Ce moratoire, un aveu d’impuissance ou le point de départ de la reconstruction du commerce ?
Jérôme Le Grelle, Directeur Retail de CBRE France, livre ici son analyse ainsi que les pistes de reconstruction.
Parmi les propositions issues de la Convention citoyenne pour le climat, il en est une qui a été particulièrement mise en avant, et qui pourtant sent fort l’ancien monde : le moratoire sur les zones commerciales en périphérie des villes.
Un peu d’histoire…
Cette idée est tout sauf neuve et s’inscrit dans une longue lignée initiée par la loi Royer en 1973, qui visait déjà à encadrer la croissance des grandes surfaces de commerce. 20 ans plus tard, Edouard Balladur, alors Premier ministre, évoquait déjà l’idée d’un moratoire des créations de nouvelles grandes surfaces, accusées de conduire à « la disparition de toute vie locale dans les villages et les bourgs ». Près d’un demi-siècle après la loi Royer, le débat ne semble donc pas avoir beaucoup avancé…
Depuis 2009 et la loi de modernisation de l’économie, les CDAC (Commission Départementale d’Aménagement Commercial), majoritairement composées d’élus locaux, délivrent les autorisations d’exploitation commerciales sur la base des seuls critères d’aménagement du territoire et de développement durable, permettant donc, en théorie, de prendre en compte les enjeux environnementaux et climatiques dans le développement du commerce.
« En réalité, nous faisons, depuis 50 ans, fausse route tant sur le constat que sur la méthode », selon Jérôme Le Grelle.
Fausse route sur le constat et sur la méthode
Si le commerce va mal, ça n’est pas - ou plus - le petit commerce contre les grandes surfaces, les centres commerciaux de périphérie contre le commerce de centre-ville ou encore le commerce physique contre l’e-commerce qui peuvent l’expliquer. Le commerce n’est que le baromètre de la vitalité d’un territoire.
« Ce qui est en jeu, en réalité, est la profonde mutation en cours des modes de vie et des équilibres démographiques en faveur de quelques grandes métropoles, dans lesquelles tant le petit que le grand commerce, de périphérie ou de centre-ville, physique ou en ligne, prospèrent au détriment des autres territoires », explique Jérôme Le Grelle.
Nous nous trompons également sur la méthode, ensuite, en interdisant de manière indifférenciée, là où, au contraire, il faudrait libérer les initiatives localement. « Parce qu’en fait, ces zones commerciales en périphérie sont déjà là et nécessiteraient pour beaucoup d’entre elles une réinvention et un réinvestissement important, qui leur permettraient de répondre aux nouveaux enjeux environnementaux et climatiques », ajoute Jérôme Le Grelle. « Interdire bloquerait irrémédiablement tout projet de réinvention de ces zones commerciales, qui pourtant seront un passage obligé dans une logique de non artificialisation des sols. »
Une mesure qui ne fait que repousser les vraies prises de décision sur le commerce
Le Covid-19 a certes eu un effet révélateur violent sur la crise latente du commerce, mais elle donne également les pistes de la reconstruction sur lesquelles il est urgent, et vital, de s’engager sans attendre. Or un moratoire, c’est tout le contraire !
Jérôme Le Grelle conclut :
- « Un moratoire, c’est geler le processus de réorganisation de la chaine de distribution, dont l’intégration des nouvelles aspirations environnementales qui comprend entre mille autres aspects, l’intégration des circuits courts.
- Un moratoire, c’est geler l’intégration du digital, support essentiel du redéploiement du commerce au sein des territoires.
- Un moratoire, c’est geler la transformation des polarités commerciales, et la mise en œuvre de l’omnicanalité. »
Finalement, un moratoire n’est de toute façon, par définition, que la suspension temporaire d’une action. Il ne fait donc que repousser les vraies prises de décisions autour des lieux de commerces et notamment de périphérie. Prises de décisions qui devront être ambitieuses, dotées de moyens à l’image du programme Action Cœur de Ville, différenciées et donc nécessairement à un échelon local.