Tribune de Julien Soulard, Directeur Retail Banking, cabinet de conseil Chappuis Halder & Co.
Même si à l’étranger les expériences de distribution déléguée sont déjà nombreuses, la formule d’agences bancaires franchisées se décline progressivement en France. La motivation première consiste certes à rationaliser les coûts de distribution, mais il faut également y voir l’opportunité de renouveler la valeur d’usage du point de contact physique.
Bien qu’encore peu répandue, la formule d’agences bancaires franchisées intéresse actuellement un certain nombre d’établissements. En France, comme ailleurs. En quoi consiste exactement cette formule ? A voir se développer des points de vente distribuant sous licence les services et les produits d’un établissement financier. Des points de vente tenus par des personnes non-salariées de cet établissement et ne ressemblant pas forcément à ses agences, dans leur aspect ni même exactement dans les offres qu’ils proposent.
Les agences bancaires franchisées, une opportunité pour les banques à travers le monde
En Europe, la formule est apparue à partir des années 90, pour développer une présence sur des territoires insuffisamment peuplés (Suède), dans le contexte particulier de l’euphorie bancaire d’avant la crise de 2008 (Espagne) ou en tenant compte de certaines particularités locales (Belgique). Aux Etats-Unis, le phénomène, peu favorisé par la réglementation, n’a pas vraiment pris, sinon par certains Credit Unions, comme extension de leur modèle coopératif (plutôt que sous la forme de véritables franchises), lesquels y ont vu l’opportunité de renforcer leur ancrage local et une sorte de barrière posée à leur absorption par d’autres établissements.
Dans un registre de distribution déléguée plus large que celui d’agences franchisées, en Turquie, Aktif Bank a choisi de développer son empreinte géographique en installant des GAB chez des commerçants, et en faisant le pari de proposer une offre et des parcours clients sur automates. Ce faisant, la banque ne cherche pas seulement à être présente dans des zones où l’ouverture d’agences ne se justifierait pas, mais elle a choisi d’élargir son réseau de distribution sans avoir à investir plus que le coût d’installation de GAB.
En Inde, la chaine Vakrangee propose aux banques indiennes d’utiliser les petites boutiques qu’elle monte un peu partout en franchise et qui réalisent ventes et assistance de téléphonie mobile, d’internet, de banque et d’assurance. Des commerces divers trouvent ainsi là une diversification intéressante. Et les banques peuvent faire de ces boutiques autant de points de vente exclusifs à moindre coûts.
Enfin, c’est en Australie que l’on trouve l’établissement ayant été le plus loin dans le déploiement de la formule. Bank of Queensland a en effet choisi de limiter son réseau propre à quelques implantations clés et de s’appuyer, en franchise, sur la dynamique d’initiatives locales en termes d’agences. Le pari est de profiter ainsi d’opportunités ponctuelles au moindre coût, y compris de formation dans la mesure où les franchisés sont essentiellement… d’anciens responsables d’agences bancaires.
Des expériences déjà réussies de distribution déléguée en France
En France, les banques n’ont pas ouvert d’agences franchisées. Toutefois, les courtiers de crédit en ligne (Meilleurtaux, CrediPro…) développent leurs réseaux de boutiques de cette façon (en s’adressant souvent également à d’anciens responsables d’agences bancaires). Compte Nickel passe par les buralistes, qu’il dote d’équipements propres. Par ailleurs, les banques peuvent déléguer à d’autres commerces le traitement de certaines opérations, comme le Crédit Agricole avec ses 6 000 Points verts. Des superettes, boulangeries ou bureaux de tabac-presse auprès desquels il est possible d’effectuer des retraits d’argents - ce qui permet au Crédit Agricole d’être présent dans toutes les communes de plus de 1 000 habitants, ne justifiant néanmoins pas l’installation d’un GAB et, encore moins, l’ouverture d’une agence.
Cependant, l’idée de points de vente franchisés intéressait peu, jusqu’à ce que la rationalisation des parcs d’agence ne devienne une priorité stratégique. Au mieux concédait-on que la formule, plus économe que le maintien d’agences, pouvait avoir un intérêt en phase de transition, en attendant que tous les clients se convertissent au digital - une solution « défensive ». Aujourd’hui, il est admis que les agences bancaires resteront présentes dans le paysage bancaire, en nombre plus limité, et avec une valeur d’usage renouvelée. Parmi les tendances, on observe un retour au basique, la nécessité d’accompagner le développement de la banque digitale par des relais de proximité d’un nouveau genre. La question de l’offre de service physique et sa rentabilité reste néanmoins cruciale.
L’opportunité de revoir la notion de proximité et de service physique, dans une relation à dominante digitale
En Asie, la State Bank of India a ouvert des points de vente dans les grandes villes pour sa filiale de banque digitale InTouch. Des agences d’un nouveau type, réalisant des traitements instantanés (ouvertures de compte, crédits à la consommation, assurances et délivrance de cartes bancaires, …) et permettant de traiter tout le reste en visioconférence avec des experts. Ce modèle - aujourd’hui adopté également par plusieurs banques américaines - se fonde sur le constat que commercialiser des produits et services financiers devient plus aisé dans un monde digital. Néanmoins, en complément de l’accès à l’offre, le client valorise également l’assistance immédiate, le service instantané. Or cette fonction de « première ligne d’assistance », d’abord centrée sur tout ce que le mobile ne permet pas ou permet mal de faire, n’est plus vraiment du ressort de chargés de clientèle de plus en plus experts, voire spécialisés.
Ainsi, si cette formule de franchise participe à la nécessaire adaptation des réseaux d’agences bancaires, elle ne consiste pas uniquement à remplacer ces dernières au moindre coût. Elle répond à une fonction commerciale nouvelle, qui consiste à proposer un support physique et d’accès aussi facile qu’immédiat en accompagnement des outils digitaux. Cette même formule, offrant une grande souplesse d’installation, peut également être déclinée pour répondre à des besoins spécifiques (mobilités internationales, clientèles fragiles, …). L’exemple d’Axa et de ses agents généraux témoigne qu’un grand établissement financier peut fonctionner en franchise en respectant strictement ses obligations réglementaires, en encadrant comme il le souhaite les délégations de décisions et – ce qui n’est pas négligeable - sans exiger forcément un apport personnel des candidats.
Enfin, un dernier point doit être souligné : la formule de points de vente en franchise permettrait de répondre à une problématique de maillage du territoire que rencontrent un certain nombre de banques françaises, avec aujourd’hui des réseaux d’agences souvent déséquilibrés, comme le montre la carte ci-dessous. Dans de nombreux cas, en effet, la densité des implantations semble ne pas correspondre aux bassins d’activités et d’emplois actuels. Au regard de tous ces éléments, la formule d’agences franchisées doit être étudiée au titre d’une véritable opportunité, dont les critères de rentabilité sont assez faciles à déterminer.