Christopher Dembik Responsable de la recherche macroéconomique de Saxo Bank.
Un faux démarrage
Contrairement aux attentes, les valeurs bancaires et financières en Europe affichent l’une des plus mauvaises performances sectorielles de ce début d’année, avec une chute d’environ 18%. En cause, l’ajustement à la baisse des attentes concernant l’évolution de la croissance en zone euro qui a conduit à ce que la BCE reporte à plus tard la perspective de hausse des taux initialement prévue pour début 2019. En cause également le risque géopolitique (Italie, Allemagne, « guerre commerciale ») qui, au cours des 3 derniers mois, a poussé de nombreux investisseurs à se retirer du marché européen. De manière assez frappante, la crainte de « guerre commerciale » semble même avoir eu plus d’effets négatifs sur les valeurs bancaires que sur le secteur automobile qui, pourtant, pourrait être le premier concerné par des mesures protectionnistes américaines à l’égard de l’Europe. Cette fuite des valeurs bancaires et financières relève d’une sur réaction du marché et repose sur des arguments peu solides.
L’argument du décrochage économique européen :
Depuis la récession de 2011, l’économie européenne a connu un rattrapage plus rapide qu’après la récession de 2008 et a réussi le double tour de force d’avoir une croissance à partir de 2014 au-dessus de son PIB potentiel (estimé à 1,25% par la Commission Européenne) et qui atteigne le niveau de la croissance américaine. Le pic de croissance pour l’ensemble de la zone euro a été atteint fin 2017, amorçant désormais une phase de ralentissement qui est normale au regard du cycle économique. Le découplage de croissance observé sur les deux derniers trimestres avec les Etats Unis n’est pas amené à durer puisque l’essentiel du boost de l’économie du côté américain est lié aux mesures fiscales. On devrait donc renouer avec une croissance plus faible, plus en ligne avec le PIB potentiel, mais qui reste solide dans l’ensemble, y compris dans les PIIGS (exception faite de la Grèce qui est identifiée comme un cas à part par le marché). Même l’Italie, qui connait une croissance anémique depuis son entrée dans l’Union monétaire, est dans une situation financière plus solide que lors de la crise souveraine européenne, avec un taux de prêts non-performants du secteur bancaire de 10% au T1 2018 contre 17% en 2014, soit un niveau inférieur au « bon élève » européen qu’est le Portugal
L’argument du risque géopolitique :
Le risque géopolitique est difficile à quantifier. Pourtant, il est nécessaire de passer par cette étape afin de différencier les mouvements de fond susceptibles d’avoir un impact durable des bruits du marché qui créent de la volatilité sur le court terme. A ce titre, l’indicateur de risque géopolitique développé par Dario Caldara et Matteo Iacoviello (« Measuring Geopolitical Risk », Board of Governors of the Federal Reserve Board, January 2018) est un instrument très utile pour mieux appréhender cette problématique. Contrairement à ce qu’on pourrait intuitivement croire, le risque géopolitique est actuellement à un point bas annuel, à 114, contre 278 en août 2017 au moment des tensions avec la Corée du Nord, et un pic à 450 en mars 2003 lors de l’invasion de l’Irak. Les risques sont nombreux mais, du point de vue historique, moindres qu’il y a 1 an de cela.
Un environnement de marche propice au stock picking
Du point de vue de la valorisation, les valeurs bancaires européennes sont plutôt très attractives, avec un ratio cours/valeur comptable en moyenne de 1, contre 1,6 pour les banques américaines. En outre, la dernière saison des résultats a montré que les valeurs bancaires et financières étaient celles qui affichaient l’une des meilleures croissances du bénéfice par action. Dans l’environnement de marché actuel, il s’agit moins de tenir compte de la macroéconomie que de choisir les banques avec la bonne stratégie et la capacité de réduire les coûts. Celles qui ne le feront pas seront automatiquement sanctionnées par les investisseurs.
En Europe, pour parvenir à ce résultat, plusieurs stratégies payantes ont, jusqu’à présent, été mises en avant :
A terme, il fait peu de doutes que les grands gagnants du mouvement actuel de transformation du secteur bancaire seront les banques qui auront d’abord infléchi leur stratégie en baissant les coûts grâce aux recours aux nouvelles technologies. Toutes les banques, officiellement, adoptent les changements liés à la robotisation, à l’intelligence artificielle, au secteur fintech. Mais combien, parmi les grandes banques systémiques européennes, ont réussi à obtenir des résultats tangibles jusqu’à présent ? Assez peu, à l’exception notable de Nordea qui a eu recours à l’automatisation pour diminuer drastiquement ses effectifs : de 32 000 employés fin 2017 à 29 000 de nos jours avec un objectif de 23 000 d’ici 2021.
Même si le contexte macroéconomique peut se dégrader, ce sont les banques qui auront engagées de tels changements qui seront en mesure de surmonter le mieux les aléas du cycle économique.