Suivant les orientations de la Commission européenne concernant les investissements directs étrangers et la protection des actifs stratégiques européens, la France renforce son dispositif national de contrôle face à la crise sanitaire.
Retour sur ces évolutions avec le cabinet d'avocats CMS Francis Lefebvre Avocats.
Dans le contexte de la crise du Covid-19, la France a annoncé à la fin du mois d’avril 2020, par la voix de son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, le renforcement du dispositif de contrôle des investissements étrangers. En substance, l’arsenal français face à la crise sanitaire se traduit par une extension du champ des activités protégées et des investissements soumis à la procédure de contrôle.
Cette annonce s’inscrit dans le prolongement des orientations récentes de la Commission européenne en la matière. Dans une communication du 26 mars 2020 intitulée "Orientations à l’intention des États membres concernant les investissements directs étrangers et la libre circulation des capitaux provenant de pays tiers ainsi que la protection des actifs stratégiques européens", la Commission avait en effet encouragé les Etats membres à se doter d’outils de filtrage appropriés aux investissements provenant de pays tiers.
Plus encore, elle les avait exhortés à être très vigilants afin d’éviter que la crise du Covid-19 ne provoque des prises de contrôle massives d’entreprises et industries européennes, y compris des PME, par des investisseurs ou gouvernements de pays tiers, tout particulièrement dans le secteur de la santé et du numérique (voir sur ce point notre article : "Investissements étrangers et crise du covid-19".
Les invitations de la Commission ont très rapidement été suivies d’effets : la France, qui dispose déjà d’un mécanisme de contrôle des investissements étrangers parmi les plus stricts au sein de l’UE, a renforcé son arsenal de protection des actifs et entreprises stratégiques face à la crise sanitaire.
En premier lieu, ce renforcement s’est traduit par l’adoption d’un arrêté du 27 avril 2020 visant à étendre le champ des activités protégées aux biotechnologies.
En effet, cet arrêté modifie l’article 6 de l’arrêté du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France, afin d’intégrer les biotechnologies à la liste des technologies critiques entrant dans le champ des activités protégées énumérées à l'article R.151-3 du Code monétaire et financier.
Cette évolution est notamment sous-tendue par la volonté de protéger les entreprises du secteur de la recherche et de la santé. Cette protection accrue pourrait, par exemple, bénéficier aux entreprises et laboratoires dont les travaux contribueraient à la découverte de molécules efficaces ou d’un vaccin.
Concernant les investisseurs issus de pays tiers, le ministre de l’Economie a annoncé que le seuil de participation déclenchant la procédure d’autorisation serait temporairement abaissé à 10% pour les entreprises françaises cotées. Pour mémoire, le régime de contrôle des investissements étrangers appréhende, outre la prise de contrôle, toute participation conférant plus de 25 % des droits de vote d’une entreprise même sans prise de contrôle.
La Direction générale du Trésor a précisé les modalités de l’abaissement prochain du seuil de participation à 10% :
- il concernera les seules entreprises françaises cotées ;
- il ne concernera pas les investisseurs européens ;
- il devrait être applicable au 2èmesemestre 2020, jusqu’au 31 décembre 2020 ;
- il s’exercera selon une procédure spéciale : tout investisseur issu d’un pays tiers franchissant le seuil de participation de 10% devra le notifier, et le ministre de l’Economie disposera alors de 10 jours afin de décider si l’opération doit ou non être soumise à un examen plus approfondi sur la base d’une demande d’autorisation complète.
L’examen approfondi éventuellement mené pourra conduire à ne pas autoriser l’investisseur étranger à détenir plus de 10% des droits de vote au sein de l’entreprise cotée concernée.
Rappelons que le mécanisme de contrôle des investissements étrangers en France avait été renforcé à la fin de l’année 2019 par le décret n° 2019-1590 du 31 décembre 2019. Ce régime substantiellement modifié est pleinement entré en vigueur au 1er avril 2020 et est codifié aux articles L.151-3 et suivants et R.153-1 et suivants du Code monétaire et financier. Voir sur ce point "Les investissements étrangers : la France ajuste son dispositif de contrôle"
Il convient enfin de relever que les appels de la Commission européenne à disposer d’outils efficaces en temps de crise, afin de protéger les entreprises et les actifs stratégiques européens, ont également été suivis dans d’autres Etats. L’Italie a ainsi renforcé son mécanisme de contrôle des investissements étrangers par un décret-loi n° 23 du 8 avril 2020, tout comme l’Espagne. De même, l’Allemagne a étendu le champ des activités contrôlées au secteur de la santé. Le Royaume-Uni envisage également de durcir son dispositif.
A la lumière des récentes évolutions du contrôle des investissements étrangers par la France, portées par les orientations de la Commission, notre dispositif national apparaît constituer un bouclier permettant de protéger les infrastructures, biens et services essentiels, tout particulièrement en temps de crise, face aux risques que pourraient présenter certaines acquisitions d’actifs et capacités stratégiques, notamment en termes de santé publique.