Lancée en 2010 par les coopératives agricoles de Bourgogne Franche-Comté, la plateforme d’innovation agroenvironnementale (PIAE) Artemis salue son dixième anniversaire en rassemblant, à Longvic le 20 février, l’ensemble de ses contributeurs et de ses partenaires.
Après 10 ans d’expérimentation, la plateforme Artemis a dressé un vaste bilan de son activité et de ses résultats ce 20 février 2020. Organisées par les 5 coopératives membres*, ces « Rencontres Artemis 2020 » ont réuni à Longvic près de 150 participants : animateurs du réseau, techniciens, expérimentateurs et agriculteurs, directeurs et présidents des coopératives et leurs partenaires, tous impliqués dans la vie d’Artemis.
L’agroécologie à bras le corps
« Si l’on remonte à la genèse du projet, il s’agissait pour nos coopératives de Bourgogne Franche-Comté de concentrer leurs efforts et de mutualiser des moyens autour de problématiques agronomiques émergentes. Dans le giron du pôle de compétitivité Vitagora « Goût-Nutrition-Santé », nous voulions amorcer le virage vers l’agroécologie pour contribuer à une alimentation durable. Il fallait prendre ce dossier à bras-le-corps et nous étions parmi les précurseurs », rappelle Michel Duvernois, le directeur général de Bourgogne du Sud et président d’Artemis.
L’objectif majeur d’Artemis, depuis 10 ans, est de produire des références techniques à destination des agriculteurs pour une agriculture à la fois rentable pour le producteur et écologiquement vertueuse. « Artemis est, en France, le seul dispositif d’une telle ampleur porté par le secteur privé des coopératives. Ce sont 3,5 millions d’euros qui ont été engagés sur 10 ans avec le soutien de l’État et des collectivités lors des trois premières années, dans le fonctionnement de la plateforme et pour l’investissement dans du matériel spécifique d’agriculture de précision », précise Frédéric Imbert, directeur scientifique Dijon Céréales et de la PIAE Artemis.
La force de ce réseau est de couvrir une diversité de situations agricoles qui représentent la réalité des agriculteurs de Bourgogne Franche-Comté, les céréaliers, les éleveurs et le bio. « Cela se traduit par un maillage de 15 sites, soit 75 ha d’expérimentation au total, implantés sur différents terroirs, avec une approche longue-durée des essais, certains suivis et analysés depuis déjà 10 ans. Le pluriannuel permet d’évaluer l’effet cumulatif des pratiques. De ce point de vue, Artemis est devenue une marque ! », ajoute le directeur d’Artemis.
Remettre l’agroécologie au centre du débat
Avec 150 systèmes de cultures différents sous la loupe, une large gamme de stratégies techniques est testée sur ces plateformes, qu’elles aient pour objectif de maitriser les ravageurs des cultures en réduisant l’usage de produits phytosanitaires (ex : introduction de techniques de désherbage mécanique, techniques de semis direct sous couvert), ou encore d’améliorer la fertilité des sols sur le long terme (ex : augmentation des taux de matière organique pour favoriser l’activité biologique des sols). Artemis intègre aussi la dimension des nouvelles technologies et de l’agriculture de précision, elle s’est investie dès le départ dans les systèmes de guidage et de modulation.
Ce travail expérimental de terrain se traduit par la production d’une multitude de données : près de 50 000 interventions agricoles enregistrées en dix ans ; des milliers de mesures expérimentales sur le sol, la flore, les insectes, les maladies... Artemis a développé ses propres algorithmes pour automatiser le traitement de cette source data, et évaluer les performances de l’ensemble des stratégie testées, en le confrontant, afin d’identifier les plus vertueuses d’entre elles. « Nous sommes bien dans un réseau qui cherche à se projeter dans le schéma décisionnel de l’agriculteur (micro-exploitation). L’idée est d’arriver à une sorte d’arbre de décision qui mixe approche agronomique, économique avec la notion de débouchés ou encore sociale avec la charge de travail » ajoute Martin LECHENET (Dijon Céréales), animateur du réseau Artemis.
Alors, quels sont les grands enseignements qui ressortent de 10 ans d’Artemis ?
La PIAE Artemis a mis clairement en évidence la nécessité de diversifier les cultures, notamment par l’introduction de cultures de printemps dans les rotations afin de casser le cycle des ravageurs inféodées aux cultures d’hiver. Une approche qui, au fil du temps, est aussi confortée par les problématiques du changement climatique et de la volatilité des marchés céréaliers. « La répartition du risque, à travers la diversification de l’assolement et plus de souplesse technique, permet et permettra de mieux saisir les opportunités, c’est aussi un des apports en réflexion de nos plateformes », ajoute Philippe Koehl, responsable du service agronomie de la coopérative Interval.
L’expérimentation pluriannuelle démontre également les vertus des légumineuses (luzerne, pois protéagineux, soja...) dans les rotations pour améliorer le bilan énergétique des exploitations en apportant de l’azote organique. L’installation de couverts en inter-cultures, pour protéger les sols en hiver et favoriser leur activité biologique, a vu son intérêt confirmé. Ces cultures, intéressantes au plan agronomique, devraient voir leurs débouchés confortés. Des projets d’unités de méthanisation alimentée par des CIVEs (culture intermédiaire à vocation énergétique), ou encore de valorisation des protéines végétales locales en alimentation humaine et animales, sont aujourd’hui développés dans la région par les coopératives.
Si l’introduction d’outils mécaniques dans la stratégie de désherbage est un plus pour réduire l’usage des herbicides, Artemis démontre aussi que le « tout mécanique » en solution isolée peut, dans certains contextes emmener dans une impasse (rotation peu diversifiée, état de salissement important). Des semis de céréales plus tardifs, en vue d’éviter la période de levée préférentielle des adventices (mauvaises herbes), ont fait leur preuve dans la majorité des cas. Le travail mené par Artemis confirme aussi qu’un labour occasionnel d’opportunité n’est pas à proscrire.
Les essais dédiés à l’agriculture biologique et aux productions fourragères ont permis d’identifier rapidement des marges de progrès, dans un contexte où les besoins techniques terrain des coopératives étaient forts pour accompagner leurs adhérents.
Pas de solution clé en main !
Mais finalement, la grande conclusion de 10 ans d’Artemis, c’est qu’il n’y a pas de solution clé en main. « Les évolutions sont aussi diverses que les situations, d’où l’intérêt des 15 sites et de la diversité des systèmes suivis par notre réseau. Il faut combiner les leviers, ne pas s’interdire de solutions, évaluer leur impact pour réajuster en permanence la stratégie », résume Amélie Petit, responsable de l’expérimentation chez Seine Yonne.
Artemis, outil au service des agriculteurs, se veut donc autant un espace de recherche agronomique qu’un « lieu » de dialogue. « La visite de nos plateformes, les échanges entre techniciens et agriculteurs, c’est en quelque sorte de la formation continue, Artemis a été le creuset d’autres initiatives comme le club AgroEcos autour de l’agriculture de conservation », rappelle Vincent Vaccari, référent des sites Artemis de Fromenteau.
« Nous avons pu appréhender aussi, dans ce dialogue permanent entre nous, les différents niveaux d’acceptation du risque à changer de la part des agriculteurs. L’agriculture et la conduite d’une exploitation, ce sont des choix techniques mais aussi des choix de vie ! », conclut Martin Lechenet.
Artemis poursuit donc sa route expérimentale, celle finalement du meilleur compromis à trouver pour l’agriculture entre compétitivité économique, faible impact environnemental et équilibre social, celle de la durabilité des systèmes agricoles.
* Membres actionnaires d’Artemis : coopératives Dijon Céréales, Bourgogne du Sud, Terre Comtoise (réunies au sein de l’Alliance BFC), Seineyonne et Interval, la Chambre d’Agriculture Bourgogne Franche-Comté, le groupe Invivo, Sofiprotéol, Sayens (ex.Wellience). Un partenariat scientifique étroit a toujours été entretenu avec l’Inra Dijon.
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Retour aux sources, pour mémoire
C’est fin 2008, suite au lancement par l’État d’un appel à projets visant à mettre en œuvre des plates-formes d’innovation afin de renforcer les pôles de compétitivité, que le pôle régional Vitagora « Goût Nutrition Santé » a proposé un projet qui allait conduire, deux ans plus tard, à la création de la plateforme d’innovation agro-environnementale PIAE Artemis. Retenu et abondé par le FUI (Fonds Unique Interministériel), le projet Artemis a également reçu les soutiens du Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté, du Conseil Départemental de Côte-d’Or et de la Métropole Dijonnaise, des appuis financiers qui ont permis l’acquisition de matériel d’expérimentation dédiés.
A l’origine, le dispositif s’appuyait sur 8 sites à travers la Bourgogne Franche-Comté, dont un alors en conversion vers le bio, avec des typologies de sols différents et des complémentarités. Neuf thématiques de travail avaient alors été identifiées, les protocoles fixaient aussi la notion de parcelle élémentaire à 50 mètres x 12 mètres au minimum.
Les premiers essais ont démarré fin 2010 sur les plates-formes de Gy (Haute-Saône) et de Virey-le-Grand (Saône-et-Loire) autour des thématiques « travail du sol » et « amendements ».
Le dispositif s’est amplifié au semis d’automne 2011, le site dédié à l’agriculture biologique (Aiserey) a été emblavé pour la première fois en 2013. Chacune de ces plates-formes occupe environ une dizaine d’hectares placés sous la responsabilité des techniciens d’expérimentation des équipes techniques des coopératives impliquées dans Artemis.