A la mi-année, il convient de se demander si l’histoire se répète lorsque nous observons l’évolution des actifs obligataires les plus durement frappés par le ton plus agressif adopté par la Fed.
Par Paul Brain, Directeur de la Gestion Obligataire chez Newton IM (BNY Mellon IM)
Généralement, lorsque la Fed éternue, d'autres banques centrales craignent d’attraper un rhume : ainsi va le dicton. Toutefois, les véritables victimes de la position de plus en plus belliqueuse adoptée par la banque centrale américaine cette année semblent être les titres de dette souveraine des marchés émergents.
Alors que l’été arrive sur les marchés financiers, il s’agit d’un moment propice à la réflexion sur les événements qui ont caractérisé les 6 premiers mois de l’année. Sur les marchés obligataires, l’évolution de la politique monétaire poursuivie par la Fed a constitué le facteur dominant, avec des répercussions pour toutes les classes d’actifs. La Fed a en effet a continué de relever ses taux d’intérêts, qui se situaient à des bas historiques, tout en réduisant la taille de ses positions obligataires.
Dans ce contexte, les investisseurs obligataires mondiaux ont connu une période difficile depuis fin décembre 2017 ; la volatilité qui en résultera lorsque la Fed de Jérôme Powell retirera des liquidités en dollars constitue déjà un défi considérable, mais celle-ci repose sur un paysage politique particulièrement fragile en raison des tarifs commerciaux à l’échelle mondiale que le président américain Donald Trump tire vers le haut.
Depuis le pic de volatilité enregistré par le marché actions en février dernier, les obligations des marchés développés se sont stabilisées, mais les titres de dette émergente font face actuellement à des vents contraires plus importants, et cette tendance est appelée à se poursuivre. L’année 2018 s’annonce donc comme une année de transition, où les marchés obligataires s’orienteront vers le bas par paliers, et les investisseurs chercheront avant tout à protéger leurs portefeuilles. Au cours des 6 mois qui s’étaient écoulés jusqu'au 28 juin, les obligations d'État n'ont baissé que de 0,12%, tandis que les obligations souveraines des pays émergents ont perdu 6,49%. Entre ces deux extrêmes, les émetteurs investment grade et high yield ont perdu respectivement 2,58% et 1,65% (obligations couvertes en livres sterling), se situent dans la moyenne.
Mais nous n’avons qu’à consulter les livres d’histoire pour constater un certain schéma dans la réaction des marchés à l’évolution de la Fed. Il est intéressant d'étudier l'ordre dans lequel les actifs à risque s'apprécient lorsque l’on augmente la liquidité en dollars et puis d’observer ceux qui baissent lorsqu'elle est retirée. Les marchés émergents et les matières premières menaient la danse au moment du lancement du « TARP » (« Troubled Asset Relief Program », ou Programme de Sauvetage des Actifs à Risque en français) en 2009 par les Etats-Unis, et les marchés du crédit et actions se sont ensuite rattrapés. Inversement, la hausse du taux directeur de la Fed et celle du dollar américain entre 1995-2000 a engendré des problèmes en Asie et en Russie en 1998, avant d’avoir une incidence sur les marchés actions en 2000. On peut donc dresser une comparaison avec les événements d’il y a 20 ans et l’état des marchés aujourd’hui : en 1998, on a assisté à un écartement des spreads en raison du retrait des liquidités en dollars, et ces Etats ayant emprunté en dollars ont été les premiers à en subir les conséquences.
En dépit de la hausse progressive des coûts d'emprunt, les entreprises américaines ont tendance à être protégées au début du cycle de resserrement monétaire, alors que les émetteurs émergents ne sont pas aussi bien positionnés : ces derniers font tout leur possible pour faire face à la hausse des taux américains, à la baisse des liquidités et au renforcement du billet vert. Et si l'été peut offrir un peu de répit, on s'attend à ce que la période de sous-performance des émergents se poursuive, avec d'autres actifs plus risqués, tels que le high yield, également vulnérables à l’orientation du programme de resserrement de la Fed.
Ainsi, l'histoire nous apprend que les obligations américaines sont la première classe d’actifs à baisser, suivies par les pays émergents et le high yield, ce qui permet aux bons du Trésor américain de se redresser par la suite. Une nouvelle hausse des taux de 100 points de base - qui interviendrait au même moment qu’une hausse des salaires de 3%, des coûts d'importation plus élevés et les effets secondaires provenant des mesures de relance budgétaire de 2018 - n’est donc pas de bon augure pour les marchés en 2019.