Par Cor Dücker, Kempen Capital Management, International business development manager
Alors que maintes publications et de nombreux régulateurs battent le tambour en faveur des stratégies de gestion passive et des ETF, il semble utile de prendre du recul et de comprendre pourquoi le secteur s’est lancé sur ce segment.
A l’issue de la seconde guerre mondiale, l’analyse fondamentale révolutionna la gestion en se concentrant sur une analyse approfondie des bilans et sur les prévisions de cash flow. Graham et Dodd font figure de pionniers en la matière et leur influence se fait encore fortement sentir aujourd’hui. L’approche de gestion employée dans les années 50 et 60 restait active, mais avec l’introduction, par Harry Markowitz, de modèles mathématiques empruntés à l’ingénierie industrielle, le centre de gravité s’est éloigné de l’approche « rendement » pour se déplacer vers celle de la diversification. Selon Markovitz, augmenter le nombre de titres dans un portefeuille réduirait le niveau de risque général et «optimiserait » les investissements. Cette évolution déboucha sur la conviction grandissante de « l’efficience des marchés financiers” qui surgit dans les années 70.
Cette foi dans le pouvoir des mathématiques appliquées à la finance connut son apogée lorsqu’apparurent des publications telles que « A random walk down Wall Street » par Burton Malkiel. L’ouvrage y stipule que le défi de “battre” les marchés en recourant à la gestion active pour la construction d’un portefeuille actions était similaire à Sisyphe condamné à rouler son énorme rocher jusqu’en haut d’une colline. Entre-temps la société Vanguard s’était fortement développée en offrant des fonds passifs peu onéreux qui répliquaient les indices de marché. Des indices théoriques tels que le S&P 500 devinrent de facto la référence servant à mesurer tout type d’investissement traditionnel. Les fonds passifs réussirent à “coller” au plus près de ces benchmarks (par construction bien sûr), tandis que les performances des gérants adeptes de la gestion active affichaient des écarts par rapport aux indices. Séduits par la beauté mathématique des modèles de marchés efficients, les universitaires confirmèrent aussi en masse, recherche à l’appui, que la gestion active n’apportait « en moyenne » aucune valeur ajoutée et ne soutenaient pas la comparaison avec ces indices passifs. Craignant de perdre des clients lorsque les fonds sous-performaient, bon nombre de gérants adeptes de la gestion active réduisirent leur risque face à ces benchmarks, se rapprochant ainsi de la gestion passive et écornant leur raison d’être par la même occasion. Il en résulta une perte de valeur ajoutée pour l’industrie de la gestion active dans son ensemble, confirmant ainsi apparemment la théorie des marchés efficients.
Alors que plus personne ne croit dans des marchés parfaitement efficients depuis les crises financières de 2000-2003 et de 2007-2008, son principal corollaire, la montée en puissance des produits indiciels, ne faiblit pas. Et c’est bien dommage.
La gestion active est un métier et, comme dans tout métier, les résultats dépendent de la qualité du travail fourni. Juger de cette qualité relève du défi, car la gestion active d’un portefeuille actions constitue une activité hautement qualifiée dans un environnement complexe. Mais cela ne signifie pas qu’il faille y renoncer.
Les principales conclusions de la recherche universitaire dans ce domaine indiquent que les gérants adeptes de la gestion active qui se concentrent clairement sur une seule stratégie d’investissement, qui pratiquent une gestion réellement active de leurs portefeuilles et qui ont placé leur propre argent dans les fonds qu’ils gèrent, tendent à apporter de la valeur ajoutée et ce, de manière substantielle. La qualité du travail est fournie par de petites équipes de professionnels.
Cela posé, les gérants pratiquant la gestion active jouent un rôle crucial dans la société car ils maintiennent l’efficience de l’allocation du capital. La montée en puissance des classes moyennes dans le monde occidental a débouché sur une énorme progression de richesse. Il y a un siècle, les sociétés étaient contrôlées par des familles actionnaires ; aujourd’hui les actionnaires sont essentiellement des fonds de pension, des compagnies d’assurance et des « mutual funds » qui drainent une multitude de petits actionnaires dans leur sillage. Ces derniers tablent sur ces fonds pour atteindre leurs objectifs d’épargne. Les gérants adeptes de la gestion active entrent en discussion avec les CEO et les directeurs financiers des sociétés dans lesquelles ils investissent afin qu’ils améliorent leurs business models et leur comportement. Ils suivent de près le management de ces sociétés et sont prompts à pointer les faiblesses de leurs plans et projets. Tous ces petits investisseurs ont besoin d’une voix qui défende leurs intérêts et maintienne la viabilité du système d’actionnariat public. Les ETF ne remplissent pas un tel rôle; ils suivent aveuglément les règles mathématiques d’un indice pour atteindre leurs objectifs.
Nous ne pouvons pas sacrifier l’avenir de notre modèle d’actionnariat public à des règles mathématiques utilisées par la gestion passive. Continuer à investir dans la recherche afin d’identifier le meilleur moyen d’atteindre les objectifs de rendement de long terme constitue la seule manière de préserver notre système actuel. Ne nous laissons pas duper par des alternatives simplistes.