires. Un portefeuille qui intègre des actifs plus sensibles aux règlementations climatiques présentent des expositions majeures à des facteurs de risque communs (risque de liquidité, risque de défaut, risque de baisse associé aux pertes) sur le marché obligataire, sachant que le marché n'a pas complètement intégré les risques climatiques dans les prix des obligations. Dans un contexte européen se transformant et devenant plus strict en termes d’objectifs, la sensibilité climatique ne doit plus être sous-estimée.
Le plus souvent, l'analyse extra-financière dépend des scores ESG des prestataires externes type agences de notation spécialisées et fournisseurs de données financières et ESG. En raison de l'absence de consensus sur les méthodologies de scoring ESG, l’évaluation devient encore plus difficile pour les obligations d'entreprise car les scores ESG sont liés aux pratiques des sociétés et non aux caractéristiques propres aux obligations.
Pour surmonter ce biais d’évaluation et estimer le risque climatique d’un actif, la méthodologie de recherche évalue la sensibilité climatique via la construction d’un indice sensibilité climat (Climate Awareness Index) intégrant une série d'actualités comme source externe d'informations climatiques. Ces actualités climatiques sont issues du Media and Climate Change Observatory (MeCCO) qui surveille 120 sources (journaux, radio, télévision) dans 54 pays à travers le monde. L’échantillon intègre les couvertures des journaux concernant les sujets liés au changement et au réchauffement climatique au niveau européen (31 journaux). Ainsi, l’étude permet de fournir un Climate Change Beta qui reflète l’intensité du risque climatique des obligations d’entreprise de l’échantillon. Mobilisant une analyse multifactorielle, les données de l’indice sensibilité climat sont ainsi croisées avec les rendements en contrôlant les niveaux de risque (liquidité, crédit, risque de baisse, climate change beta) de plus de 3100 obligations d’entreprises européennes, sur la période 2015-2020.
La recherche démontre que les obligations avec un niveau de risque climatique (Climate Change Beta) plus élevé sont associées à des rendements futurs plus faibles. L’effet du risque climatique est plus prononcé durant les périodes à haute sensibilité climatique, situées à proximité de conférences mondiales sur le climat. Au niveau sectoriel, les industries qui sont les plus sensibles à l’actualité climatique ne sont pas pour autant les plus émettrices de CO2 (par exemple, le secteur immobilier n’est pas le plus émetteur mais il est lié au droit immobilier, qui est fortement régulé sur les enjeux climat). Enfin, les obligations à maturité plus longue sont plus affectées par l'actualité climatique, en lien avec l’évolution des objectifs définis par l’UE à horizon 2030 et 2050 (avec des objectifs de baisse des émissions de GES d’au moins 55% par rapport aux niveaux de 1990, et « net-zéro » à l’horizon 2050, les obligations dont la date d'échéance est antérieure à ces échéances climatiques sont moins affectées).
Cette étude de recherche a été menée par Ricardo Henriquez, assistant de recherche à KEDGE, et supervisée par Christophe Revelli, Professeur à KEDGE et titulaire de la chaire, et Philippe Bertrand, professeur affilié à KEDGE.