La relance budgétaire fait-elle augmenter les taux d'intérêt et resserre-t-elle les marchés du crédit, comme le prédisent les modèles théoriques de la macroéconomie ?
Une nouvelle recherche de Darden School of Business, « Saving Constraints, Debt, and the Credit Market Response to Fiscal Stimulus », montre quel est l'effet réel des dépenses publiques sur l'économie américaine - et quel est le rapport entre les niveaux élevés d'inégalité et la réaction des taux d'intérêt aux mesures de relance budgétaire.
Les titres des journaux ont fait état d'un ralentissement de l'économie américaine malgré des mesures de relance budgétaire parmi les plus importantes de l'histoire américaine ces dernières années.
Cette situation soulève la question : Quel est l'effet réel des dépenses publiques sur l'économie américaine ? Une préoccupation traditionnelle concernant l'augmentation des dépenses publiques est qu'elles augmentent les taux d'intérêt, réduisant ainsi les investissements et la croissance économique future. Cette préoccupation se fonde sur les prévisions des modèles théoriques de la macroéconomie, qui jusqu'à présent ont uniformément prédit que les dépenses publiques resserrent les marchés du crédit.
Malgré ce consensus théorique, il n'y a guère de preuves que les dépenses publiques font réellement augmenter les taux d'intérêt aux États-Unis ou dans d'autres économies occidentales. Au contraire, les preuves provenant des États-Unis et du Royaume-Uni suggèrent que les dépenses gouvernementales font baisser les taux d'intérêt.
Réponse des taux d'intérêt aux mesures de relance budgétaire : IRRF
Le professeur Daniel Murphy, du Darden School of Busines, et ses collègues anciennement ou actuellement associés à l'University of Virginia (UVA) - Jorge Miranda-Pinto, Kieran James Walsh et Eric R. Young - proposent une nouvelle théorie qui aide à expliquer comment les taux d'intérêt peuvent réellement baisser en réponse à une augmentation des dépenses publiques. Ils ont commencé par étudier la manière dont les taux d'intérêt réagissent dans les pays à revenu élevé. Conformément à des données antérieures, ils constatent que l’évolution des taux d'intérêt aux mesures de relance budgétaire (ce qu'ils appellent le IRRF - Interest Rate Response to Fiscal Stimulus) est négative aux États-Unis. Le IRRF est également négatif dans environ la moitié des pays à revenu élevé qui sont membres de l’OCDE. Il est positif dans l'autre moitié de pays.
Pourquoi l'IRRF est-il positif dans certains pays - ce qui est conforme à la théorie standard - mais pas dans d'autres ? Pour répondre à ces questions, ils examinent une série de facteurs au niveau des pays et constatent qu'un endettement élevé des consommateurs et de fortes inégalités sont associés à un IRRF plus faible. Leur résultat est particulièrement surprenant, car des travaux théoriques antérieurs suggèrent qu'un endettement élevé devrait être associé à une pression supplémentaire sur les marchés du crédit en réponse aux dépenses publiques et à un IRRF plus élevé.
Pour expliquer cette relation par ailleurs déroutante, les auteurs font appel au document, « A Model of Expenditure Shocks » (Darden working paper 2018), qui propose un modèle selon lequel de nombreux ménages à faible revenu et fortement endettés épargnent plutôt que de dépenser des revenus supplémentaires. Ils montrent qu'un tel modèle peut expliquer les schémas de consommation et de revenus des ménages.
La recherche
Daniel Murphy et ses collègues ont examiné des données couvrant deux décennies, provenant principalement des pays de l'OCDE, complétées par des échantillons de données supplémentaires. Ils se sont concentrés sur la relation entre le IRRF et les mesures d'inégalité des revenus pour chaque pays. La mesure de l'inégalité est le rapport entre le revenu du dixième le plus riche de la population et le revenu du dixième le plus pauvre - chiffres fournis par l'OCDE. Les chercheurs ont ensuite pris la moyenne de ce ratio sur la période 2001-13, montrant que les États-Unis étaient le pays le plus inégalitaire, tandis que le Danemark était le pays le plus égalitaire.
Les chercheurs ont mis ces données en parallèle avec les rendements des obligations d'État sur la période 1987-2007 pour révéler une relation inverse entre l'inégalité des revenus et le IRRF (tel que mesuré par l’évolution des rendements des obligations d'État aux chocs budgétaires). En d'autres termes, dans les pays où l'inégalité des revenus est élevée, les stimuli fiscaux (comme les rabais fiscaux) génèrent des augmentations des taux d'intérêt plus faibles que dans les pays où l'égalité des revenus est plus grande. Un peu plus de la moitié des 28 pays étudiés ont eu une réaction négative des taux d'intérêt aux stimuli budgétaires.
Une nouvelle théorie
Pourquoi le comportement des ménages très endettés pourrait-il être important pour comprendre l'IRRF ? Les auteurs développent un modèle d'équilibre général - dans lequel de nombreux aspects de l'économie sont liés - pour formaliser l'intuition.
Dans leur modèle :
- Une plus grande inégalité fait qu'un plus grand nombre de ménages à faible revenu s'endettent pour pouvoir satisfaire leurs besoins de consommation de base.
- Lorsque le gouvernement dépense, il fournit un revenu à ces ménages à faible revenu, dans l'espoir qu'ils (et d'autres) dépenseront.
- Les ménages à faible revenu et très endettés utilisent le revenu supplémentaire pour rembourser la dette.
- En fournissant un revenu aux ménages à faible revenu, le gouvernement utilise des ressources (provenant des impôts, qui incluent les ménages qui dépensent plus).
En soi, ce mécanisme n'explique pas pourquoi les taux d'intérêt baissent réellement dans certains pays. Pour cela, les auteurs font appel aux enseignements tirés d'autres travaux théoriques de certains auteurs sur l'existence d'une marge de manœuvre - c'est-à-dire de ressources sous-utilisées - dans l'économie. Les auteurs montrent que la combinaison de l'effet de redistribution et des théories sur le ralentissement économique peut expliquer le IRRF négatif.