La crise que nous traversons nous oblige à revoir notre façon de consommer. Plus qu’une rupture dans nos modes de vie, nous assistons plutôt à une accélération de tendances déjà naissantes avant la crise du coronavirus. Ces nouvelles façons de consommer, de vivre, de travailler ont et auront nécessairement un impact sur l’immobilier de commerce.
Tour d’horizon de ces tendances de fond avec Julien Ganier, Responsable de la gestion de portefeuille immobilier pour compte de tiers, et Victoire Molis, Gérante senior chez Swiss Life Asset Managers France.
Dans le contexte pandémique du Covid-19, les conditions sanitaires ont naturellement conforté la place prépondérante du e-commerce dans nos modes de consommation. Si, de plus en plus de particuliers réalisaient déjà leurs achats en ligne, l’impossibilité de sortir pendant le confinement a accéléré la tendance. Et la phase « post-confinement » que nous vivons voit perdurer ces habitudes chez le consommateur. A la lecture de ces usages, l’immobilier de logistique commerciale, sous-jacent structurel de l’activité du e-commerce, est ainsi l’une des classes d’actifs gagnantes de la crise. Cela se traduit par une appréciation notable des prix de ces actifs, un mouvement de valorisation déjà perceptible avant la crise et qui devrait s’accélérer.
La notion de distance et le rapport à l’espace ont donc fondamentalement changé. Outre l’essor du e-commerce, la crise sanitaire a joué un rôle discriminant, voire pénalisant pour le commerce de destination incarné notamment par les grands centres commerciaux situés en périphérie de la ville - et dont l’utilisation de l’automobile est la clé de voute - au profit d’un commerce de plus grande proximité. Avec les limitations de sorties et la crainte d’une éventuelle nouvelle vague de contaminations, nombreux sont ceux qui ont privilégié les surfaces de proximité et/ou les commerces de centre-ville. Consommer au plus près devient également un leitmotiv : la prise de conscience observée ces dernières années pour une consommation en quête de sens, plus locale et raisonnée, soucieuse de l’origine des produits et de l’empreinte carbone du circuit de distribution, n’en est que renforcée.
Par ailleurs, durant la période de confinement, les commerçants de proximité des centres urbains ont su faire preuve d’une importante capacité d’adaptation en se transformant ou en innovant pour poursuivre leur activité. L’exemple le plus évident est celui des restaurateurs qui faute d’accueillir du public dans leur établissement, ont proposé la vente à emporter. Nous constatons que ces commerces multiplient les opportunités pour trouver de nouvelles sources de revenus, éphémères ou pérennes. Le point de vente physique accueille ainsi plusieurs activités selon une logique de consommation omnicanale, permise notamment par l’essor du « click-and-collect » fondé sur la pratique hybride associant commande en ligne et retrait du produit en boutique. Ici encore, la crise sanitaire se révèle être le catalyseur d’une tendance structurelle déjà bien amorcée.
Dynamisme des zones commerciales des villes moyennes
Du point de vue de la stratégie d’investissement à adopter sur le segment de l’immobilier de commerce, le coronavirus et ses conséquences vont continuer de renforcer un effet « ciseau » déjà préexistant : les actifs dits « prime », autrement dit très bien situés, sont toujours recherchés par les investisseurs, les actifs d’emplacement ou d’attractivité secondaires, de plus en plus délaissés. En France, il semble aujourd’hui intéressant de prêter attention aux évolutions démographiques qui touchent les villes de taille moyenne et leur périphérie. Ces aires urbaines correspondant plus ou moins aux 20 plus grandes villes derrières les métropoles Paris et Lyon. A l’issue du confinement, beaucoup de foyers se sont mis en quête d’une maison ou d’un cadre de vie de meilleure qualité, projetant de s’installer dans les villes de taille moyenne. L’enjeu est donc d’identifier les zones commerciales les plus dynamiques de celles-ci. Un certain nombre d’entre elles en bord de mer, qu’elles soient situées sur le littoral méditerranéen ou atlantique, sortent déjà du lot. La sélection des actifs à investir doit aussi reposer sur d’autres critères tout aussi essentiels : favoriser les commerces dont la surface des linéaires de façade est importante, cibler les meilleurs emplacements au sein des principales artères commerçantes dont le flux piétonnier est garanti, enfin, s’assurer de la soutenabilité et pérennité des loyers, ce qui passe notamment par une relation transparente et équilibrée entre bailleur et entreprise locataire.
Crise ou non, retenons que les emplacements bien situés garderont toujours leur attrait. Ni les Français, ni les Européens, ne se sont arrêtés de consommer au plus fort de la crise sanitaire. Les modalités ont évolué, la nature de l’acte d’achat aussi, mais consommer reste un besoin fondamental de l’homme dans nos sociétés, au même titre qu’habiter et travailler pour sa sociabilisation. L’immobilier de commerce n’est donc pas mort, le consommateur aura toujours besoin et envie de points de contact, de proximité, de conseils, d’échanges, de présentation physique des produits ou services, complémentaires à la décision d’achat en ligne ou dans sa continuité.