Tribune de Witold Bahrke, Stratégiste chez Nordea AM
Le taux des obligations souveraines américaines à 10 ans a franchi le seuil psychologique de 3% au deuxième trimestre, niveau le plus élevé depuis 4 ans. Faut-il y voir une opportunité d’investissement ou un risque de correction ?
Au regard de ces niveaux critiques et d’une légère hausse de l’inflation aux Etats-Unis, les investisseurs sont légitimement préoccupés par la spirale des taux. Si la hausse des taux des derniers trimestres a été soutenue par des facteurs cycliques, la toile de fond macroéconomique n’a pas beaucoup évolué : le scénario à long terme reste intact, favorable au maintien de taux d’intérêt bas. Car l’essor de la croissance mondiale a déjà commencé à s’affaiblir. Le pic de croissance est derrière nous, laissant penser que l’essentiel du mouvement haussier des taux obligataires est déjà réalisé.
Mouvement cyclique contre tendance structurelle
Pour que la récente hausse des taux se transforme en tendance structurelle à long terme, il faut avant tout que les perspectives de croissance nominale s’améliorent. Et pour cela, deux conditions doivent être réunies, entre hausse du potentiel de croissance réelle et hausse de l’inflation.
Sur le plan de la croissance, la faiblesse de la productivité et le vieillissement de la population dans les pays développés continuent de peser sur la croissance réelle. D’autres facteurs qui freinent ce potentiel de croissance incluent : moins de nouvelle main d’œuvre disponible ; peu de signes de progrès technologiques capables de se traduire en une productivité plus élevée. En d’autres termes, l’Amazonification de l’activité économique n’a pas rendu la main d’œuvre plus productive, dans l’ensemble.
Du côté de l’inflation, le vieillissement de la population contribue à maintenir les salaires à des niveaux relativement bas, en raison d’un effet négatif sur la productivité, tandis que les niveaux élevés d’endettement limitent également l’inflation. Au même titre que la hausse récente de la croissance, le raffermissement de l’inflation est essentiellement de nature cyclique, et non structurelle. Dans ces conditions, le potentiel de hausse des taux est donc limité. Pour un investisseur obligataire, les niveaux actuels des taux américains font figure de points d’entrée attrayants.
Potentiel de rendement réel et statut de valeur refuge
En termes de rendement absolu, il est clair que la hausse des taux équivaut à des niveaux de valorisation meilleur marché et donc à des rendements attendus plus élevés. Fait important, les rendements réels se sont améliorés, malgré la hausse récente de l’inflation. Au plus fort du creux cyclique, les obligations souveraines américaines à 2 ans ont dégagé un rendement réel négatif de -2,1%, aujourd’hui celui-ci s’établit à +0,6% ! De leur côté, les rendements à long terme n’ont pas augmenté autant. Il n’est donc pas nécessaire aujourd’hui d’augmenter le risque de duration pour obtenir des rendements réels positifs.
En relatif, le spread entre les obligations souveraines allemandes et américaines est à son plus haut niveau depuis les années 90. L’économie mondiale est en train de passer d’un cycle de reprise synchronisé, en 2017, à un ralentissement de la croissance désynchronisé en 2018 : l’activité économique en Europe est en décélération, tandis que la croissance américaine devrait se maintenir à ses niveaux actuels.
Ces perspectives - d’autant qu’une résurgence des risque politiques est observée en zone euro - militent en faveur du maintien d’une importante divergence entre la politique monétaire de la BCE et celle de la Fed. La divergence des taux d’intérêt de part et d’autre de l’Atlantique va donc elle aussi rester forte, soutenant l’attrait relatif des obligations souveraines américaines face à leurs pairs allemandes.
Enfin, comment réagiraient les obligations souveraines américaines en cas de recrudescence des risques ? De toute évidence, ces actifs continuent de démontrer leur vertu de valeur refuge et de diversification. N’oublions pas que les obligations d’Etat américaines ont surperformé, autant face aux obligations d’entreprises que face aux actions, durant l’agitation des marchés en février dernier.
Et même en cas de scénario haussier des taux, la correction serait limitée en termes absolus. Une analyse rapide de la sensibilité apporte de riches enseignements : il faudrait que le taux de rendement des obligations américaines à 2 ans (aujourd’hui à 2,5%) s’élève d’environ 150 points de base en un an, pour que la chute des cours anéantisse l’intérêt des coupons. En somme, il faudrait un scénario très « hawkish » de la Fed, peu envisageable, pour faire disparaître ce coussin de rendement.