Billet mensuel du docteur Leber, fondateur d’ACATIS.
Pour nous, le mois de septembre a été marqué par les accusations portées contre Grenke AG par un vendeur à découvert.
Grenke est l’un de nos investissements privilégiés depuis avril 2009. Nos investisseurs ont donc subi une importante perte en septembre. Avons-nous fait une erreur d’analyse ? Nous ne le pensons pas.
Suite au renforcement de nos positions à la fin du mois de septembre, nous détenons 9,99% des droits de vote. En outre, nous détenons d’autres actions par le biais de mandats de conseil ou de gestion ainsi que des obligations pour une valeur nominale de 79 M€.
1/ Les ventes à découvert. Les vendeurs à découvert gagnent de l’argent grâce à la baisse des cours. Au lieu de commencer par acheter, puis attendre que les cours montent pour vendre ensuite à profit, les vendeurs à découvert font le contraire. Ils commencent par vendre, puis attendent la baisse du cours et rachètent ensuite les titres. Pour ce faire, ils empruntent les titres moyennant une commission de prêt. C’est une activité normale sur les marchés financiers, qui permet de s’assurer que les mauvaises nouvelles engendrent rapidement un cours correct. Pour accélérer la chute des cours, on peut également diffuser des nouvelles négatives, qui peuvent être vraies ou fausses. Chez ACATIS, nous avons vécu de telles situations à maintes reprises depuis Enron. Parfois, elles sont justifiées (comme pour Enron, Parmalat, Tyco, Sino Forest ou Wirecard), parfois non (comme pour notre position sur Lumber Liquidators). Les coûts pour parer à une telle offensive sont très élevés contrairement à la mise initiale du vendeur à découvert. Un méchant pamphlet fait parfois l’affaire. Pour pouvoir évaluer la situation, il importe d’examiner la crédibilité du vendeur à découvert et la rigueur de ses accusations. Dans l’affaire Grenke, les accusations sont des paroles en l’air, et la crédibilité de l’agresseur se situe en dessous de zéro.
2/ Un agresseur non crédible. Une société appelée Viceroy Research, qui prétend être à l’origine de l’attaque, a été enregistrée, par un administrateur fiduciaire, à une adresse collective située à Wilmington, dans le Delaware. Ce fiduciaire offre des services de création de sociétés pour 349 dollars.
Derrière Viceroy Research se trouverait une personne nommée Fraser Perring. La Foundation of Financial Journalism écrit à son sujet : « Perring is a charlatan of the first order, with a brazen multiyear record of personal and professional deceit. ... after Perring became involved with money managers, lying became central to how he operated professionally » (Perring est un charlatan de premier ordre, avec un palmarès éhonté de plusieurs années de tromperies privées et professionnelles. ... À partir du moment où Perring s’est impliqué avec des gestionnaires de fonds, le mensonge est devenu un élément central de son fonctionnement professionnel »).
3/ Des allégations douteuses. Les allégations, qui ont été publiées le 15 septembre, sont nombreuses. Elles ressemblent à un collage. Des termes enflammés, mais incohérents. Autrefois, les maîtres chanteurs découpaient au ciseau des mots dans le quotidien populaire Bildzeitung et composaient ainsi leurs lettres de menace. Aujourd’hui, on utilise un ordinateur. Mais une chose n’a pas changé : hier comme aujourd’hui, une lettre de menace n’a pas d’expéditeur. Ni le document d’accusation ni le site Internet ne comportent d’adresse ou d’expéditeur. Pourquoi ?
4/ Des baisses de cours importantes. Sous le coup des accusations de Viceroy Research, le cours de la valeur Grenke AG a diminué de moitié et les obligations Grenke ont été lancées sur le marché à des prix bradés, sans aucun examen des accusations. Après le scandale Wirecard, aucun gestionnaire d’actifs allemand ne souhaite plus être associé à une entreprise problématique. Ces dernières semaines, la plupart de nos interlocuteurs n’avaient pas lu les accusations dans le détail. Les ventes n’ont pas été déclenchées par le fond de ces accusations mais par la peur d’un revers de carrière.
5/ L’examen des allégations. Grenke AG a tenu une longue réunion d’investisseurs le 18/9 et a publié rapidement des relevés de compte de la Bundesbank. Les commissaires aux comptes établiront des expertises pour démonter les accusations. Les autorités allemandes (BaFin, cellule de renseignement financier), échaudées par la tiédeur de leur action contre Wirecard, investiguent actuellement au sujet de Grenke à grand renfort de publicité. C’est louable si cela permet de produire rapidement des résultats permettant d’éliminer les incertitudes. 8 signalements de soupçons de blanchiment d’argent impliquant Grenke ont été mentionnés dans des rapports de presse. La probabilité que cela soit vrai est très faible. En 2019, la cellule de renseignement financier des douanes a signalé 114 914 cas de soupçons de blanchiment d’argent. Seulement 0,3% des cas se sont conclus par une ordonnance pénale, un acte d’accusation ou un jugement. Dans l’intervalle, les accusations de Viceroy n’arrivent plus qu’au compte-gouttes. Les munitions sont épuisées.
6/ Notre évaluation. Nous estimons que la plupart des accusations portées contre Grenke sont insignifiantes et excessives. Dans certains cas, des détails peuvent être exacts, mais ils ne brossent pas le tableau d’une entreprise criminelle comme c’était le cas avec Wirecard. S’il y a eu des dommages, ils ne sont, à notre avis, pas d’ordre matériel. On ne peut pas non plus imaginer que KPMG ait oublié de demander les relevés de solde des banques, d’examiner l’existence des contrats de leasing et de vérifier le montant des provisions constituées pour défaut de paiement des crédits. Il s’agit d’étapes standard d’un travail d’audit. Même si le commissaire aux comptes a échoué dans le cas particulier de Wirecard, cela paraît très peu probable pour une entreprise à la structure relativement simple comme Grenke et, de plus, peu après un changement de commissaire aux comptes.
7/ Le sujet des « transactions entre parties liées » nous préoccupe. Wolfgang Grenke, en tant que principal actionnaire et membre de longue date du Conseil de surveillance, a-t-il omis de déclarer ses relations avec la société CTP Handels- und Beteiligungsgesellschaft, qui a fait des affaires avec Grenke AG ? Un entretien paru dans le Handelsblatt du 29/9/2020 renforce les doutes et révèle une méconnaissance de la situation juridique. Wolfgang Grenke y affirme ne plus contrôler Grenke AG depuis 2014. On se pose alors des questions sur sa compréhension de son rôle de président du Directoire ou du Conseil de surveillance et de principal actionnaire de Grenke AG. Notre interprétation : oui, il y a eu des transactions entre parties liées et elles auraient dû être déclarées. Mais en même temps, nous ne pensons pas que Grenke AG ait subi de ce fait un dommage important. Ces faits doivent néanmoins être posés sur la table. Wolfgang Grenke est à blâmer, pas la société Grenke AG.
8/ Évolution du cours de l’action. Selon nos informations, des titres de Grenke AG ont été prêtés à des coûts élevés depuis la mi-août. Depuis qu’il a atteint son niveau le plus bas, soit environ 30€, le cours n’a plus baissé. Le vendeur à découvert doit maintenant se réapprovisionner sur le marché, ce qui poussera les cours à la hausse. Mais la confiance des marchés financiers n’est pas encore revenue. Il faudra attendre l’arrivée des expertises et la conclusion de l’enquête de la BaFin pour voir revenir les investisseurs.
9/ Un recours en justice ? En collaboration avec le cabinet d’avocats Heuking Kühn, nous avons examiné l’éventualité de saisir la justice contre le vendeur à découvert au nom de nos investisseurs. Malheureusement, le droit allemand ne protège guère l’investisseur sur le plan du droit civil. De plus, il nous manque l’adversaire. Sans expéditeur, pas de requête possible. Et en admettant même que nous ayons gain de cause, nous n’aurions peut-être au final rien d’autre à saisir qu’une boîte aux lettres vide.