Tribune de Daniel Gerino, Président et directeur de la gestion de Carlton Sélection
Avec ou sans accord avec l’Union européenne, la place financière de Londres sortira durablement affaiblie du Brexit. Quant à l’industrie financière européenne, elle se retrouve également au pied du mur.
A quelques semaines de l’échéance, les modalités de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ne sont toujours pas connues. Le compromis trouvé entre la Commission européenne et le gouvernement britannique doit être à nouveau soumis au vote du Parlement britannique, le 15 janvier, sans aucune garantie de succès pour Theresa May. Qu’il y ait accord ou non (« hard Brexit »), la sortie du Royaume-Uni de l’UE va poser de nombreux problèmes à l’industrie financière, au vu du poids de la place de Londres pour les Européens. Depuis les années 1980, des raisons fiscales, sociales et linguistiques, ainsi que la réputation historique de la City, avaient, en effet, poussé les banques du Vieux Continent à concentrer massivement leurs ressources humaines et leurs infrastructures financières (marchés dérivés, chambres de compensation etc.) dans la capitale britannique.
Après le Brexit, la place de Londres ne sera plus une place financière de taille mondiale. Le Royaume-Uni peut en revanche devenir un paradis fiscal affranchi d’une réglementation européenne devenue de plus en plus contraignante au fil des années (MiFID 2, Esma etc.). Mais l’établissement d’une place offshore de référence aux marges de l’UE (sur le modèle suisse) est un coup de poker qui n’est pas sans risques. Hors de l’UE, Londres ne sera plus en mesure d’exercer son influence. Lors des négociations, Michel Barnier, l’excellent négociateur européen qui a montré une maîtrise parfaite du dossier, n’a pas cédé sur les demandes britanniques les moins justifiées. Ainsi, le Royaume-Uni perdra son « passeport européen » à l’issue du Brexit. A ce stade, il faut néanmoins saluer la détermination de Theresa May, attaquée de toutes parts et d’abord au sein de son propre parti. Le Premier ministre britannique a tenu la barre dans la tempête tandis que ses rivaux l’accablaient sans proposer de plan alternatif crédible, à commencer par l’imprévisible Boris Johnson.
Problème juridique en vue pour les chambres de compensation
De nombreuses questions demeurent toutefois en suspens pour chaque partie. Une période transitoire a été établie car personne ne sera en mesure de surmonter, le 29 mars 2019, certains problèmes techniques et juridiques cruciaux. Ainsi, les marchés financiers de la zone euro devront disposer après cette date de chambres de compensation régies par le droit européen. Or, aucune solution satisfaisante n’a encore été trouvée alors que les principales chambres de compensation des banques européennes (LCH) se trouvent à Londres et sont régies par le droit britannique.
Dès juin 2016, des grands établissements internationaux ont commencé à déplacer des équipes entières du Royaume-Uni vers l’Europe continentale. Si la place de Paris peut profiter du Brexit (en novembre 2017, l’Autorité bancaire européenne a décidé de déménager son siège de Londres à Paris), notre fiscalité élevée et notre manque de culture financière restent toutefois des handicaps réels. D’autant que la dégradation du climat social pourrait dissuader certains acteurs concernés par le Brexit de s’installer dans la capitale française.
Et s’il était préférable que chaque grande place européenne prenne sa part du Brexit ? L’Europe ne peut pas se résumer à la lutte fratricide des Etats qui la composent. A l’instar des institutions communautaires réparties entre Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg, l’Europe financière ne doit pas concentrer tous ses pouvoirs en un seul endroit. Cela induirait des frustrations partout ailleurs et des rivalités néfastes, contraires à l’esprit même de ce qui devrait guider les dirigeants européens : le souci de la coopération au sein du Vieux Continent.