Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France et Président de l’ACPR, prononcé lors de la conférence de presse de présentation du rapport annuel 2018 de l’ACPR.
« Je suis heureux de vous accueillir pour la présentation du rapport d’activité 2018 de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), avec Bernard Delas, vice-président de l’ACPR, Rémi Bouchez, président de la commission des sanctions, et Edouard Fernandez-Bollo, secrétaire général de l’ACPR. En 2018, les femmes et les hommes de l’ACPR ont continué d’œuvrer sans relâche pour la stabilité financière, dans un contexte marqué par l’incertitude - et parfois l’urgence - du Brexit. Je tiens à les en remercier. Ce matin, je centrerai mon propos sur une problématique d’actualité, celle de la rentabilité des banques et des compagnies d’assurance en France et en Europe. »
Extrait du rapport annuel 2018
I - Une rentabilité des banques et assurances françaises résiliente
Le rendement des fonds propres des grandes banques françaises [return on equity - RoE] a progressé légèrement en 2018 de 0,4 point pour s’établir à 6,7%, et retrouver ainsi son niveau de 2015. Cette rentabilité maintenue doit s’apprécier au regard de la forte croissance de leur niveau de capital. Les banques françaises ont renforcé leur solvabilité et sont aujourd’hui plus résistantes. Leurs fonds propres ont ainsi presque triplé depuis la crise. Parallèlement, leurs ratios de fonds propres durs (CET1) ont augmenté de près de huit points depuis 2008 passant de 5,8 à 13,6% en 2018. La rentabilité des banques françaises s’inscrit dans la moyenne de la zone euro, et est très supérieure à celle des banques allemandes. À l’échelle mondiale, seules les banques américaines se distinguent avec un RoE moyen supérieur à 10%.
Au cours des 10 dernières années, les banques françaises ont accompli un chemin considérable dans un environnement économique, financier et règlementaire exigeant. Il faut donc se prémunir contre deux références trompeuses qui consisteraient d’une part à comparer les RoE actuels à ceux d’avant-crise - ils étaient clairement excessifs -, et d’autre part à se focaliser sur l’indicateur du coût du capital (Cost of Equity). Il reste, dans le cas des banques européennes et françaises, apparemment excessivement élevé, à plus de 9%, contre moins de 7% pour les banques américaines ; ce chiffre ne traduit ni le renforcement de leur solvabilité et donc de leur sécurité, ni la forte baisse des taux sans risques.
S’agissant des assurances, le secteur reste solide. Le taux de couverture du capital de solvabilité des organismes devrait atteindre près de 240% fin 2018, soit un niveau proche de celui de 2017. Mais je laisserai Bernard Delas revenir plus en détail sur le sujet.
II - Pour autant, une dynamique moins favorable qui appelle une mobilisation.
2.1 Trois facteurs d’attention en dynamique
Au-delà de la qualité de la photo 2018, la vue prospective - en dynamique - appelle vigilance et mobilisation. Trois facteurs d’attention pèsent en effet sur la rentabilité des banques françaises comme des banques européennes. Les deux premiers affectent avant tout la banque de détail : le maintien de taux bas et la digitalisation. Le maintien d’un environnement de taux bas est totalement justifié et nécessaire compte tenu de la situation économique en zone euro ; mais il contribue à réduire la marge nette d’intérêt des banques de détail qui se financent par des dépôts - et non à taux variable sur les marchés -, et le rendement des placements des assureurs. S’agissant plus spécifiquement des banques, il ne s’agit ni d’ignorer ce sujet, ni de l’enfler en en faisant l’explication unique en matière de rentabilité des banques en zone euro. Le Conseil des gouverneurs l’a dit explicitement le 10 avril dernier « Dans le cadre de notre évaluation régulière, nous examinerons également si le maintien des retombées favorables des taux d’intérêt négatifs pour l’économie exige l’atténuation de leurs éventuels effets secondaires, le cas échéant, sur l’intermédiation bancaire » : laissons donc le temps de ce travail, puis de la décision éventuelle. Mais il serait exagéré de trouver ici l’explication unique : la politique monétaire a d’autres effets favorables pour les banques, dont la diminution du coût du risque et l’augmentation des volumes de prêts ; et certains systèmes bancaires, dans les pays nordiques notamment, ont de meilleures rentabilités avec des taux d’intérêt au moins aussi bas.
Plus structurellement, les institutions financières - banques comme assurances - sont confrontées à un défi existentiel, celui de leur mutation digitale, qui révolutionne les usages et apporte beaucoup aux clients. L’adaptation à ce nouvel écosystème nécessite toutefois de gros investissements ; et entraine une pression à la baisse sur les revenus. Face à cette situation, les établissements financiers devront dégager de nouveaux gains de productivité et de nouveaux services personnalisés, en explorant encore plus les voies de l’automatisation et de l’intelligence artificielle (IA). L’ACPR travaille activement sur ces sujets. Après la publication d’un document de réflexion sur les enjeux de l’IA pour le secteur financier, le superviseur a lancé, en février dernier, un appel à candidature pour des ateliers de travail avec les acteurs du secteur financier. Trois processus clefs sont concernés : la LCB/FT, les modèles internes et la protection de la clientèle.
Le troisième facteur d’attention concerne les banques d’investissement. En 10 ans, les banques d’investissement européennes ont perdu, selon certaines estimations, dix points de parts de marché au profit des banques américaines. Cette évolution s’explique, notamment, par la difficulté des banques européennes à atteindre une taille critique indispensable pour intervenir sur un marché mondial. Le Brexit ne devrait pas suffisamment modifier cette tendance si persiste la fragmentation du marché européen. A l’inverse, les banques d’investissement américaines sont portées par un très vaste marché intérieur, où les marges sont plus fortes. Leur taille est un atout décisif pour faire des économies d’échelle, et se positionner sur les financements de grande envergure. Face à ces défis structurels, les BFI des banques françaises ont déjà engagé un recentrage sur les métiers les plus rentables et mené des plans importants de réduction des coûts. Mais d’importants chantiers demeurent notamment en matière d’industrialisation des processus et des flux ; la digitalisation change aussi les métiers de trading.
2.2 Trois mobilisations en conséquence pour les banques et les régulateurs
Le renforcement de la rentabilité bancaire passe avant tout par des stratégies de restructuration dans chaque banque. Pour ce faire, les institutions bancaires disposent de plusieurs leviers d’action : l’innovation technologique, la maitrise des coûts ou encore la diversification des sources de revenus. De ce point de vue, je souligne la résilience du modèle français dit de banque « universelle » ou diversifiée. Combiner les trois métiers de banque de détail, de services financiers spécialisés, de banque de grande entreprise et de marché, développe les revenus croisés - le cross-selling - et atténue la sensibilité au cycle des taux d’intérêt, à travers la diversité des financements. À l’intérieur même de la banque de détail, la rentabilité a été mieux préservée grâce à l’accroissement des commissions générées par des activités indépendantes des taux d’intérêt : les services de paiements, la gestion d’actifs et le placement d’assurances. La marge nette d’intérêt des six principaux groupes bancaires français représente ainsi 44% de leur résultat net contre 57% de celui des banques de la zone euro.
Le défi de la rentabilité bancaire appelle un autre impératif : la consolidation transfrontière qui permettrait à de véritables groupes bancaires pan-européens d’exercer plus efficacement leurs activités et, ainsi, de mieux faire face à la concurrence internationale. Comparé au marché américain, le secteur bancaire européen reste fragmenté : la part de marché des 5 principales banques européennes s’élève à 20% contre plus de 40% aux États-Unis. Cet objectif relève en partie des pouvoirs publics : l’Union des marchés de capitaux doit enfin progresser concrètement, et l’Union bancaire doit être achevée dans un vrai marché unique bancaire. Il importe notamment de lutter contre les pratiques de « ring-fencing » qui sont autant d’obstacles à la mise en place d’une approche sur base consolidée pour la gestion de la liquidité et du capital. En cas de crise, ces politiques pourraient se révéler dangereuses en limitant la capacité des entités d’un groupe transfrontière à se soutenir mutuellement. Pour autant, les acteurs privés n’ont pas besoin de tout attendre des pouvoirs publics avant de commencer à penser consolidation dans leurs stratégies.
Enfin, il convient d’assurer l’égalité de traitement des établissements face à la réglementation internationale. Pour y parvenir, deux conditions sont impératives. La transposition de Bâle III doit être raisonnable et tenir compte de l’application de « l’output floor » au plus haut niveau de consolidation. Cette transposition doit être surtout équitable et mise en œuvre de manière fidèle dans l’ensemble des juridictions, y compris les États-Unis. Je veux cependant être clair : la solution aux défis bancaires n’est pas la dérèglementation, mais l’innovation ; pas le retour en arrière - vers la crise financière -, mais l’élan en avant.
III - Il nous faut rester totalement mobilisé sur deux risques mortels : la LCB-FT et la cybersécurité
La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) appelle une mobilisation sans faille. Les 23 missions de contrôle conduites par l’ACPR ont révélé des carences significatives dans la mise en œuvre par les organismes assujettis de leurs obligations de LCB-FT et de gel des avoirs. En 2018, la commission des sanctions a prononcé neuf sanctions, dont une s’élevant à 50 M€. Parallèlement à l’évaluation de la France par le Groupe d’action financière en 2020, l’ACPR s’impliquera fortement dans la mise en place d’un dispositif de LCB-FT rénové et robuste à l’échelle européenne. J’ai toute confiance en l’Autorité bancaire européenne - qui s’installe à Paris le 13 juin prochain - pour promouvoir une coopération efficace et des échanges d’informations fructueux entre les superviseurs nationaux. Edouard Fernandez-Bollo préside d’ailleurs le comité interne dédié à la LCB-FT au sein de l’Autorité bancaire européenne. La conférence de l’ACPR dont la matinée sera consacrée à la LCB-FT, qui se tiendra le 21 juin prochain, sera l’occasion de rappeler les efforts que nous devons tous poursuivre dans ce domaine.
Enfin, l’ACPR et la Banque de France sont en première ligne des actions menées pour renforcer la cybersécurité du secteur financier, qui est une priorité de la présidence française du G7. Je rappelle que le secteur financier ne connait pas de menace plus certaine que celle des cyber-risques. Dans ce contexte d’urgence, nous allons mettre en œuvre des mesures concrètes prochainement. Je pense notamment à une « catégorisation » commune des cyber-incidents ou aux leçons à tirer du cyber stress-test G7 organisé début juin par la Banque de France.