L’analyse de Jeff Schulze, CFA, Stratégiste, Clearbridge Investments - Filiale de Legg Mason.
Les tensions liées à la guerre commerciale pourraient détourner l’attention des investisseurs, mais le passé tend à indiquer que les marchés devraient progresser après les élections de mi-mandat, le tout dans un contexte marqué par de faibles risques de récession au début de la troisième année du mandat de Donald Trump.
Le mur des inquiétudes éclipse des fondamentaux pourtant solides
Si l’euphorie liée à la réforme fiscale est retombée au 2ème trimestre, le mur des inquiétudes du marché a quant à lui continué de se faire de plus en plus haut. Dans ce climat d’incertitude grandissante et de craintes de plus en plus vives du marché, les observations de William Arthur Ward devraient servir de guide utile aux investisseurs. Même des professionnels expérimentés succombent parfois aux craintes (et aux espoirs) du jour, plutôt que d’adapter leur voilure à la nouvelle réalité et au nouvel environnement de marché. Au cours du 2ème trimestre, de nombreuses briques sont venues élever encore un peu plus le mur des inquiétudes des investisseurs :
- le point culminant des bénéfices des entreprises,
- les guerres commerciales,
- l’accélération de l’inflation,
- l’aplatissement de la courbe des taux,
- le durcissement de la politique monétaire de la Fed et de la BCE,
- l’appréciation du dollar,
- une possible crise des devises émergentes,
- un « Italexit »,
- l’endettement des entreprises, et
- le creusement des déficits fédéraux des États-Unis.
Depuis 1950, le marché n’a pas enregistré une performance négative dans l’année ayant suivi les élections de mi-mandat.
Cette anxiété contraste nettement avec l’exubérance qui régnait lorsque les marchés ont atteint un niveau record à la fin du mois de janvier à la suite de l’adoption de la réforme fiscale. Cependant, les corrections prennent généralement plusieurs mois avant d’avoir lieu. Le changement sans doute le plus important pour qu’un point bas durable se concrétise a été le sentiment de marché. L’inquiétude grandissante des investisseurs, en grande partie favorisée par la crainte accrue d’une guerre commerciale, a conduit l’optimisme à faire place au pessimisme.
Le marché pourrait certes être témoin de certaines pressions à court terme, mais ces corrections intervenant durant les années ponctuées d’élections de mi-mandat ne sont pas inhabituelles. En effet, le marché n’a historiquement que très peu évolué jusqu’en septembre au cours d’une année électorale, pour ensuite s’apprécier à mesure que l’élection se rapproche et que l’incertitude politique se fait moindre.
Une fois l’élection achevée, les investisseurs passent généralement outre toutes les appréhensions et s’adaptent à la nouvelle réalité du marché. La période qui suit une élection de mi-mandat a tendance à être très positive pour les actions : l’indice S&P 500 a ainsi progressé de 15 % en moyenne durant l’année ayant suivi les élections de mi-mandat depuis 1950. Plus important encore, aucune de ces périodes n’a été synonyme d’une performance globale négative. L’une des raisons de ce phénomène est le lien étroit entre les cycles présidentiel et économique. Sur les 70 dernières années, l’économie américaine n’a jamais connu de récession au cours de la troisième année d’un mandat présidentiel.
Selon nous, cette situation est en grande partie attribuable à la relance budgétaire qui va généralement de pair avec une élection présidentielle. La première année d’une présidence, en particulier une nouvelle présidence, est dominée par la nomination des membres clés du gouvernement, les approbations du Congrès et, ce qui est peut-être le plus important, l’élaboration et souvent l’adoption d’un nouveau « programme » sur lequel le candidat s’est présenté. Ces programmes comprennent habituellement de vastes dépenses budgétaires qui contribuent à doper l’économie. Dans la mesure où ce coup de pouce se produit souvent au cours de la 2ème et de la 3ème année d’une présidence, il n’est donc pas surprenant que les récessions soient rares au cours de ces années intermédiaires d’un mandat présidentiel. La relance amorcée par la réforme fiscale qui vient d’être promulguée n’en est encore qu’aux premiers stades de son entrée dans l’économie. Les décalages politiques sont connus pour être longs et la majorité de la population n’a commencé à s’apercevoir de salaires plus élevés qu’au cours des derniers mois. C’est d’ailleurs pourquoi les prévisions de croissance du PIB du consensus pour le 2ème trimestre sont de 3,4%, et en forte hausse par rapport aux 2,2% enregistrés au 1er trimestre.
Historiquement, des krachs boursiers comme ceux de 2000 ou 2008 ont coïncidé avec des ralentissements économiques plus larges. L’histoire nous assure qu’un repli économique est inévitable. Cependant, d’ici là, les marchés devraient se remettre de toutes périodes difficiles et se reconcentrer sur les fondamentaux sous-jacents. A l’heure actuelle, la hausse des bénéfices et l’embellie de l’économie devraient contribuer à faire progresser les actions d’ici la fin de l’année.
Beaucoup font actuellement l’erreur de penser que les excellents résultats du 1er trimestre étaient entièrement dus à la réforme fiscale. Les bénéfices des entreprises de l’indice S&P 500 ont augmenté de 26% d’une année sur l’autre (a/a). Cependant, même en supprimant les effets positifs exceptionnels de la réforme fiscale, les bénéfices ont signé un taux de croissance toujours impressionnant de 18%. Selon nous, la croissance de 7,5% a/a des chiffres d’affaires est peut-être encore plus impressionnante. C’est l’un des taux les plus élevés jamais atteints depuis la crise financière mondiale de 2008 ; il démontre que les entreprises américaines sont réellement en pleine croissance. Après plusieurs années de bénéfices « de moindre qualité », réalisés essentiellement grâce à des économies de coûts et des rachats d’actions, une croissance organique plus forte tant au niveau des chiffres d’affaires que des bénéfices est un signe très positif pour le marché à l’aube du second semestre.
Intensification des tensions commerciales
L’intensification des tensions commerciales et la perspective d’une guerre commerciale sont devenues probables compte tenu du programme exposé par le Président Trump lors de la campagne électorale. Si les investisseurs s’inquiètent à juste titre des répercussions des tensions croissantes entre les États-Unis et ses principaux partenaires commerciaux, nous pensons toutefois que le résultat final va davantage prendre la forme d’une prise de bec commerciale que d’une véritable guerre. Les relations entre les États-Unis et la Chine semblent être peut-être les plus vulnérables à des perturbations compte tenu de l’importance des tarifs douaniers actuellement débattus, de l’interconnexion des chaînes d’approvisionnement modernes, de l’exposition aux exportations américaines et de la possibilité offerte à Pékin de rendre plus difficile pour les entreprises américaines de faire des affaires sur le sol chinois par le biais de « formalités administratives » supplémentaires ou d’autres mesures.
Si l’escalade actuelle se poursuit, la douleur se fera ressentir beaucoup plus fortement dans certains secteurs que dans d’autres. Par exemple, GM a vendu plus de voitures en Chine qu’aux États-Unis en 2017, tandis qu’Apple compte 310 millions d’utilisateurs actifs d’iPhone en Chine, soit plus du double du nombre d’utilisateurs aux États-Unis.
Toute entrave aux activités normales induite par les différends commerciaux pourrait avoir un impact disproportionné sur les résultats financiers des entreprises exposées. La nature idiosyncratique de ces événements devrait fournir un environnement fertile pour les gérants actifs qui sont bien conscients des pièges potentiels. Cependant, il s’agit beaucoup plus d’une question microéconomique que macroéconomique. Si certains secteurs du marché seront négativement impactés par l’escalade commerciale, d’autres peuvent en bénéficier et l’économie et le marché dans leur ensemble devraient finir par faire abstraction de ces problèmes.
Afin de mettre les choses en perspectives, prenons en considération le scénario-catastrophe. Si tous les tarifs douaniers dont il a été question étaient appliqués et que tous les pays touchés prenaient des mesures de rétorsion contre les États-Unis au moyen de droits de douane équivalents, le montant total prélevé serait de 138 Mds$. Il s’agit certes d’un montant conséquent, mais qui paraît toutefois minuscule à côté des dépenses de relance budgétaire récemment ajoutées à l’économie. Les allégements fiscaux pour les entreprises et les particuliers, l’augmentation des dépenses publiques et le rapatriement des bénéfices détenus à l’étranger par les entreprises représentent un coup de pouce d’environ 800 Mds$ pour l’économie. Selon nous, cela réduirait probablement à néant les effets négatifs des tarifs douaniers.
Cependant, l’histoire laisse présager qu’un accord sera finalement trouvé. Sur les huit enquêtes dites « section 301 » de la Commission du commerce international (ITC) des États-Unis qui ont impliqué le Japon et la Chine depuis les années 1980, une seule a donné lieu à l’instauration de tarifs douaniers. Si les premiers tarifs douaniers décidés au titre de la section 301 sont bel et bien entrés en vigueur le 6 juillet, ils ne s’élèvent qu’à 36 Mds$ et nous demeurons optimistes quant à la possibilité d’établir les bases d’un accord commercial avant que la prochaine tranche de 200 Mds$ n’entre en vigueur.
Des fondamentaux économiques toujours solides
En dépit des tarifs douaniers, le grand élan des plans d’expansion des petites entreprises américaines ne montre aucun signe d’essoufflement. La confiance des entreprises et des ménages demeure élevée en dépit du flot incessant de sources de préoccupations commerciales ces six derniers mois. Ces enquêtes pourraient se dégrader au cours du prochain mois, mais nous avons le sentiment qu’elles demeureront néanmoins à des niveaux généralement positifs. La composante relative aux nouvelles commandes de l’indice PMI manufacturier, une mesure du cycle économique, est ressortie à un niveau supérieur à 60 durant 13 mois consécutifs. Il s’agit là de la plus longue période depuis le début des années 1970 et elle continue d’attester d’une tendance haussière soutenue de l’activité économique. Les défauts de paiement sur les crédits (commerciaux et industriels) sont en baisse et les conditions d’octroi de crédits s’assouplissent. Ce comportement est plus généralement associé aux premiers stades d’un cycle économique qu’à ses phases intermédiaires, mais il montre néanmoins que les conditions de crédit demeurent peu restrictives malgré le resserrement monétaire de la Fed. A cette fin, les tendances en matière de dépenses d’investissement apparaissent relativement solides et devraient constituer un facteur de soutien important pour les actions au second semestre de l’année.
Ce n’est pas uniquement l’activité des entreprises qui apparaît vigoureuse. Le marché du travail, principal catalyseur de cette reprise, continue de s’améliorer. Le taux de chômage de 3,8% est proche de son niveau le plus bas en 20 ans et pourrait flirter avec ses plus bas niveaux en 50 ans d’ici 2019. Pour la toute première fois de l’histoire, il y a plus d’emplois vacants que de chômeurs. Les nouvelles demandes d’allocations chômage en pourcentage de l’emploi total sont à leur plus bas niveau jamais atteint. Dans ce contexte, les salaires continuent d’augmenter. Leur croissance s’est établie à 2,7% et le nombre total d’heures travaillées a augmenté de 2,1% en mai, d’où une hausse annuelle des rémunérations de 4,8% en 2017. C’est plus que suffisant pour assurer la pérennité de la vigueur des tendances en matière de dépenses des ménages pendant un certain temps encore.
Cette situation, ainsi que le tableau de bord des récessions de ClearBridge, laissent entrevoir une économie et un marché orientés à la hausse durant la seconde moitié de 2018 et début 2019. Pour autant que le passé puisse servir de guide, il convient de s’attendre à ce que la volatilité à court terme demeure élevée en raison de l’approche des élections de mi-mandat et des craintes d’une guerre commerciale. Toutefois, et comme le fait observer William Arthur Ward, il est important pour les investisseurs de se concentrer sur les fondamentaux - la croissance organique solide des bénéfices et le renforcement de l’économie - plutôt que sur le bruit émanant du mur des inquiétudes. En fait, le moment est peut-être venu d’ajuster votre voilure afin de tirer parti de ces vents porteurs.