De l'importance de la transparence dans l'approche ESG
La transparence, le maître mot de l'approche ESG
Nous souhaitions avoir un point de vue extérieur, car nous pensons que cela est essentiel pour mieux comprendre les métriques et les reportings nécessaires dans notre secteur. À cette fin, nous avons invité pour ce dernier épisode Philip Kalus, fondateur et directeur associé d'Accelerando Intelligence, une société de conseil en matière de distribution de fonds en Europe.
Comment décrire actuellement le secteur de l'investissement responsable et de l'ESG ?
Selon nous, il y a aujourd'hui beaucoup de communication autour de l'ESG et de l'investissement responsable, mais nous sommes en réalité encore à un stade relativement précoce pour de nombreuses sociétés de gestion du côté opérationnel. De nombreux gérants prennent des mesures, mais il y a beaucoup de différences entre eux en réalité. Par exemple, certains gestionnaires d'actifs sont déjà assez avancés sur le G (gouvernance) ou le E (environnement), mais le développement n'est pas égal sur tous les critères.
Parallèlement, il est aussi essentiel que les sociétés de gestion fournissent des preuves aux investisseurs, par exemple en termes de rapports ESG. Et pas seulement sur les fonds ESG, mais en fait sur tous les fonds disponibles. Nous avons effectué des recherches sur ce qui est actuellement disponible publiquement en termes de rapports ESG au niveau de l'ensemble du secteur et le résultat est en fait très décevant. La plupart des acteurs de l'industrie de la gestion d'actifs parlent des questions ESG par le biais du marketing ou de déclarations de principe, mais du point de vue des investisseurs, si vous cherchez vraiment des preuves, comme l'empreinte carbone d'un fonds spécifique, ce qui est réellement disponible au public est en fait très limité. Et le secteur de la gestion d'actifs a beaucoup de travail à faire sur ce point de manière générale.
Pour être crédibles, les sociétés de gestion devraient en effet être plus ouvertes à la communication d'un point de vue général, mais surtout au niveau des fonds. Se contenter d'afficher des principes et des messages ESG généraux n'est pas suffisant pour les investisseurs professionnels. Ce n'est pas nécessairement du green washing, mais il est essentiel pour les investisseurs professionnels ou les sélectionneurs de fonds de comprendre comment fonctionne l'approche ESG dans chaque fonds, comment l'empreinte carbone est mesurée et comment on peut la comparer en fonction du benchmark. Il est en effet incroyablement difficile pour les investisseurs, du moins à l'heure actuelle, de rendre l'incomparable comparable. Et la seule façon d'y parvenir est d'établir des rapports ESG spécifiques plus détaillés sur tous les fonds.
Comment les sociétés de gestion peuvent-elles améliorer leur approche ESG ?
Le principal défi à relever pour améliorer l'approche des investissements ESG est de passer de la parole aux actes. De nombreux gérants d'actifs devraient également être plus honnêtes sur leur situation réelle en termes d'ESG. Par exemple, une société de gestion qui ne possède qu'un seul fonds ESG avec 20 ou 30 ans d'histoire, parmi des centaines d'autres fonds, ne peut pas prétendre à des décennies d'expertise ESG, au moins au niveau de la société ou de la gestion globale des fonds. En outre, les preuves et la gestion des données représentent des domaines clés qui peuvent aussi être améliorés pour l'investissement ESG. Par exemple, au quatrième trimestre 2019, un important gérant d'actifs américain a subi une véritable pression médiatique publique pour avoir qualifié certains fonds sur son site web de durable, alors que cela n'était tout simplement pas vrai. Il s'est avéré qu'il s'agissait d'une erreur de données de la part de l'agence de notation, une agence externe, qui a fourni ces données au gérant d'actifs. Cette erreur a été rapidement corrigée, mais le mal était fait. Et il était stupéfiant de voir que personne n'avait repéré l'erreur, car cela relève de la responsabilité du gérant d'actifs de s'assurer que toutes les données et les notations concernant l'ESG, ou autre, sont correctes.
Une approche ESG holistique, qui englobe tous les produits et tous les processus, ne peut être pertinente pour absolument tous les fonds - il y a en effet des fonds pour lesquels cela n'a pas de sens ou pour lesquels l'amélioration de l'approche ESG serait très limitée - mais cette approche est tout à fait faisable et nécessaire pour les fonds plus classiques, composés d'actions internationales, américaines, européennes, etc. Dans l'ensemble, ce n'est qu'une question de temps avant que ce type d'approche ne devienne la norme.
Qu'est-ce qui a favorisé la croissance de l'investissement responsable au cours des dernières années ?
L'investissement de conviction n'est pas une nouvelle tendance en soi, mais il y a eu deux points de rupture majeurs pour l'ESG qui se sont tous deux produits vers 2007-2008. La première concerne le risque de réputation, suite au scandale de la Fondation Bill et Melinda Gates en 2007 pour avoir détenu des actions d'une société causant des préjudices importants, en particulier dans le delta du Niger. Il s'agissait d'un problème majeur et la tempête médiatique a également touché de très grands gérants d'actifs aux États-Unis. Toute cette attention médiatique a conduit à une réflexion beaucoup plus poussée sur la manière d'éviter les risques de réputation, non seulement de la part des sociétés de gestion, mais aussi des grands détenteurs d'actifs. Le deuxième point de rupture, très peu de temps après en 2008, réside dans la compréhension de l'ESG comme une source supplémentaire d'identification et d'évitement des risques. Et elle a pris beaucoup plus d'ampleur à la suite de la crise financière mondiale. À l'époque, il existait de nombreuses preuves des avantages et de la réduction des risques des facteurs ESG pour les gérants d'actifs. La dynamique s'est ainsi renforcée autour de l'approche ESG dans les années suivantes.
En conséquence, les rapports ESG ont depuis lors gagné en importance pour les gérants d'actifs et surtout pour leurs clients. Le principal enjeu pour l'industrie à l'avenir sera de fournir les preuves de l'investissement responsable avec transparence et clarté. Aujourd'hui, la prise de conscience s'est accrue du côté des investisseurs, mais aussi du côté des gérants d'actifs. La finalité de l'investissement devient également de plus en plus importante. Mais en fin de compte, c'est la réglementation européenne qui s'est avérée être le véritable moteur. Leur vaste programme (notamment sur la réglementation en matière de taxonomie, de publication, de durabilité, sur les labels pour le retail, etc.) change complètement la donne, non seulement pour les gérants d'actifs, mais aussi pour les investisseurs institutionnels.
L'investissement responsable est-il en train de devenir mainstream ?
L'approche ESG est là pour rester et c'est vraiment ce qui a changé au cours des 20 dernières années. Elle est vraiment passée du statut de niche à celui de courant dominant et il n'y a pas moyen de la contourner. Nous nous attendons vraiment à ce que l'ESG soit intégré dans la grande majorité des fonds disponibles en Europe, sur toutes les classes d'actifs. Et, si l'ESG devient vraiment une part importante de la gestion d'actifs, il est probable que beaucoup des campagnes de marketing actuelles axées sur l'ESG disparaîtront dans quelques années. La rigueur de l'intégration des facteurs ESG deviendra tout simplement une évidence, ce sera un prérequis et si les gérants d'actifs ne font pas d'ESG, il leur sera tout simplement impossible de faire la promotion de leurs stratégies.
Il n'en reste pas moins que les sociétés de gestion comme les investisseurs doivent s'approprier les questions ESG. Et cela signifie qu'il ne faut pas se fier entièrement à un seul fournisseur de notation externe. De plus, les utilisateurs des notations doivent comprendre pleinement les méthodologies sous-jacentes et les limites potentielles. Par conséquent, chacun doit faire ses devoirs en ce qui concerne les questions ESG, que ce soit les fournisseurs de données ou de notations, les société de gestion et les sélectionneurs de fonds. Et c'est aussi pourquoi les preuves et la transparence sont essentielles, car lorsqu'il s'agit de données concrètes, les choses deviennent souvent très floues et c'est pourquoi nous demandons des rapports ESG très spécifiques sur chaque fonds. Tout est une question de clarté des données et aussi de résilience.