Tribune de Jean-Marc Torrollion, Président de la FNAIM
Le gouvernement entend conduire l’immobilier à recourir plus largement au numérique. Ainsi, le projet de loi ELAN comporte plusieurs dispositions de nature à faire évoluer les relations locatives dans ce sens. L’article 61 du texte a vocation à obtenir une habilitation pour renforcer, par ordonnance, « la sécurité juridique des contrats de location établis par des outils numériques et améliorer le recueil des données relatives aux contrats de location du parc privé.
On notera d’abord que l’exécutif n’a peur d’aucun paradoxe : alors que la loi du 6 juillet 1989 a inscrit les relations locatives dans le champ du dialogue paritaire, il s’apprête à se passer du débat parlementaire pour légiférer. Inacceptable ! Les associations de locataires comme celles qui représentent les bailleurs privés et institutionnels, au côté des gestionnaires, exprimeront leur surprise. On note en second lieu à quel point la volonté du gouvernement est obscure...
Il convient de comprendre combien l’intention est singulière : le gouvernement observe que les agents immobiliers et les administrateurs de biens utilisent des logiciels différents pour rédiger les baux digitaux et déplore que ne s’impose pas un format unique et impératif. Il faut ajouter que le législateur avec la loi ALUR, a renoncé à édicter un bail type et a préféré laisser de la souplesse aux parties prenantes, avec une série de clauses impératives pour éviter celles qui seraient inappropriées et déséquilibrées. La loi du 24 mars 2014 s’est pourtant voulue très normative ! Mais le Ministère de la Cohésion des Territoires veut aller plus loin et figer un contrat numérique imposé et un dispositif d’agrément des outils informatiques.
N’assistons-nous pas à une Ubérisation rampante, qui avance masquée et ne dit pas son nom ? D’ailleurs seuls les professionnels sont cités, alors que les particuliers se servent désormais de logiciels de rédaction de contrat. Tout se passe comme si les professionnels étaient regardés avec suspicion, sans que le gouvernement produise, le moindre chiffre de contentieux qui serait attaché aux contrats digitaux. Tout se passe aussi comme si la relation locative était assimilée à un lien désincarné et normé : le contrat de bail n’est pas un contrat d’adhésion, mais bel et bien un contrat négocié, qui doit respecter outre la loi, des spécificités attachées aux parties, bailleur et preneur.
La signature électronique est également évoquée comme un obstacle, sans préciser son grief : à ce jour, des professionnels ont noué des partenariats avec des sociétés spécialisées dans la dématérialisation des signatures, avec un tiers de confiance désigné et un degré de sécurité maximum... Pourquoi légiférer ?
On lit aussi que cette numérisation, qu’on devine centralisée et sous contrôle de l’administration, sera le moyen de faire remonter vers l’État des informations statistiques sur les baux d’habitation. Là encore, on ignore ce que le gouvernement a à l’esprit. La nécessité de disposer d’observatoires des loyers partout sur le territoire, spécialement en zones tendues ; ne fait pas de doute et le projet de loi va en favoriser la création en découplant l’enjeu de la connaissance de celui de l’encadrement. Soit. Mais pourquoi fabriquer une telle machine, qui plus est onéreuse, évaluée à 2 millions d’euros pour la mise en place et 400 000€ pour le fonctionnement annuel ?
Ce big brother du marché locatif est malvenu, inutile et anormalement coûteux. Les entrepreneurs, les investisseurs, les contribuables n’en peuvent plus de cet État qui pose sa mainmise sur tout et leur en fait en outre payer le prix.
Que le gouvernement laisse les acteurs travailler dans le respect des lois et règlements ! Pourquoi vient-il standardiser les services, qui s’épanouissent mieux dans la valeur ajoutée choisie ?
Il fait courir le risque d’un nivellement par le bas, alors que les agents immobiliers et les administrateurs de biens n’ont jamais autant développé de services et de produits au profit des locataires comme des propriétaires, bien au-delà des exigences règlementaires. La digitalisation des constats d’état des lieux, la normalisation du calcul des réparations locatives, la signature à distance des baux sont quelques exemples de progrès récents. Les start-up de l’univers immobilier, y compris pour la location et la gestion, sont nombreuses et créatives. La coercition et le tout-État mèneront à un appauvrissement des services, et à un abattement des entrepreneurs du secteur du logement. Il est singulier que cela ne soit pas compris par ce gouvernement.
Partant d’un goût salutaire pour diffuser le digital et profiter de ses apports exceptionnels, le gouvernement s’emballe et s’égare. L’Assemblée Nationale et le Sénat, qui vont débattre des principes de l’habilitation qui leur est demandée, objecteront sans doute... et pourraient même préférer ne pas laisser de blanc-seing à l’exécutif pour légiférer de façon normale, en examinant le détail des réformes imaginées, histoire que la loi ne se paie pas de mots
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