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Les conséquences du Brexit pour le secteur financier français et européen

Extrait du discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France et Président de l’ACPR.

Mesdames et Messieurs,

… Je salue l’accord qui a été trouvé la semaine dernière entre les négociateurs européens et britanniques et nous espérons tous que celui-ci franchira les prochaines étapes jusqu’à sa finalisation. Mais dans un contexte encore incertain, la prudence s’impose : même si nous ne la souhaitons pas, nous devons aussi nous préparer à faire face à une situation éventuelle de « no deal ». L’ACPR et la Banque de France se préparent à ce scénario, pour assurer le bon fonctionnement du système financier. Ce sera mon premier temps et c’est pourquoi j’y parlerai au conditionnel. Je veux ensuite me projeter au-delà du Brexit : nous pouvons transformer en partie les contraintes d’aujourd’hui en opportunités pour demain et construire un « Eurosystème financier » mieux intégré.


I. À court terme, bien gérer les risques du Brexit

Dans le cadre de leurs missions, l’ACPR et la Banque de France veillent sur deux principaux risques liés à la perspective du Brexit : ceux qui pourraient menacer la stabilité financière et ceux qui pourraient remettre en cause la protection de la clientèle. Il s’agit d’éviter un « effet de falaise » qui serait lié à un No Deal Brexit. Les conséquences économiques seraient naturellement beaucoup plus importantes pour le Royaume-Uni que pour le reste de l’UE. Mais à ce stade, notre analyse comme celle de la BCE - vous savez qu’il y a eu un travail technique approfondi avec la Banque d’Angleterre – ne fait pas ressortir de risque majeur pour la stabilité financière. Je veux le dire après M. Draghi : « il faudrait vraiment être excessivement mal préparé pour que les risques pour la stabilité financière liés à un hard Brexit se matérialisent.»

La compensation des dérivés de taux mérite cependant un traitement particulier car les chambres de compensation britanniques occupent une position de quasi-monopole dans ce secteur. En cas de No Deal Brexit et en l’absence de mesures particulières, ceci pourrait représenter un risque systémique. Nous soutenons donc la solution prévue par la Commission européenne, à savoir - si c’était malheureusement nécessaire - la reconnaissance temporaire de l’équivalence du cadre législatif britannique dans le cadre d’EMIR 1 et l’autorisation pour les chambres de compensation britanniques de continuer de fournir des services de compensation aux institutions financières européennes jusqu’à l’entrée en vigueur d’EMIR 2. Mais cette solution devrait clairement rester temporaire, sur une durée limitée à une grosse année. Elle devrait aussi être liée à un calendrier ferme d’adoption d’EMIR 2. Nous souhaitons maintenant que les institutions européennes parviennent à finaliser cette « clause de sécurité » dans les meilleurs délais.

Notre principal point d’attention aujourd’hui concernerait la protection de la clientèle ayant souscrit des contrats auprès d’entreprises britanniques, notamment dans le secteur des assurances. C’est bien sûr à l’industrie elle-même de se préparer activement aux conséquences de la perte du passeport européen. La plupart des grands acteurs ont pris les dispositions nécessaires. L’ACPR a déjà délivré des autorisations à certains d’entre eux et elle accompagne aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’institutions tous secteurs confondus dans leurs démarches de relocalisation. Mais nous maintenons une vigilance particulière pour les moyens et les petits acteurs, notamment les entreprises d’investissement de taille modeste, ainsi que les établissements de paiement et de monnaie électronique. Une enquête de l’ACPR menée en juillet dernier indiquait que seuls 24% des entreprises d’investissement et 22% des établissements de paiement et de monnaie électronique exerçant dans le cadre de la libre prestation de services souhaitaient obtenir un agrément d’ici fin 2018.

Nous devons donc être prêts à gérer des situations où des entreprises britanniques n’auraient pas préalablement transféré leurs activités. À cet égard, des dispositions européennes seraient bien évidemment préférables pour régler de façon uniforme toutes les questions pertinentes. Mais, si nécessaire et en complément, le projet de loi d’habilitation adopté par le Sénat et qui arrive en discussion à l’Assemblée nationale les 10 et 11 décembre nous permettrait de prendre des dispositions françaises pour protéger juridiquement les ménages et les entreprises. Nous proposerions donc l’instauration d’un régime de transition adapté qui, pour la gestion extinctive des contrats, permette aux entreprises britanniques de poursuivre leurs activités initiées sous couvert de passeport européen, à condition de soumettre un programme de liquidation à l’ACPR. Nous souhaitons que ce régime transitoire soit intégré dans les ordonnances et qu’il confère à l’ACPR des pouvoirs similaires à ceux qui existent dans le cadre du passeport européen. Ce serait la contrepartie de la continuité qui serait accordée.

 

II. Au-delà du Brexit, construire un Eurosystème financier

À l’évidence, le Brexit est et restera une mauvaise nouvelle pour le Royaume-Uni, mais aussi pour l’Europe. Mais il peut aussi représenter en partie une opportunité pour restructurer le système financier européen. Nous avons un Eurosystème monétaire efficace - la BCE et les 19 banques centrales nationales ; nous avons le cadre juridique du marché unique financier et - en partie - de l’Union bancaire ; nous avons une capacité d’épargne exceptionnelle, une des premières du monde - 400 Mds€ pour l’épargne financière en zone euro, en flux annuel au 2ème trimestre 2018. Mais nous n’avons pas encore un « Eurosystème financier », fait d’institutions financières plus fortes et paneuropéennes, et d’infrastructures de marché partagées. Soyons clairs : il n’y aura pas une City unique pour le continent, mais plutôt un réseau polycentrique intégré de places financières, avec des spécialisations par domaines d’expertises. Un tel système polycentrique peut fonctionner, comme en témoigne l’exemple américain : la place financière de New York est privilégiée par les banques de financement et d’investissement, la place de Chicago traite des futures, tandis que celle de Boston est spécialisée dans la gestion d’actifs.

Paris dispose de tous les atouts pour devenir le « hub marché » de cette nouvelle constellation européenne. Notre capitale abrite quatre des huit banques d'importance systémique mondiale de la zone euro, elle est numéro un dans l’assurance (vie et dommages) comme le secteur de la gestion d’actifs, elle dispose d’un marché obligataire de premier plan, du plus grand marché de titres négociables à court terme continental (NEU-CP) et occupe la première place en matière de financement du capital-risque en Europe continentale. Les autorités financières françaises, y compris la Banque de France et l’ACPR, œuvrent également de concert pour faciliter la diffusion d’innovations financières saines et solides et pour favoriser le développement d’une finance verte. En outre, Paris offre le premier gisement de personnel hautement qualifié dans les services financiers. De nombreuses banques internationales ont donc déjà décidé de transférer à Paris la majorité de leurs activités de marché.

Ce nouveau système suppose de disposer d’un cadre règlementaire unique (single rulebook) avec une mise en œuvre harmonisée. On s’en approche dans le secteur bancaire, mais c’est un peu moins le cas dans le secteur des assurances. Il est donc nécessaire de renforcer encore le rôle des autorités européennes de supervision et la France soutient - un peu trop seule encore - la réforme des ESA proposée par la Commission. Par exemple, il faut permettre à l’EIOPA de créer, de sa propre initiative, des plateformes de coopération pour mieux encadrer les entités dont l’activité provient en grande partie des opérations transfrontières réalisées au titre de la libre prestation de service. Il faut également renforcer le rôle de médiateur neutre de l’EIOPA dans le processus de validation des modèles internes au niveau groupe, sans pour autant lui donner un pouvoir direct dans le processus d’approbation, ce qui nuirait à sa neutralité.

Cet « Eurosystème financier » suppose aussi des infrastructures communes au sein de l’Union, capables d’offrir des services au-delà de la seule zone euro : les exemples de T2S et de TIPS, le nouveau système de règlement interbancaire des paiements instantanés, tous deux multidevises, nous montrent que c’est possible. Nous devons aussi traiter la question des monopoles privés dans le secteur des chambres de compensation. Il faut veiller à ce que les acteurs essentiels ne deviennent pas « trop grands pour faire faillite » (too big to fail). Certes, la compensation est par nature une activité à fortes économies d’échelles, ce qui pousse à la concentration. Mais nous avons absolument besoin de davantage de concurrence pour favoriser l’innovation financière. Les opérations repos vont fort heureusement se regrouper à LCH SA début 2019. Plus largement, nous souhaitons le développement à Paris d’une offre de services de compensation renforcée et complétée dans le domaine des produits dérivés de taux d’intérêt.

Au-delà, le Brexit représente une opportunité pour l’Europe de bien transformer sa propre épargne, pour renforcer sa capacité à financer l’économie réelle : c’est ce que j’appelle l’Union de financement et d’investissement pour l’innovation. Il s’agit de mieux diriger l’épargne abondante de la zone euro pour mieux stabiliser les chocs à l’intérieur de la zone euro et répondre aux besoins d’investissement et d’innovation : le numérique, la transition énergétique, les fonds propres des PME. En pratique, une vraie Union de financement passe par l’accélération de l’Union des marchés de capitaux et la finalisation de l’Union bancaire. Le « deuxième pilier » de résolution des banques en difficulté importe plus encore qu’une éventuelle garantie commune des dépôts. Et il est essentiel de lever les obstacles à des banques paneuropéennes transfrontières. C’est l’agenda politique franco-allemand de Meseberg en juin dernier : mais je souligne l’urgence à le concrétiser aujourd’hui. Au Brexit doit correspondre le renforcement économique et financier de la zone euro : si nous en restions aux arguties techniques, à l’autosatisfaction des uns et aux attaques des autres, et à la défiance de tous, nous aurions plus que manqué une opportunité. Nous aurions collectivement manqué à notre responsabilité.

C’est par là que je veux conclure. Les 27 ont fait preuve d’une unité impressionnante dans leur position sur le Brexit, derrière leur négociateur, Michel Barnier, qui a fait un travail remarquable. Et tous ont mieux pris la mesure - au moins en creux - de tous les avantages de notre Europe et de notre marché unique. Cette volonté politique « protectrice » doit désormais se prolonger dans une ambition « constructrice », pour bâtir une Europe plus efficace.

Je vous remercie de votre attention.

www.banque-france.fr/

 

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