Par Emeric Kubiak d'AssessFirst
Les avancées technologiques rendent le travail éphémère et complexe. La plupart des emplois exigent maintenant des compétences pour résoudre des problèmes non routiniers et dynamiques, et qui nécessitent à la fois l'acquisition et l'application de nouvelles connaissances. Face à ces nouveaux besoins, la simple volonté de s’adapter et d’évoluer pour pouvoir survivre est toutefois insuffisante : mieux vaut miser sur les capacités cognitives de vos collaborateurs.
L’intelligence se définit comme une capacité générale à comprendre et apprendre rapidement. Linda Gottfredson, professeure de psychologie à l’Université du Delaware, explique qu’il s’agit de la faculté à raisonner, à anticiper ou encore à penser des idées abstraites : en résumé, une facilité pour comprendre la complexité de l’environnement et y répondre.
D’autres théories invitent néanmoins à considérer l’intelligence à travers des compétences spécifiques et multiples, en expliquant qu’un individu peut être performant dans un domaine (par exemple pour manipuler des chiffres), et moins bon sur d’autres exercices : Joy Paul Guilford, psychologue et professeur de psychologie à l’Université de Caroline du Sud, va jusqu’à distinguer 150 formes d’intelligences différentes. Dans cette controverse, les études ont depuis longtemps démontrées que, même s’il existe des formes de raisonnement spécifiques, celles-ci sont fortement liées entre elles et à un facteur général d’intelligence, appelé facteur g.
Au travail, le facteur g est la variable la plus explicative de la performance d’un collaborateur, qui plus est sur des fonctions impliquant des hauts niveaux de complexité : son importance semble en effet moindre dans des emplois où les prises de décisions et les problèmes sont plus simples et routiniers. A travers l’analyse de 20 000 études regroupant 5 millions d’individus, Nathan Kuncel, Deniz Ones et Paul Sackett, chercheurs à l’Université du Minnesota, démontrent ainsi que les capacités cognitives permettent de prédire 25% de la performance future d’un collaborateur, notamment car elles leur permettent d’acquérir plus rapidement les connaissances nécessaires pour réaliser la mission. Steffanie Wilk, Laura Desmarais et Paul Sackett, chercheurs en psychologie et management, concluent par ailleurs que les individus avec de fortes capacités cognitives évoluent plus facilement dans la hiérarchie d’une entreprise.
Un changement de paradigme
Malgré ces résultats, les décisionnaires RH ont encore trop souvent tendance à valoriser d’autres critères, comme l’expérience, dans le recrutement des candidats ou dans la gestion des évolutions de carrière. Pourtant, John Hunter, professeur de psychologie à Michigan State, démontre que le niveau de raisonnement d’un individu est, en moyenne, trois fois plus prédictif de sa performance future que ne l’est son expérience. Une étude plus récente suggère même que l’expérience ne présente aucune corrélation significative avec la réussite en poste des nouveaux collaborateurs.
Dans un monde du travail en disruption, la majorité des individus doit apprendre et s’approprier de nouvelles méthodes de production. Instaurer une politique de recrutement qui prend en compte les capacités de raisonnement des candidats est donc un prérequis pour optimiser la performance des collaborateurs, leur adaptation au monde de demain et la croissance économique. Même si elle peut sembler élitiste, cette vision n’écarte toutefois pas de l’emploi les personnes avec des facultés cognitives moins importantes. En effet, bien que l’automatisation de certaines fonctions va nécessairement restructurer le marché du travail dans les années à venir, en impactant notamment les métiers non-qualifiés, l’histoire des grands changements structurels montre que chaque emploi ayant été supprimé par la technologie, a été accompagné par la création de nouvelles activités. Une étude de McKinsey & Company conclue par exemple que, pour chaque emploi supprimé suite à l’évolution d’internet, 2.4 emplois ont été créés. Par ailleurs, il ne suffit pas de recruter des candidats intelligents pour qu’ils soient performants et engagés : c’est l’adéquation entre les exigences du poste, et les capacités du candidat, qui permet d’améliorer le rendement sur chaque poste et de limiter le turnover. Steffanie Wilk et Paul Sackett expliquent ainsi que, si le niveau de raisonnement d’un collaborateur dépasse les besoins du poste, celui-ci sera plus enclin à le quitter.
L’utilisation d’un outil d’évaluation du raisonnement permet alors de recruter sur base d’un critère réellement explicatif de la réussite, mais aussi de connaitre précisément le degré de complexité qu’un candidat va pouvoir gérer, et quel type de tâches lui confier : des tâches simples et déjà expérimentées pour les personnes qui ont moins de facilités intellectuelles, ou des sujets nouveaux et stratégiques pour ceux avec la capacité de raisonner à des niveaux plus élevés. Pour répondre aux exigences des recruteurs et faciliter leur intégration dans les processus de recrutement, les tests de raisonnement ont ainsi fortement évolués, notamment grâce aux théories de l’évaluation basée sur le jeu. Ce nouveau format de tests cognitifs permet ainsi d’isoler une mesure fiable du niveau de raisonnement des candidats beaucoup plus rapidement, de renforcer l’engagement et la motivation des utilisateurs, ou encore de réduire leur niveau d’anxiété lors de la passation.
Pour rester pertinentes, les entreprises doivent revoir leurs critères de recrutement : à ce titre, le niveau de raisonnement d’un candidat constitue une donnée hautement prédictive de sa réussite future, et il est nécessaire de l’intégrer dans les démarches de recrutement, en complément d’analyses relatives à la personnalité et aux motivations.
Ce changement de paradigme invite aussi à faire évoluer les systèmes d’éducation, en mettant l’accent sur la résolution de problèmes et l’analyse critique. Ces efforts sont nécessaires pour permettre à chacun d’exprimer ses talents naturels et de trouver sa place dans la société de demain.