Florian Ielpo d’Unigestion, Head of Macroeconomic research chez Unigestion, revient sur le sentiment du marché et son fragile équilibre.
« Dans les trois dimensions de notre processus d'allocation dynamique des actifs, l’équilibre entre éléments positifs et négatifs s’est récemment amélioré. La situation macroéconomique est épouvantable, avec l'effondrement de nombreuses séries économiques, mais les banques centrales et les gouvernements se sont engagés massivement à absorber une partie substantielle de ce choc. Le sentiment était fragile mais s'est récemment améliorée. Cela reflète une normalisation de la liquidité dans les marchés. La volatilité implicite et réelle a considérablement diminué sur de nombreux marchés. Les valorisations étaient faibles, mais elles ont maintenant récupéré la moitié du terrain perdu depuis le début de la crise. Cette normalisation est un répit pour beaucoup, mais la saison des bénéfices servira d'arbitre, décidant si ces évaluations sont justes ou non. Ce meilleur équilibre entre la macro, le sentiment et les valorisations justifie une évolution vers une allocation d'actifs dynamique plus neutre dans nos portefeuilles.
Récession vs stimulation
S'il y a une conviction à laquelle nous avons adhéré ces dernières semaines, c'est notre compréhension de la situation macro. Lorsque l'on analyse les données économiques de la Chine, de la zone euro et des États-Unis, la situation est claire : depuis la mise en œuvre des quarantaines, le PMI chinois a connu une baisse sans précédent, suivie de près par une détérioration des enquêtes liées à la consommation et des séries de données « hard data ». Selon les estimations de cette semaine, le PIB chinois s'est contracté de 9,8% en termes non annualisées au cours du premier trimestre, éclipsant contraction antérieure. Au début, la Chine était à elle seule un problème important mais limité. Mais une fois le virus propagé à ses meilleurs clients, il était peu probable que les macro-données chinoises ne soient pas affectées. Les exportations de la Chine représentent 38% de son PIB, dont 17% destinées aux États-Unis, 15% à l'Europe et 5% au Japon.
Mais ce n'est pas tout : il y a quelques semaines, seules quelques séries de données affichaient des valeurs extrêmes (l'indice de la Fed de Philadelphie et les demandes d'allocations chômage pour les États-Unis, l'enquête IFO pour l'Allemagne et le PMI chinois). Aujourd'hui, sur les 21 économies que nous surveillons, 65% des données se détériorent. Il s'agit de niveaux observés fin 2007, début 1990 et 2001 pour les États-Unis et le monde, et début 2011 en Europe. L’actuelle récession est rapide et ses effets d'entraînement restent à mesurer. Pas étonnant que les produits de base cycliques soient toujours malmenés malgré les réductions de production, le pétrole brut WTI étant l'épicentre de la tempête.
Valorisations vs saison des bénéfices
Cette période d’annonce de résultats sera déterminante. Avec l'amélioration du sentiment, les marchés des actions et du crédit ont fortement progressé ce dernier temps. Nombreux sont ceux qui se demandent si ce rallye est « contre tendance » ou une véritable reprise des marchés. Les ratios PE sont sur le point d'entrer dans une zone plus neutre suite à une amélioration du côté "P". Dans le cas du S&P 500, le ratio PE antérieur est légèrement supérieur à 20 (contre 28 auparavant), tandis que la version ajustée du cycle de Shiller est passée de 33 à 25. Ces deux chiffres ne sont pas indicatifs d'une récession. La saison des bénéfices qui commence devrait permettre de juger de la justesse de ces chiffres : si le "E" devait baisser, les PE prospectifs augmenteraient, ne plaçant plus les actions dans la zone des valeurs bon marché. Les analystes s'attendent actuellement à une contraction des bénéfices de 18% en glissement annuel pour les sociétés du S&P500, de 22% pour le Stoxx 600 et de 19% pour le MSCI. Les marchés ne s'attendent pas à ce que cet effondrement persiste, les niveaux actuels des indices indiquant - selon nos estimations - une croissance des bénéfices de 0% en 2020 pour le S&P500. Cela pourrait se produire si le choc actuel est temporaire et suivi d'une période de forte reprise. Notre analyse des marchés du crédit est similaire, les spreads faisant état d’un choc contenu en 2020, mais avec une différence notable : ces spreads sont soutenus par les banques centrales, ce qui explique notre préférence actuelle pour le crédit par rapport aux actions.