Tribune de Gérard Moulin, Gérant pôle actions européennes chez Amplegest
Les robots-investisseurs sont de plus en plus nombreux à intervenir sur les marchés financiers, créant des mouvements incohérents sur les titres côtés. Le mois d’octobre 2018 en a été la parfaite illustration. L’importante place que tiennent les « automates » dans le monde de l’investissement n’est pas une découverte : il s’agit d’une évidence. Il est même désormais courant de dire que dans un marché « rationnel », 70% des transactions se font sans intervention humaine ! En y ajoutant les 10% provenant de hedge funds, les investisseurs particuliers et professionnels ne représentent donc plus qu’environ 20% des transactions opérées sur le marché. Pire : au cours du mois d’octobre 2018, le poids des machines a été encore plus important du fait que les nombreux défis économiques et politiques ont tari le flux acheteur des acteurs classiques !
Adieu discernement et subtilité !
Sous prétexte de « modernisation des marchés financiers », on a donc laissé intervenir des robots programmés sans discernement, incapables de sortir du « read across », c'est-à-dire du traitement de l’information en cherchant tous les actifs qui peuvent être directement ou indirectement concernés. Selon cette logique, une information qui concerne une valeur doit donc théoriquement impacter tout son secteur. Cette idée, qui peut sembler bonne de prime abord, est pourtant loin d’être « nobelisable » : en quelques années, une régression intellectuelle très forte s’est ainsi observée sur les marchés, au grand dam des professionnels qui font un travail sérieux.
Où sont passés le discernement, la nuance, le dosage, tout ce qui rend une décision subtile, tactique ? Place au « bourrinage » ! Nous sommes dans le « tragi-comique », car derrière le comportement incohérent de la plupart des titres dans ces phases de marché, se joue la discréditation du rôle que la gestion d’épargne doit jouer dans le financement de l’économie.
Chutes exagérées et rebonds incohérents
Quelques exemples : le 29 octobre, la Chine indique qu’elle va diviser par deux les taxes sur les ventes d’automobiles jusqu’à 1600 cc. Conséquence : les automates se mettent immédiatement à l’achat sur le secteur, et une valeur comme PORSCHE progresse de 4,6%. Le problème qu’un enfant de 8 ans peut résoudre, c’est que PORSCHE ne produit aucun modèle dont la cylindrée est inférieure à 1600 cc. Le robot a donc bêtement fait ce pour quoi il a été programmé : il a acheté le secteur, en toute incohérence.
Autre exemple : Thales publie parmi les tous meilleurs résultats de son histoire le 18 octobre. Quelques jours plus tard c’est au tour de Gemalto, que Thales est en train de racheter. Cette publication est légèrement en-dessous des attentes, mais la société maintient ses prévisions pour l’année : il ne s’agit donc pas d’une vraie mauvaise nouvelle. Concomitamment, la Belgique décide de ne pas retenir l’avion Rafale dont Thales est l’un des principaux équipementiers. Bien que ce contrat ne fût pas pris en compte dans les perspectives de croissance de Thales, la valeur subit la foudre des investisseurs. Depuis la sortie de ces deux « mauvaises nouvelles », le titre baisse ainsi tous les jours alors que ce dossier est l’un des plus résistants de la cote !
Des élèves de CE1 en rigoleraient ! Autant l’on peut avoir de l’admiration pour le monde de l’ingénieur qui produit des objets technologiquement avancés et utiles, autant l’on peut regretter que le monde de la finance soit en train de jouer aux apprentis sorciers. Si l’on débranchait ces systèmes demain, qui serait gêné à part leurs concepteurs ? Pas grand monde.
Serait-ce donc une idée saugrenue que d’être pragmatique et de laisser les humains assurer les échanges au plus grand bénéfice des épargnants ?