« L’expert financier a un nouveau rôle à jouer », explique Céline Leroy, associée Litigation & Forensic chez Eight Advisory et Expert judiciaire à la Cour d’appel de Paris
A l’instar de la chaîne Canal Plus qui vient de suspendre le paiement de son contrat avec la Ligue de football, de nombreuses entreprises pourraient remettre en cause les contrats qui ne peuvent apporter les bénéfices escomptés ou dont l’équilibre financier se trouve bouleversé par la crise.
Les incertitudes juridiques quant à l’application de la notion de cas de force majeure (date d’application, situations et contrats concernés) conduisent à étudier les alternatives que seraient alors l’impossibilité d’exécution ou l’imprévision et dans laquelle l’expert financier a un rôle clé à jouer auprès des entreprises.
1/ Analyser, d’un point de vue financier, l’impact du Covid19 sur la rentabilité du contrat afin d’accompagner le dirigeant d’entreprise dans sa décision (soit de renégociation et/ou dans les situations extrêmes, de suspension ou de rupture du contrat).
« L’expertise financière intervient en support de l’analyse juridique, pour prouver ou pour vérifier que l’exécution du contrat devient excessivement onéreuse dans les conditions actuelles », note Céline Leroy.
L’analyse porte alors sur le fait générateur de la décision à partir du moment où la société est dans la zone grise, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas forcement d’un cas de force majeure. Il s’agit de collecter l’information historique sur la rentabilité du contrat, d’estimer les surcoûts de l’exécution du contrat dans les conditions dégradées dues au Covid19 et de modéliser le nouveau business plan du contrat (rentabilité attendue une fois prises en compte les hypothèses et estimations de l’impact du Covid19).
« L’objectif premier étant à court terme de trouver une issue favorable aux deux parties, par la négociation », souligne-t-elle.
Ex : Contrat de commissionnement dans le secteur du transport ferroviaire de véhicules neufs de constructeurs automobiles, la baisse de volume nécessitant de justifier du déséquilibre financier du contrat.
Ex : Demande de suspension d’un projet informatique majeur de plusieurs mois entraînant des surcoûts et donc un risque trop élevé de non-paiement au regard de la situation financière du client et de son secteur d’activité.
2/ Constituer aujourd’hui les moyens de preuve de demain
Dans les situations pour lesquelles aucune solution amiable n’aura pu être trouvée et qu’un contentieux sera né, les juges ou arbitres auront à apprécier la situation dans un horizon de temps de 12 ou 18 mois, c’est-à-dire « à froid », après la crise, sur la base de la documentation qui sera mise à leur disposition. « Ils auront nécessairement un œil critique pour s’assurer que la partie n’a pas profité d’un effet d’aubaine mais a pris une décision justifiée au regard des éléments à sa disposition à l’époque, c’est-à-dire aujourd’hui. Or la gestion opérationnelle de situations, et davantage dans l’urgence ou en situation de crise, peut conduire à ne pas documenter suffisamment les décisions prises, ne serait-ce que les échanges avec l’autre partie et la volonté de trouver une solution », conclut Céline Leroy.
La société devra être en mesure de prouver qu’elle aura cherché toutes les solutions alternatives ainsi que tous les moyens pour réduire les impacts et le préjudice pour les autres parties.
Ex : Utilisation des clauses MAC (Material Adverse Change) dans les contrats de financement d’acquisition de sociétés.
Conclusion
Les missions de l’expert financier dans la gestion de contrats impactés par la crise du Covid19
1/ Court terme
Disposer aujourd’hui des outils permettant la prise de décision et la négociation si possible : simulations des impacts sur le business plan historique, « probabilisation » de plusieurs scenarii.
2/ Moyen terme
Constituer aujourd’hui les éléments décisifs pour demain : éléments de preuve du bien-fondé de la décision et des impacts financiers.