Il y a douze ans, Isabelle Guyomarch était cadre supérieure au sein d’un grand laboratoire pharmaceutique. La volonté de donner du sens à sa carrière tout en sortant du « carcan managérial des grands groupes internationaux » l’ont amené à reprendre le groupe CCI Productions, une entreprise normande avec deux usines en difficultés. Les années qui ont suivi relèvent du parcours de la Combattante, le titre du livre qu’elle vient de publier au Cherche Midi (voir notre article à ce sujet). Fort heureusement, ceux-ci débouchent sur de nombreuses victoires.
Esteval : Quelles ont été vos motivations pour quitter un emploi enviable, bien rémunéré, et synonyme de réussite ?
Isabelle Guyomarch : Malgré le confort matériel indéniable dans lequel je baignais, les frustrations s’accumulaient. J’ai eu besoin de reprendre le contrôle de ma vie et de redonner du sens à ma carrière. Je n’ai donc pas hésité à prendre tous les risques, à démissionner et à m’engager personnellement dans la reprise de CCI Productions. Cela m’a permis de retrouver de l’énergie, une volonté d’innover et une liberté d’action qui a impacté directement ma puissance de travail. C’est un peu comme si, à 40 ans et après avoir eu deux filles, je donnais naissance à un troisième enfant : je redonnais vie à desusines en train de mourir.
Et d’un point de vue humain, relationnel ?
I.G. : En me lançant dans cette aventure, j’ai pu initier une belle aventure humaine aux côtés de 250 salariés. J’ai pu découvrir de nouvelles personnes dans un secteur d’activité – le parfum et les cosmétiques – qui m’a rapidement enthousiasmée, des équipes motivées ou à remotiver. En effet, s’il était indéniable que l’entreprise était faite pour moi, elle perdait tout de même environ 1 million d’euros par mois et était passée par une première tentative de cession qui s’était soldée par un échec. Fort heureusement, nous sommes parvenus à un accord avec le dirigeant historique, soucieux de la pérennité de son entreprise, et avons ainsi pu remettre l’ensemble sur les rails avec quelques partenaires.
Quelles ont été les principales mesures prises ?
I.G. : C’était en 2008, la situation était difficile pour tout le monde. Nous avons restructuré le portefeuille clients et avons investi dans le personnel. J’ai catégoriquement refusé tout licenciement – même si la tentation a été forte parfois tant l’équilibre était précaire – ce qui nous a permis de maintenir les effectifs depuis 12 ans. En résumé, j’ai combiné, depuis cette période, une vision guerrière de l’entrepreneuriat et une vision humaniste des ressources humaines.
Pourtant la route était semée d’embuches et pas des moindres…
I.G. : Effectivement. J’ai été victime 5 ans après la reprise d’un cancer du sein très agressif. Il m’a fallu composer avec cette terrible nouvelle, avec les traitements mais aussi avec l’idée que mon entreprise allait peut-être m’échapper. Alors que j’étais dans une situation de fragilité physique et financière, j’ai appris que les associés minoritaires voulaient partir, vendre leurs parts. Il a alors fallu faire preuve de détermination et d’ingéniosité car les compagnies d’assurance refusaient de parier sur moi. Fort heureusement, j’ai pu m’appuyer sur l’une de mes filles, qui s’est investie dans l’entreprise, et j’ai ainsi pu racheter une deuxième fois CCI Productions en 2015. L’entreprise était sauvée une deuxième fois. La transparence et l’énergie ont payé : les banques ont suivi.
Sans trop de problèmes ?
I.G. : Je dis souvent qu’on a les banquiers qu’on mérite. Tous nos actes de gestion laissent des traces et portent leurs fruits. Nous avons réussi à instaurer un climat de confiance, comme avec les salariés. Il s’agit là des effets collatéraux positifs de la rigueur et de la ligne de conduite qui est la mienne. Nous avons ainsi pu faire face aux différentes épreuves sans perdre notre savoir-faire. On peut même aller plus loin et affirmer qu’une entreprise porte nécessairement et durablement les stigmates des compromis et des petits arrangements parfois tolérés par leurs dirigeants. C’est un sujet de fierté pour nous de pouvoir affirmer aujourd’hui que ce qui a été accompli est la conséquence d’une ligne de conduite irréprochable.
En 2017, vous avez souhaité donner une impulsion supplémentaire à votre dynamique entrepreneuriale avec Ozalys. Quelle a été la genèse de ce projet extraordinaire ?
I.G. : J’en étais à ma quatrième chimiothérapie et je subissais au quotidienl’inadéquation des produits de soins à mon extrême fragilité. Je me suis alors fait la promesse de trouver des solutions à apporter aux femmes, atteintes d’un cancer. Les idées se sont succédées (brume pour la peau, dentifrice non abrasif…) avec l’ambition de devenir une référence mondiale dans ce domaine.
Avec Ozalys, vous vous positionnez sur le créneau du luxe abordable. Pourquoi ce positionnement ?
I.G. : Dans ce domaine, le poste recherche et développement est particulièrement important et, toujours fidèles à nos valeurs, nous n’avons pas souhaité faire de compromis sur la qualité ou sur la sécurité de nos clients. A ce jour, nous n’avons d’ailleurs pas de réels concurrents directs. Les grandes marques ne se positionnent sur la peau au sens large (sèche, grasse, atopique….). Pourtant, on dénombre actuellement 18 millions de patients à travers le monde susceptibles de bénéficier de nos découvertes et innovations. Notre ambition au quotidien est de combiner efficacité et sécurité.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
I.G. : Ozalys, en deux ans, est déjà présente dans 32 pays. Les salariés nous suivent et nos clients sont satisfaits grâce aux promesses tenues par la gamme. Les objectifs sociétaux – nous allons au-delà de ce qu’exigent les lois – sont atteints grâce à une vision de l’entreprise résolument humaniste. C’est la preuve qu’efficacité et compétitivité ne sont pas incompatibles avec une telle approche.
Propos recueillis par Thierry Bisaga