« La refonte du code fiscal américain a provoqué une vague de fusions-acquisitions complexes qui offre de belles perspectives aux stratégies d’arbitrage habituées à conduire des recherches approfondies », explique Drew Figdor, gérant chez TIG Advisors, LLC, société américaine spécialiste de l’arbitrage de fusions internationales.
La réforme du code fiscal américain instaurée par Donald Trump fin 2017, la plus importante jamais entreprise en une génération, a donné lieu à une nouvelle vague de fusions-acquisitions, parmi lesquelles le rapprochement à plusieurs milliards de dollars entre Walt Disney Company et 21st Century Fox, ou encore entre CVS Health Corporation et Aetna. Ces opérations ont été non seulement les plus importantes de l’année 2017, mais également les plus complexes.
D’une valeur de 68,4 Mds$ et 67,8 Mds$ respectivement, les opérations conduites par Walt Disney et CVS Health ont fait du 4e trimestre 2017 le plus actif de l’année aux États-Unis, avec un volume annoncé de 352,8 Mds$ de transactions sur un total de 1 300 Mds$ en 2017. L’activité est tout aussi soutenue début 2018, mais également assez complexe. La correction des marchés actions en février a même accentué la tendance en rendant les cibles d’achat 10 à 20% moins chères.
Les réformes fiscales instaurées par le Président Trump ont donné un élan décisif à l’activité de fusions-acquisitions. Pièce maîtresse de ce projet, la réduction de 35% à 21% du taux de l’impôt sur les sociétés a permis de lever l’incertitude entourant la manière de valoriser les opérations, tout en libérant des liquidités pour que les entreprises puissent financer les rachats. Dans un contexte de taux d’intérêt faibles, de marchés du crédit ouverts et d’orientation claire de la politique de la Maison-Blanche, la réforme a donné aux dirigeants d’entreprise la confiance et la trésorerie dont ils avaient besoin pour envisager des rapprochements opportunistes.
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La réforme fiscale américaine a donné aux entreprises la confiance et la trésorerie dont elles avaient besoin
pour envisager des rapprochements opportunistes.
Un grand nombre des fusions-acquisitions en cours actuellement ont des structures compliquées, sont hostiles ou transfrontalières. Les transactions les plus complexes et les plus incertaines ne peuvent être abordées de manière standardisée et offrent un rendement potentiel plus élevé que celui d’opérations simples et amicales. La volatilité et une légère correction des prix des actions, comme en février 2018, peuvent engendrer des spreads plus intéressants et encourager les dirigeants d’entreprise à émettre des offres d’achat plus agressives et opportunistes.
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Les opérations complexes peuvent offrir de meilleurs rendements
La résurgence des transactions et la réforme réglementaire dans les domaines fiscal et de la santé sont de bon augure pour les stratégies d’arbitrage de fusion habituées à conduire d’importantes recherches sur les opérations complexes, plutôt que pour celles qui privilégient les fusions plus simples. Un grand nombre des fusions-acquisitions en cours actuellement présentent des structures compliquées, sont hostiles ou transfrontalières. L’arbitrage de ce type d’opération nécessite des recherches approfondies, du savoir-faire et de l’expérience : c’est pourquoi le gain est généralement plus grand pour les investisseurs qui disposent des ressources suffisantes.
« Il est important de noter qu’en cas de changement réglementaire d’ampleur, les entreprises doivent s’adapter rapidement », explique Drew Figdor. « Nous sommes donc dès le départ en présence d’offres opportunistes et souvent hostiles. Les transactions sont conduites de manière agressive, ce qui correspond bien à notre stratégie, puisque nous recherchons les situations où les risques et les opportunités sont mal évalués par le marché ».
« Pour beaucoup de ces transactions, l’issue est très incertaine. C’est le cas d’une offre hostile par rapport à une opération amicale. Dans un contexte de taux d’intérêt faibles, le marché valorise très efficacement les certitudes, et très mal les incertitudes.»
De plus en plus de capitaux sont investis dans des fonds de placement, voire des ETF, axés sur des fusions simples et amicales, pour procéder à l’arbitrage du spread entre les actions de l’acheteur et de la cible depuis l’annonce du rachat jusqu’à sa finalisation. Les fonds investis dans ce type d’opération sont tels que le gain, en termes de spread, est devenu bien moins intéressant. En revanche, les transactions plus complexes et plus incertaines, dont beaucoup présentent un caractère inamical, ne peuvent pas être abordées d’une manière aussi standardisée et peuvent offrir un rendement nettement plus élevé.
« Les situations d’incertitude sont celles dans lesquelles on obtient les meilleurs prix », affirme Drew Figdor. » Ainsi, une transaction annoncée de manière amicale va présenter un spread brut compris entre 0 et 2%, que l’on percevra sur une période de 3 à 6 mois, alors que le spread brut d’une transaction incertaine peut aller de 7 à 20% sur une période plus longue, ou plus courte. Nous nous concentrons sur les situations où nos recherches et nos outils nous permettent de créer de la valeur qui n’est pas corrélée avec le marché. »
Le cas du rachat de la compagnie biopharmaceutique belge Ablynx, en janvier 2018, illustre bien le type de rendement que l’on peut attendre. Début janvier, la multinationale pharmaceutique Novo Nordisk a émis une offre d’achat de 30,50€ par action sur Ablynx. Cette offre a été refusée par les dirigeants d’Ablynx, car considérée comme trop basse. Après avoir rencontré des acheteurs potentiels lors d’une conférence de JP Morgan sur le secteur de la santé, les analystes de TIG ont été sensibilisés à la valeur des actifs d’Ablynx et de son médicament en stade clinique avancé, le Caplacizumab. TIG a pris une position sur l’action à un peu plus de 30€, anticipant une offre d’achat plus élevée. À la suite de leurs recherches, les analystes de TIG sont devenus beaucoup plus confiants dans les perspectives de rachat de la société et ont renforcé leur exposition. Le 30 janvier, Sanofi, un autre géant pharmaceutique mondial, a annoncé un accord de rachat à 45€ par action.
Les transactions transfrontalières en plein essor
Mais il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que l’activité de fusion acquisition est particulièrement soutenue. L’accélération de la croissance économique dope les rachats en Europe, et les opérations transfrontalières ont représenté 1 320 Mds€ en 2017, ce qui équivaut à 41,9% de la valeur totale des transactions de l’année, soit leur deuxième niveau le plus important depuis la crise financière. D’un point de vue technique, les actions de la cible et de l’acheteur se négocient sur des bourses différentes, dans des fuseaux horaires différents, ce qui n’aide pas à adopter des positions équivalentes. Sur un plan plus fondamental, un actionnaire de la cible n’acceptera peut-être pas de détenir le capital d’une entreprise étrangère libellé dans une autre devise. Qui plus est, seul un petit nombre de spécialistes de l’arbitrage de fusion disposent des ressources nécessaires pour mener à bien l’évaluation de ces transactions (ce qui implique des voyages réguliers à l’étranger).
« Ces opérations sont mal valorisées d’un point de vue technique, parce que les actions ne se négocient pas au même moment, explique Drew Figdor. Le prix de la cible aux États-Unis baisse de quelques pour cent chaque jour car il est impossible de mettre en place une couverture. Il faut également tenir compte de la perspective des actionnaires. Si des fonds de placement européens, par exemple, n’ont pas envie ou ne sont pas en mesure de détenir des actions américaines, ils seront des vendeurs consentants. Enfin, il y a la question des recherches conduites autour de l’opération. Si vous devez prendre un petit-déjeuner à Londres ou en Allemagne pour rencontrer un dirigeant d’entreprise, vous savez que peu seront prêts à le faire. Cela réduit la concurrence et renforce l’opportunité du spread. »
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Selon J. B. Barthon, Stratégiste et M. Jamai, Analyste de fonds de Lyxor M : " L’arbitrage de fusion pourrait bénéficier d’opportunités inédites en 2018
grâce à l’évolution positive de la fiscalité et à une dynamique sectorielle robuste."
Les conditions sont favorables : la valeur des actifs américains est élevée, la digitalisation prend son envol, les coûts de financement sont toujours modestes et la confiance des dirigeants est au beau fixe. Après le vote de la réforme fiscale, le marché a réévalué les entreprises soumises à des taux d’imposition élevés et enregistrant d’importants bénéfices d’exploitation. Néanmoins, les implications en termes d’opérations sur titres commencent tout juste à apparaître. Les entreprises doivent maintenant décider comment utiliser leurs économies d’impôt et les liquidités rapatriées depuis l’étranger.
Parmi les options qui s’offrent à elles, croissance organique ou distribution aux actionnaires, les fusions-acquisitions vont figurer en bonne place.
La consolidation va également devenir un thème prédominant : Des secteurs comme les médias et télécommunications, la santé ou l’industrie, tous en proie à des transformations structurelles, sont appelés à se consolider davantage. Les créateurs de contenu, par exemple, vont gagner en importance et en influence à mesure que les nouvelles plateformes de distribution se multiplient. Les acteurs de la radiodiffusion pourraient également faire parler d’eux dans le contexte de l’assouplissement de la réglementation de la propriété des chaînes de télévision.
Les entreprises confrontées à des ruptures technologiques ou à une croissance trop faible de leurs revenus représentent également des cibles d’acquisition. Comme toujours, les précurseurs ont tendance à créer des émules. Avec les pressions politiques, le risque vis-à-vis des règles de concurrence et la présence d’opérations transfrontalières sensibles, de valorisations élevées et d’acquisitions plus hostiles, 2018 ne manquera certainement pas d’opérations complexes offrant un vrai terrain de jeu aux spécialistes de fusions.
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Risque et réglementation
Les risques et les échecs peuvent avoir des aspects positifs, et les opérations comportent toujours des risques du point de vue des règles de concurrence. C’est ce risque, et plus particulièrement sa perception, qui crée des opportunités. Par exemple, les stratégies d’arbitrage peuvent profiter du spread d’une opération antitrust complexe qui s’inverse suite au blocage par un organe réglementaire comme le département de la justice des États-Unis (DoJ). Drew Figdor cite l’exemple de la fusion prévue entre l’entreprise américaine de semi-conducteurs Applied Materials et son concurrent japonais Tokyo Electron en 2015. À l’époque, le DoJ avait fait échouer l’opération en raison d’inquiétudes en matière de respect de la concurrence. Drew Figdor et TIG s’étaient positionnés à l’achat sur la transaction pendant 6 mois, mais à l’issue de recherches plus approfondies, l’équipe a anticipé ces problèmes et adopté une position vendeuse, ce qui s’est révélé très bénéfique quand le rachat a été annulé.
En ce qui concerne la hausse probable des taux à prévoir aux États-Unis et dans le reste du monde, il est important de souligner que des taux qui progressent lentement sont généralement favorables aux spreads des fusions, et par conséquent, augmentent le rendement des stratégies d’arbitrage. Si la hausse des taux provoque une légère correction des actions comme en février 2018, la situation peut aussi tourner à l’avantage des stratégies d’arbitrage de fusion car elle crée de la volatilité, qui peut contribuer à améliorer les spreads et pousser les dirigeants à émettre des offres plus agressives et opportunistes. Cependant, une hausse plus brutale des taux et une correction des actions de plus de 20% auraient des effets négatifs pour l’arbitrage de fusion. « Les corrections supérieures à 20% nous sont défavorables », constate Drew Figdor. « À ce niveau, la confiance des dirigeants commence à se dégrader. Donc les corrections sont très utiles, mais pas les marchés baissiers ».
Des perspectives prometteuses
Sauf marché baissier, Drew Figdor prévoit une accélération des fusions-acquisitions en 2018 après des niveaux déjà soutenus l’an passé. Le gérant estime que les stratégies basées sur des recherches approfondies sont bien positionnées pour réussir.
Dans le domaine des opérations simples et amicales en revanche, Drew Figdor pense qu’il sera plus difficile d’obtenir des rendements intéressants, car le volume élevé des capitaux investis compresse les spreads jusqu’à des niveaux qui ne justifient pas les risques. Et de conclure : « Certains pans de l’activité se sont standardisés, mais d’autres ne peuvent pas l’être »