Commentaire de David Donora, Responsable matières premières de Columbia Threadneedle Investments
Il a fallu du temps, mais les investisseurs se font à l’idée que les rendements obligataires vont progresser dans l’ensemble du monde, ce qui suscite de nombreux commentaires sur la façon dont les actions et les marchés de taux pourraient réagir à la réévaluation des obligations. En revanche, peu de choses ont été dites sur l’impact potentiel de la hausse des rendements et des taux sur les prix des matières premières.
Il ne fait aucun doute que les rendements souverains augmentent, en particulier aux Etats-Unis. Les relèvements de taux opérés par la Réserve fédérale depuis 2015 ont contribué à relever lentement le niveau des rendements de la dette publique américaine, et la politique actuelle du gouvernement américain renforce aujourd'hui cette tendance. L’absence de prudence budgétaire devenant évidente à Washington, les investisseurs internationaux réévaluent le risque obligataire américain et les implications pour l’inflation, le dollar et les marchés actions.
Dans l’univers des matières premières, la hausse des rendements obligataires va renchérir le coût de l’emprunt pour les producteurs. Par conséquent, il deviendra moins intéressant d'investir dans de nouveaux projets, ce qui risque d'influer fortement sur la réaction future de l’offre face à la hausse des prix des matières premières. Toutefois, ce casse-tête potentiel pour les producteurs de matières premières peut être une opportunité pour les investisseurs. La hausse des rendements aidera à renforcer des contraintes déjà favorables au niveau de l’offre, ce qui implique que le rebond des prix pourrait être supérieur aux attentes.
Une discipline peu commune
Les stocks se sont déjà nettement contractés pour l’ensemble des matières premières, car les producteurs font preuve d'une discipline inhabituelle à ce stade du cycle. D’après nous, 3 facteurs clés entretiennent les contraintes sur l’offre, en dehors de l’évolution des marchés obligataires.
- Le premier est la Chine, 1er consommateur mondial de ressources naturelles, qui réduit son offre de nombreuses matières premières, plus précisément le charbon, l’acier et l’aluminium, pour des raisons environnementales. L’action concertée de la Chine a déjà pour effet de faire grimper les prix du charbon, du minerai de fer et des métaux de base, avec un impact positif sur le secteur des matériaux.
- Fin 2016, l’OPEP et la Russie se sont mises d’accord pour réduire leur production de pétrole de 1,8 million de barils par jour (bpj). Là encore, c’est une première : en 40 ans, l’OPEP n’avait jamais réussi à faire accepter des quotas de production à la Russie.
- Mais les temps ont changé, comme l’illustre la situation depuis un an déjà. L’OPEP et la Russie ont commencé à réduire leur production fin 2016, avec des quotas maintenus pendant toute l’année 2017, et semblent bien engagés pour aider à préserver l'équilibre du marché en 2018 également. Les deux parties prenantes ont fait preuve d'une coordination notable.
« Un casse-tête potentiel pour les producteurs de matières premières peut être une opportunité pour les investisseurs. La hausse des rendements aidera à renforcer des contraintes déjà favorables au niveau de l’offre, ce qui implique que le rebond des prix pourrait être supérieur aux attentes. »
Un œil sur la météo
Nous entretenons un dialogue régulier avec de nombreux producteurs de métaux de base, de métaux précieux, de matières premières diverses et d'énergie. Il ressort de ces conversations que les producteurs continuent de donner la priorité à la réparation des bilans et à la création de valeur pour l'actionnaire, plutôt que chercher uniquement à augmenter leur production.
Les stocks de matières premières agricoles se contractent également, ce qui peut jouer un rôle crucial en cas d’événement météorologique préjudiciable aux récoltes. Cette année, les prix des céréales et des oléagineux ont déjà nettement renchéri, sous l’effet de deux événements relativement localisés : le premier a touché les récoltes de blé des plaines du Sud-Ouest des Etats-Unis, le second a pesé sur la production de soja en Argentine. Les prix des matières premières agricoles pourraient donc s’inscrire en forte hausse en cas de nouvel incident météo dans l’hémisphère Nord.
Des perspectives positives
Jamais les entreprises du secteur des matières premières n’ont fait preuve d’autant de discipline dans la limitation de leur production dans un contexte de stabilisation, voire parfois de hausse des prix. Cette rigueur apparaît dans un contexte où la croissance synchrone des marchés développés et émergents soutient la demande pour les principales matières premières. Nous observons plutôt une accélération de la demande sur les marchés émergents, où l’affaiblissement du dollar favorise la hausse de l’effet de levier, la croissance et l’investissement des entreprises.
Comme nous l’avions indiqué à la fin de l’année dernière, nous sommes convaincus que la dynamique d’offre et de demande est particulièrement favorable aux métaux de base. A moyen terme, les métaux précieux devraient bénéficier pour leur part de la hausse de l’inflation.
Des zones d’incertitude et de la volatilité potentielle demeurent. En soi, les taxes à l’importation d’acier et d’aluminium annoncées par le gouvernement américain ne sont pas significatives pour les prix des matières premières à moyen terme. En revanche, elles entraînent des mesures de rétorsion et une aggravation de la situation, qui se rapproche de la guerre commerciale.
Dans l’intervalle, les marchés des matières premières affichent une certaine stabilisation, parfois un raffermissement. Jamais nous n’avions vu la Chine faire preuve de discipline au niveau de l’offre, pas plus que l’OPEP n’avait réussi à coopérer avec la Russie pour établir des quotas de production. En tenant compte de ces facteurs favorables et de la transition à l’œuvre en ce moment sur les marchés obligataires, nous sommes toujours confiants dans le fait que les prix des matières premières peuvent augmenter sensiblement en 2018.
« Jamais les entreprises du secteur des matières premières n’ont fait preuve d’autant de discipline dans la limitation de leur production dans un contexte de hausse des prix. Cette rigueur apparaît dans un contexte où la croissance des marchés développés et émergents planétaires soutient la demande pour les principales matières premières. »