Durant cette crise, et plus que jamais, l'expert-comptable mérite la comparaison qui lui est souvent attribuée de « médecin généraliste » de l'entreprise. Le rôle prédominant de ces professionnels libéraux, qui doivent faire face à une multitude de mesures, certes nécessaires, mais parfois contradictoires, avec des effets rétroactifs, est méconnu.
Michel Tudel, président d'Absoluce, rappelle leur quotidien depuis 2 mois
Le personnel de santé au service de la population, les experts-comptables au service des entreprises : même si la comparaison peut paraître audacieuse au vu de l'engagement exceptionnel des soignants, elle est totalement justifiée.
Quatre millions d'entreprises du secteur privé représentant 6,5 millions d'emplois ont pris de plein fouet la double lame : fermeture de leur entreprise et impossibilité de servir les clients, mise au chômage partiel ou total de leurs salariés.
Une foison de textes qu'il faut décrypter, expliquer, appliquer
Toutes les mesures prises par le gouvernement pour tenter de sauver les entreprises doivent être saluées. En revanche, personne ne peut imaginer le travail que leur application a entraîné pour l'ensemble des experts-comptables français. Chaque jour apporte son lot de nouvelles mesures, puis de précisions pour leur application, avec ordres et contrordres. Rien que le temps pour ces « médecins de l'entreprise » de lire les textes, de les comprendre et d'en déduire comment les appliquer avant même d'avoir commencé à les mettre en œuvre, est phénoménal.
Téléscopage et rétroactivité
Le pire, si l'on peut dire, concerne la paie et le social. Pour adapter les nouvelles mesures indispensables en matière de chômage partiel, de congé pour garde d'enfants, etc., à une matière déjà particulièrement complexe, le gouvernement a dû édicter moult ordonnances et décrets. Cette logorrhée de textes, qui souvent se télescopent, parfois se contredisent, ont obligé les experts-comptables à faire les travaux, notamment les fiches de paie, puis à les refaire et à les re-refaire. A titre d'exemple, le calcul de l'indemnité de l'activité partielle est éloquent : ce ne sont pas moins de cinq ordonnances et décrets qui se sont succédé depuis le 27 mars ! Ce jour-là, une première ordonnance édictait les règles du chômage partiel pendant la crise.
Le 22 avril, une 2ème ordonnance complétait la première, entre autres sur les modalités de prise en compte des heures de travail au-delà de 35 heures - ce qui est le cas dans le secteur des cafés-hôtels-restaurants -, et ce... avec effet rétroactif depuis le 12 mars... et voilà.... les fiches de paie à refaire... Entretemps, le 16 avril, deux décrets paraissent, entre autres sur les modalités de versement de l'indemnité complémentaire de l'employeur... Sans oublier le décret du 27 mars portant sur la prise en compte des heures d'équivalence.
Et cet exemple est loin d'être exhaustif. Un tableau récapitulatif sur l'articulation des arrêts maladie avec l'activité partielle occupe... deux pages entières !
Des experts-comptables mobilisés à 300%
Au-delà du temps passé à analyser les textes, les cabinets d'expertise comptable ont consacré des heures et des heures à expliquer ces mesures à leurs clients. Ce qui signifie les appeler, anticiper leurs demandes, répondre aux mails, rédiger et diffuser des lettres d'information. Durant cette période, l'intérêt des réseaux et des groupements tels qu'Absoluce se révèle précieux pour les cabinets d'expertise comptable qui peuvent ainsi confronter leur compréhension des textes, éditer des lettres d'information communes, échanger leurs expériences et leurs pratiques.
Les experts-comptables ont dû également se justifier : si cette manière de procéder de la part du gouvernement peut se comprendre compte tenu de l'urgence de la situation et de la nécessité d'adapter en permanence les textes, certains chefs d'entreprise l'ont beaucoup moins bien accepté, pensant que leur expert-comptable s'était trompé...
D'une manière générale, les dirigeants se sont rendu compte du soutien précieux de leur expert-comptable qui leur a permis d'obtenir le fonds de solidarité, ou un prêt PGE (les banques demandant un certain nombre de documents malgré la garantie de l'Etat), ou encore de réaliser toutes les formalités pour la mise en place du chômage partiel : formalités initiales, mises à jour au mois le mois, etc.
Une reconnaissance attendue de la part de leurs clients et de l'Etat
Les cabinets d'expertise comptable, qu'ils travaillent seuls ou au sein de réseaux ou de groupements tels qu'Absoluce, ont tous été surchargés de travail pour faire face à toutes ces sollicitations. Ils vont devoir maintenant faire comprendre à leurs clients chefs d'entreprise, qui sont bien conscients du travail accompli, qu'ils ne peuvent assurer ce surcroît de travail gratuitement. Eux aussi sont des entreprises, avec des salariés en télétravail qui se sont mobilisés bien au-delà de leurs obligations légales.
Enfin, ils espèrent surtout que le gouvernement et le ministère de l'Economie et des Finances mesureront combien l'action des experts-comptables au service de l'économie, durant cette période de confinement, et maintenant en étant toujours aux côtés de leurs clients pour les aider à reprendre leur activité, aura contribué à sauver des milliers d'emplois, alors qu'ils doivent par ailleurs continuer à établir les bilans et les déclarations fiscales et sociales courantes.