Le loup est bel et bien dans la bergerie du foncier agricole selon la SAFER !
En Région Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur, la cession de foncier via la vente de parts sociales représente un marché équivalent à l’activité annuelle de la Safer. Ces transactions hors de contrôle ne permettent ni régulation de prix, ni contrôle des structures. Dans une région où la pression foncière est maximale, les menaces pour l’équilibre économique agricole et la vitalité des territoires sont en jeu. La Safer Paca appelle au renforcement du cadre juridique.
En 2014, l’acquisition d’un millier d’hectares de terres agricoles dans le centre de la France par un groupe chinois défraye la chronique. Le scandale lève le voile sur une faille qui permet de contourner le rôle de régulation des Safer la transmission de foncier agricole à travers des cessions partielles ou intégrales de parts sociales. Depuis ce sont des groupes bien français ou des structures d’exploitation françaises très conséquentes qui se livrent à ce genre de pratiques.
Le principe : il suffit que le vendeur conserve un pourcentage même minime de parts d’une société pour que la Safer se retrouve hors-jeu. Elle ne peut plus rien contrôler tant en matière de contrôle des structures qu’au niveau des prix. « Nous avons eu le cas d’un domaine estimé à 20 millions d’€ qui s’est vendu le double », explique Patrice Brun, Président de la SAFER PACA. « Cela perturbe tout le marché avoisinant. Et même si le prix du parcellaire ne suit pas automatiquement celui des grands domaines, l’impact n’est pas négligeable puisque nous l’estimons à 20% environ. »
Au moins 160 millions d’€ de cessions de parts sociales en 2019
Depuis quelques années, la stratégie de cessions partielles de parts sociales pour contourner le rôle des SAFER s’est largement développée dans l’Hexagone et notamment en région Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur. « Nous avions ressenti cette évolution lors des deux dernières années mais nous n’imaginions pas que cela puisse prendre une telle ampleur », souligne Patrice Brun. Pour l’année 2019, le marché des cessions de parts notifié s’élève en effet à 161 690 K€, soit l’équivalent de l’activité de la SAFER PACA sur l’année. A noter que ces chiffres ne témoignent que du marché notifié, ils sont donc bien inférieurs à la réalité étant donné l’absence de notification de certaines transactions.
Tous les départements sont concernés, avec des cas de figure différents. Le Var est le département où les cessions de part sociales sont les plus importantes avec presque 100 000 K€ de transactions. Viennent ensuite les Bouches-du-Rhône avec 40 000 K€, puis le Vaucluse avec 15 000 K€. Dans les départements alpins, le phénomène est nettement moins important avec 5 000 K€ dans les Alpes Maritimes, 800 K€ dans les Alpes de Haute-Provence et 600 K€ dans les Hautes- Alpes, des territoires où la pression foncière est moins forte.
Ces cessions favorisent une concentration excessive à travers quelques sociétés
« 90% des cessions s’effectuent dans un cadre familial. Il s’agit alors d’un outil intéressant en vue d’une transmission, notamment lorsqu’il y a plusieurs héritiers », estime Patrice Brun. « Ce sont les 10% restants qui sont problématiques ; ils représentent à eux seuls 90% du montant global. » A la manœuvre des transmissions non familiales, on retrouve de nombreux investisseurs, avec des moyens financiers parfois importants, et qui achètent au-dessus du prix du marché ; c’est le cas notamment de propriétés viticoles dans le Var. Dans d’autres cas, il s’agit de chefs d’exploitations, déjà propriétaires de surfaces importantes, et qui souhaitent encore s’agrandir comme cela peut être le cas dans les Bouches-du-Rhône. « Ces cessions engendrent une concentration excessive de certaines exploitations. »
Un impact notable sur l’ensemble du tissu rural
Les conséquences de ces cessions de parts dépassent la question foncière, puisque l’ampleur du phénomène peut entraîner un impact sur l’activité économique agricole, « mais aussi sur l’ensemble du tissu rural et des communes ». Dans le cadre de ces agrandissements, « cela pousse à une simplification/rationalisation des modes de production et à une baisse de la valeur ajoutée, avec une typologie d’exploitation plutôt tournée vers la grande distribution ou l’export que le commerce local ; alors que la tendance actuelle va vers un développement des circuits courts », poursuit Patrice Brun.
Si le projet de loi foncière amorcé l’an passé a été abandonné, la SAFER PACA espère néanmoins qu’un décret puisse voir prochainement le jour : « il convient de renforcer le contrôle des structures et de mettre en place un mécanisme d’agrément des mutations de parts sociales afin que la profession puisse avoir un droit de regard sur ces cessions de parts et sur l’autorisation d’exploiter. »
En effet, si les cessions de parts perdurent et si une nouvelle loi foncière ne donne pas aux CDOA et aux SAFER les moyens de réguler ce marché, l’accès des exploitations familiales au marché foncier deviendra de plus en plus difficile. Défendre l’accès au foncier de toutes les agricultures face aux stratégies d’accaparement des terres d’une minorité reste la ligne de vie de l’aménagement foncier.