Par Stéphane Monier, CIO chez Lombard Odier Private Bank
Après le Brexit voté par le Royaume-Uni il y a un peu plus de 2 ans, on s’attendait à ce que les investisseurs et les entreprises évitent dorénavant un pays qui avait décidé de quitter le plus grand bloc commercial du monde, portant en conséquence un coup dur à son économie. Au lieu d’un « choc du Brexit », les répercussions du vote se sont muées en une lente asphyxie économique.
Scénarios politiques
Le Brexit a progressivement établi son emprise sur la vie publique britannique, livrant la classe politique locale au désarroi et aux querelles alors que la livre sterling dégringole et que l’économie peine à suivre le rythme de ses pairs.
À la mi-juillet, la Première ministre, Theresa May, a dévoilé un livre blanc consacré au Brexit qui a suscité la colère de part et d’autre de l’échiquier politique et dont certains thèmes cruciaux ont été accueillis avec scepticisme par Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE.
Compte tenu de la difficulté à obtenir un consensus au sein de son propre gouvernement, la Première ministre a présenté ce qu'elle espère être une proposition finale. Cependant, tout accord avec l'UE nécessitera inévitablement d'autres concessions, augmentant les risques de nouveaux affrontements au sein du parti conservateur de Theresa May et la rendant plus dépendante du soutien de parlementaires de l'opposition. Et ceci dans un environnement où le chef du parti travailliste opposant, Jeremy Corbyn, serait ravi de pouvoir provoquer de nouvelles élections législatives.
Tic-tac…
Il ne faut pas oublier que le Royaume-Uni est soumis à un calendrier serré. Le 18 octobre, les propositions formulées par Theresa May constitueront le point de départ des négociations lors d'un sommet de l'UE organisé à Bruxelles. Moins de 6 mois plus tard, le 29 mars 2019, le Royaume-Uni sera censé quitter l'UE à 23 heures, heure du Royaume-Uni, et entrer dans une phase de transition qui s’achèvera en décembre 2020.
Selon nous, quatre scénarios sont envisageables
1. Theresa May survit au désordre politique au sein de son propre parti et arrive au Sommet du mois d’octobre forte d’une proposition « modérée », irritant cependant les Brexiteurs.
2. Un Brexiteur pur et dur remplace Theresa May. Ce scénario est moins plausible si le nouveau Premier ministre tente d’imposer un « Brexit dur » par un vote au parlement où, il y a 2 ans, une majorité avait voté en faveur d’un maintien dans l'UE.
3. Des élections législatives ouvrent la voie à un nouveau gouvernement dirigé par le travailliste Jeremy Corbyn, dont le point de vue sur le Brexit demeure toujours indéchiffrable. Il s’agit du scénario le moins vraisemblable.
4. La polémique qui divise la Grande Bretagne empêche la conclusion d’un accord final au Parlement.
Dans ce quatrième cas, on parle régulièrement d'une solution obtenue dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, qui s’appuierait sur les règles de cette dernière mais engendrerait alors de nouvelles complexités sous la forme d'une exclusion des quotas européens existants et de la recherche d’un consensus global. Dit modérément, le paysage politique britannique est en recomposition et, ce faisant, il joue dangereusement avec l’avenir économique du pays. Si l’on s’exprime sans prendre de gants, on peut parler d’un véritable chaos.
Cela explique pourquoi il est même question d'un second référendum, portant sur l'accord final qui serait conclu avec l'UE. La dernière enquête menée par l’institut de sondage YouGov, publiée le 27 juillet, a révélé pour la première fois qu’une majorité de répondants s’étaient exprimés en faveur d'un nouveau vote. Il sera très difficile de prévoir l'évolution de l'opinion publique britannique d’ici-là.
Des données décevantes
Cette incertitude s’explique entre autres par le fait que les perspectives les plus sombres annoncées pour l’économie post-référendaire ne se sont pas matérialisées. Par exemple, quelques jours avant le référendum de 2016, le Fonds monétaire international avait annoncé un krach boursier et une chute de 5,5% du PIB d'ici 2019, alors que le Trésor britannique prévoyait à l'époque un « choc immédiat et grave » accompagné d’une récession qui aurait duré un an. Comment le Royaume-Uni a-t-il réellement évolué ces 2 dernières années ?
La livre sterling a chuté de plus de 13% par rapport à l'euro et au dollar américain depuis le référendum. Les baisses qu’elle a enregistrées, provoquées par l'incertitude liée au Brexit et, plus récemment, par la vigueur de l'USD, ont soutenu les grandes capitalisations britanniques, qui ne génèrent que 19% de leurs revenus au Royaume-Uni. La bonne performance de l’indice FTSE 100 est en grande partie due aux effets de change.
Nous estimons que les actions britanniques ne pourraient bénéficier que d’un soutien supplémentaire limité. La livre sterling se rapproche des paliers qui intègrent déjà un niveau élevé de risque lié au Brexit. Nous pensons néanmoins qu’il est possible qu’elle recule jusqu’à 1,20 USD (contre environ 1,30 USD actuellement) mais guère plus que cela. Notre objectif à trois mois sur la paire GBP/USD se situe à 1,29 et à 1,33 à 12 mois. Notre objectif sur l’EUR/GBP sur la même période reste stable autour du niveau actuel de 0,89.
L'absence d'un accord sur le Brexit aurait sans aucun doute des incidences négatives sur la GBP et, bien qu’il ne soit pas celui que nous prévoyons, ce scénario doit être pris au sérieux compte tenu de ses implications économiques.
Si l’on considère l'ensemble de l'économie britannique, la croissance annuelle du PIB s'est établie en moyenne à 1,6% depuis juin 2016. Au cours de la même période, la croissance du PIB de la zone euro s'est établie à 2,2% et celle des États-Unis à 2,1%. Le taux de chômage au Royaume-Uni a continué de baisser depuis 2016 pour se situer aujourd’hui à 4,2%; mais la tendance à long terme de la croissance des salaires demeure toujours faible. Le casse-tête permanent du Royaume-Uni en matière de productivité laisse peu de place pour une solution, maintenant le pays à la traîne de ses principaux pairs européens.
L'un des principaux soutiens à l‘économie a été la poursuite de la politique monétaire accommodante de la Banque d'Angleterre (BoE). Elle montre cependant des signes d'essoufflement à mesure que la BoE supprime ses mesures de relance post crise. Le 2 août cette dernière a relevé son taux de référence de 25 points de base à 0,75%, son niveau le plus élevé depuis 2009.
Cette décision s’apparente néanmoins à une hausse modeste assortie d’un message que la prochaine n’interviendra pas de sitôt. La BoE a averti que l'économie « pourrait être fortement influencée par la réaction des ménages, des entreprises et des marchés financiers aux évolutions liées au processus de retrait de l'UE ».
Fin de partie
Le Royaume-Uni connaît une passe politique difficile doublée d’un ralentissement économique. Dans les faits, ses moyens d’action demeureront limités tant que l’actualité restera dominée par un changement aussi massif. Theresa May a épuisé le peu de crédit politique dont elle disposait encore en voulant imposer un compromis face à un parlement hostile. Les prochains mois décideront à la fois de son avenir politique et de la trajectoire du Royaume-Uni, qu’une stratégie mal assurée de retrait de l'UE expose à des compromis défavorables.
La classe politique du Royaume-Uni et une partie de sa population pourraient encore se rendre compte que le rapport de force dans les négociations avec l’UE n’est pas, et n’a que rarement été, favorable à la Grande Bretagne. Cette erreur de calcul, qui est en train de faire d’un puissant voisin et allié un puissant rival voisin, met le gouvernement et l’économie britanniques en grande difficulté.