Pour être compatibles avec l'Accord de Paris sur le climat, les Institutions financières publiques ont encore un long chemin à faire
Les Amis de la terre France, Oxfam France et le Réseau Action Climat France publient le rapport « Cachez ces fossiles que l'on ne saurait voir - 3 institutions financières publiques à l'épreuve de l'Accord de Paris ».
Ce rapport passe au crible 3 institutions financières publiques pour évaluer leur alignement avec l'Accord de Paris : l'Agence Française de Développement (AFD), la Banque Européenne d'Investissement (BEI) et Bpifrance Assurance Export, l'agence française de crédit à l'exportation.
Résultat : derrière de beaux engagements - quand c'est le cas - ce rapport met en lumière des pratiques disparates, encore incomplètes et des institutions qui continuent de financer les énergies fossiles. Pourtant, au One Planet Summit en 2017, l'Agence Française de Développement (AFD) s'engageait aux côtés d'autres banques de développement, à rendre leurs activités 100% compatibles avec l'Accord de Paris.
Compatibilité avec l'Accord de Paris : des signaux encourageants mais encore insuffisants
Difficile de justifier les activités de Bpifrance Assurance export : elle fait figure de cancre en faisant largement l'impasse sur le paramètre climatique dans ses activités de soutien à l'exportation. Cette contre-performance est rattrapée par l'AFD et la BEI, qui ont annoncé à plusieurs reprises leur engagement de mettre en conformité l'ensemble de leurs activités avec l'Accord de Paris.
Mais si l'AFD a fait des efforts - plus ou moins aboutis - pour atteindre cet objectif, la BEI n'a pas encore changé ses pratiques. La révision de sa nouvelle politique énergie à l'automne 2019 devra être une étape majeure afin de juger son niveau d'ambition.
Point le plus préoccupant : aucun de ces 3 établissements financiers n'a, à ce jour, intégré la limite de 1.5°C de réchauffement comme seuil de référence pour orienter ses décisions d'investissements. Pourtant, le seuil de 1.5°C est le seul qui limite les pires impacts des dérèglements climatiques selon les scientifiques du GIEC.
Des institutions qui continuent de financer les énergies fossiles
Pire, le rapport dévoile qu'à des degrés variés, les 3 institutions financières sont loin d'avoir renoncé à leurs financements aux énergies fossiles.
Entre 2015 et 2018, l'État a ainsi subventionné, via Bpifrance Assurance Export, des entreprises françaises à hauteur d'au moins 2 Mds€ pour des projets d'énergies fossiles, à travers des garanties à l'exportation. C'est l'équivalent des financements de l'AFD pour l'adaptation entre 2015 et 2017. « Les financements publics français à l'international ne devraient pas être un jeu à somme nulle : d'un côté de l'aide au développement pour aider les populations à s'adapter aux changements climatiques, et de l'autre des aides à l'exportation pour exploiter de nouvelles réserves d'énergies fossiles. C'est totalement incohérent ! », s'insurge Cécile Marchand, chargée de campagne climat et acteurs publics aux Amis de la Terre.
Côté BEI, le bilan n'est pas plus reluisant. Entre 2015 et 2018, la BEI a consacré 21% de ses prêts dans le secteur de l'énergie aux fossiles, soit 7,9 Mds€, principalement dans le développement de nouvelles infrastructures gazières en Europe. « Alors que la BEI se targue déjà d'être la Banque Européenne du Climat, elle continue à soutenir les énergies fossiles. C'est une bien piètre réponse à la mobilisation de milliers de citoyens pour le climat en Europe », déplore Alexandre Poidatz, chargé de la régulation des acteurs financiers chez Oxfam France.
Recours croissant à des intermédiaires financiers : de l'argent public intraçable
Autre révélation du rapport : l'AFD et la BEI pratiquent, comme de nombreuses institutions financières publiques, l'intermédiation financière, c'est-à-dire des investissements dans des fonds ou des prêts à des banques commerciales pour financer des projets. Ainsi ce sont 30% des soutiens financiers de la BEI qui ont transité par des intermédiaires financiers entre 2015 et 2018, soit 92,8 Mds€, sans garantie qu'ils ne soient utilisés pour le développement de projets néfastes au climat.
Quant à Proparco, la filiale de l'AFD qui finance des entreprises et institutions financières privées, elle a fait transiter 46% de ses fonds via des intermédiaires financiers en 2018. Sur la période 2015-2018, ce sont 1,5 Md€ qui ont été alloués à des acteurs financiers sans motif précis. « En ayant recours à des intermédiaires financiers, le groupe AFD soustrait au regard du public la traçabilité d'une partie croissante de ses financements, sans fournir aucune garantie que cet argent ne serve pas à financer des projets incompatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris. Cela s'ajoute à une fâcheuse tendance de l'AFD : entre 2015 et 2018, elle a omis de rendre publiques les informations sur près de ¾ de ses financements dans le secteur de l'énergie. Ce manque de transparence est inacceptable », regrette Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer climat à Oxfam France.
La volonté politique du gouvernement sera déterminante
Ce rapport intervient quelques semaines avant plusieurs rendez-vous où l'action climatique de la France sera sous les projecteurs de la communauté internationale : le G7 présidé par la France fin août, sa réunion ministérielle sur les financements, le 17 et 18 juillet prochain et le Sommet Action Climat des Nations-Unies en septembre pour lequel la France est cheffe de file sur la finance climat. La crédibilité d'Emmanuel Macron sera mise à mal sur la scène internationale, si la France n'est pas irréprochable au niveau national et européen. Or, le rapport publié démontre qu'en ce qui concerne les financements publics, la France est loin d'être à la hauteur.
« La France doit sans délai pousser les institutions publiques à s'aligner effectivement avec les objectifs de l'Accord de Paris. Au-delà des belles annonces qu'elle sait si bien orchestrer, il s'agit maintenant de s'intéresser à la mise en oeuvre de ses engagements et à la cohérence de ses propres aides publiques à l'international, qui alimentent la crise climatique », estime Lucile Dufour, responsable des politiques internationales au Réseau Action Climat France.