Par Jean-Robert Bousquet, Avocat Associé CMS Francis Lefebvre Avocats
Les opérations de M&A sont naturellement affectées par la crise liée au Covid-19. Cela concerne les opérations dont les conditions ont déjà été agréées, qui tenaient compte par exemple d’objectifs financiers qui ne pourront pas être atteints du fait de la crise, ou qui font l’objet de renégociations ou de tentatives de renégociation sur le fondement des changements substantiels de circonstances. En amont, les opérations qui sont encore en cours de préparation, voire de discussion, doivent évidemment également prendre en compte le caractère mouvant et (encore en partie) imprévisible des conséquences économiques de cette crise sur les résultats des entreprises devant être cédées.
S’il est raisonnable de penser que cela entraînera nécessairement des reports voire des annulations de processus d’acquisition et de cession, il serait cependant faux de penser qu’il y aura disparition ou raréfaction drastique de toute opération de M&A dans les prochains mois. Au contraire, il est très probable - et cela se constate déjà - que de nouvelles formes d’opérations vont apparaître. Ce ne sont évidemment plus des opérations de M&A classique qui se poursuivront, mais des opérations de M&A redessinées par la crise et guidées par les opportunités que celle-ci met au jour : les opérations dites de temps de crise et notamment de distressed M&A.
Ainsi, les nouveaux besoins de financement des entreprises liés au contexte actuel vont, en complément des modalités de refinancement bancaire, certainement donner rapidement lieu à une série d’opérations capitalistiques, particulièrement celles conduisant à faire entrer ou accroître leur participation au capital de ces entreprises des’ investisseurs, minoritaires ou majoritaires. Le cas échéant, l’entrée au capital ou l’augmentation de la participation d’actionnaires existants, pourront prendre la forme d’actions de préférence donnant droit à un dividende majoré. L’introduction de ces nouveaux actionnaires ou l’accroissement de l’importance d’actionnaires existants implique fréquemment une renégociation des pactes d’actionnaires existants et une adaptation de la gouvernance.
Ensuite, au-delà de la réponse aux besoins financiers immédiats engendrés par la crise, la nécessité de s’adapter au plus vite à la situation actuelle et de préparer le « jour d’après » (notamment en accélérant la recherche d’économies d’échelle et de synergies) devrait conduire de nombreux groupes français et internationaux à mener, dans des délais courts, des rapprochements stratégiques et des opérations de cession ou d’acquisition. Ces groupes pourront d’ailleurs également compter sur l’appétit de certains fonds d’investissement, qui disposent encore de réserves très importantes de fonds propres à investir, du moins dès que la visibilité de l’impact de cette crise sera plus claire. Ces opérations pourront s’accompagner de réorganisations préalables - fusions domestiques ou transfrontalières notamment - afin de reconfigurer les activités devant être cédées à des fins stratégiques (opérations dites de détourage ou de carve out). Si ces opérations devront sans doute être menées à des valorisations bien moindres et à des conditions juridiques bien moins favorables aux cédants que celles qui prévalaient avant la crise, elles vont sans doute également remettre sur le devant de la scène des mécaniques d’earn-out.
Il est également clair que le nombre d’opérations dites de distressed M&A (où la cible, voire également le cédant, sont en difficulté financière) va augmenter considérablement. Dans ces opérations, encore plus que dans les autres opérations de M&A, il est primordial d’appréhender correctement la totalité des enjeux juridiques de responsabilité pour le cédant et le cessionnaire et de prendre les précautions nécessaires sur le plan juridique. En outre, ces opérations sont souvent conclues à un prix symbolique d’1€, voire à un prix dit « négatif » (le cédant, quand il le peut, prenant des engagements spécifiques de recapitalisation préalable de la cible), qui nécessitent là aussi une attention accrue quant aux mécanismes juridiques à mettre en œuvre.
Il apparaît ainsi probable que le marché du M&A, s’il connaîtra certainement dans l’immédiat un ralentissement lié à cette crise, pourra sans doute ensuite (et espérons-le rapidement) se nourrir d’opérations engendrées par cette même crise. Dans ce contexte de crise, il sera encore plus important de porter attention aux mécanismes juridiques de cession et aux outils récents (comme la fiducie) permettant de sécuriser l’exécution d’engagements financiers ou non (dépollution de site, etc.).