Les chiffres officiels des entreprises qui seraient à reprendre ne reflètent pas la réalité des transactions. A l'occasion du Salon des entrepreneurs, Pascal Ferron, vice-président de Walter France et spécialiste de l'accompagnement de cadres repreneurs, et Stéphane Meunier, conseiller reprise d'entreprises à la CCI d'Ile-de-France, ont répondu à nos questions et donné des conseils pour sortir du lot.
Walter France : Pourquoi faut-il, quand on se lance dans la reprise d'entreprise, être réaliste et prévoyant ?
Pascal Ferron : Le marché de la reprise est très décalé : beaucoup de demandes pour peu d'offres en réalité. La première qualité d'un repreneur en herbe est donc d'être réaliste sur les vrais chiffres. Certes on annonce dans les médias qu'avec le papy-boom, 500 000 à 800 000 entreprises seraient à vendre. Mais dans ce chiffre sont inclus les toutes petites entreprises avec un ou deux salariés ou sans salarié (80% du tissu économique français), les commerces, et, à l'autre extrémité, les filiales de grands groupes et de sociétés étrangères. Il faut également exclure du marché les 30 à 40% d'entreprises qui se transmettent dans le cercle familial. Au final, ce sont 5 à 7 000 transactions de PME qui ont lieu chaque année. Il s'agit donc de ne pas se leurrer sur la réalité des chiffres.
Les vrais chiffres de la reprise d'entreprise
Le repreneur doit aussi être prévoyant, à plusieurs niveaux. Tout d'abord en s'assurant du soutien de sa famille proche. C'est un parcours long et difficile, durant lequel il ne maîtrise pas les délais, avec des moments d'espoir et d'enthousiasme (enfin le bon dossier !) qui alternent avec un profond abattement (comment retrouver le moral quand celui-ci échoue au bout de 6 mois). Il se sentira souvent seul. Dans ces moments de doute, il ne pourra compter que sur son cercle très proche. La famille ne fait pas que le soutenir, elle doit être intégrée au projet. Mieux vaut définir dès le début à quoi le conjoint est prêt : déménager, ou pas ? A 30 km, à l'autre bout de la France ? Pendant le processus de reprise, le train de vie va diminuer, et les adolescents doivent savoir qu'ils n'iront peut-être pas aux sports d'hiver cette année...
WF : C'est également au niveau financier qu'il faut bien préparer ses arrières ?
Stéphane Meunier : L'aspect financier doit être bien étudié, avant de se lancer. En effet, il faut savoir que le parcours de la reprise d'entreprise s'étale entre six mois, dans le meilleur des cas, jusqu'à deux ans voire au-delà. Le repreneur doit avoir en tête de n'entamer sous aucun prétexte son apport. Pendant la phase de sourcing, il peut éventuellement garder son emploi salarié, mais dès qu'il aura plusieurs dossiers à étudier, qu'il devra aller rencontrer des gens, à un moment cela ne sera plus gérable. Les indemnités de Pôle emploi seront précieuses. Mais attention, ce n'est évidemment pas lorsqu'il ne reste que trois mois d'indemnisation qu'il faut commencer à chercher... Le repreneur devra également prévoir le coût des conseils, essentiellement expert-comptable et avocat. Comme il a du temps, il peut faire beaucoup de choses lui-même, mais dès qu'il a identifié un dossier sérieux, qu'il a rencontré un ou plusieurs cédants, il devra, à ce moment-là, aller voir un expert-comptable. Pour l'étude du dossier, l'audit de l'entreprise, les documents juridiques, il devra prévoir entre 20 et 40 000 euros.
WF : Le professionnalisme et la méthode sont également inhérents au succès futur d'une reprise ?
Stéphane Meunier : C'est évident. Au tout début du processus, le repreneur devra se former. Il existe plusieurs formations dédiées à la reprise d'entreprise, comme celle du CRA (cédants et repreneurs d'affaires) ou les « 5 jours pour reprendre » de la CCIP, extrêmement bien conçues, qui vont permettre au repreneur de découvrir les différentes étapes du processus : comment sourcer un dossier, comment s'organiser, comment se comporter face à un cédant, comment étudier un dossier... Cela lui permettra aussi de se créer un nouveau réseau de relations dont il aura obligatoirement, à certains moments, bien besoin, notamment pour maintenir son moral !
La rédaction de la fiche de cadrage doit aussi faire l'objet d'un soin tout particulier. C'est la présentation du repreneur en une page. L'exercice est difficile car le repreneur devra, au préalable, faire une introspection pour être capable d'identifier clairement ses atouts : « En quoi suis-je bon ? Qu'est-ce que je ne sais pas faire ? Qu'est-ce que j'aime faire ? Quelle est ma véritable valeur ajoutée ? »
WF : Peut-on dire que la pro-activité et l'optimisme sont tout aussi déterminants ?
Pascal Ferron : Il est clair que la reprise d'entreprise se joue sur le terrain, pas dans son salon. Le repreneur doit être sans cesse en mouvement. A partir du moment où il décide que son objectif, c'est de reprendre une entreprise, il doit toujours se passer quelque chose, mais surtout, surtout, prendre des contacts, des contacts, des contacts. Parler de son projet autour de soi, à toutes les occasions, même chez le coiffeur ! Si on décide de sourcer soi-même, il faut se faire connaître auprès des cabinets de transaction, les convaincre que l'on est le meilleur, même avec un apport qui n'est pas extraordinaire. Il faut surtout viser le marché caché de la reprise, en contactant les entreprises qui intéressent, avec son téléphone tout simplement. En ayant en tête que les cédants ne sont pas toujours des personnes de plus de 60 ans qui partent à la retraite : 40% des cédants cèdent pour une autre raison que le départ à la retraite.
Quant à l'optimisme, au début c'est facile, au bout d'un an, il faut savoir aller puiser dans ses ressources les plus profondes ! Surtout que je peux affirmer que dans toute ma carrière, je n'ai pas une seule fois rencontré un repreneur qui avait vraiment envie de reprendre qui ne finisse par trouver une entreprise. Mais il ne faut jamais lâcher l'affaire.
WF : Face au cédant, écoute et humilité sont les mots-clés ?
Pascal Ferron : Lorsqu'il se retrouve face au cédant, le repreneur doit avoir bien en tête que celui-ci ne sera pas du tout impressionné par son parcours de super-cadre supérieur qui a beaucoup voyagé et a eu plein de responsabilités. Il cherche surtout à savoir, s'il sera capable de gérer une équipe plus petite, de prendre les décisions rapidement, d'être opérationnel et pragmatique. C'est l'aspect humain qui primera toujours. Le repreneur doit écouter le cédant, le faire parler, comprendre son entreprise, comment il l'a menée, ses motivations pour vendre (en lui demandant quels sont ses projets pour après, ce qui permettra de détecter les « cédants » qui, en fait, ne veulent pas vendre). C'est l'une des contradictions du parcours du repreneur : pour être chef d'entreprise, il faut un certain ego, mais face au cédant, il faut être d'une grande humilité.
Et enfin, pour que le projet de reprise soit viable, le repreneur devra construire son business plan sur la base de la valeur ajoutée qu'il peut apporter au dossier. En effet, s'il veut pouvoir se rémunérer au même niveau que le cédant et rembourser l'emprunt, il n'aura pas d'autre choix que de faire mieux que celui-ci.
La reprise d'entreprise est une formidable aventure humaine où rien n'est joué d'avance, c'est ce qui la rend passionnante.