Mêmes causes, mêmes conséquences… L’hypothèse de nouvelles secousses sur les marchés émergents pose question, dans le sillage de la remontée récente des taux longs américains. « Taper tantrum » de mai 2013, bis repetita ?
Par Claudia Bernasconi, Economiste spécialiste des marchés émergents chez Swiss Life AM
En début d’année, les taux d’intérêt américains à dix ans se sont rapprochés de la barre des 3% pour la première fois depuis 2013, faisant ressurgir le souvenir du fameux « taper tantrum » du printemps 2013. A l’époque, Ben Bernanke, alors Gouverneur de la Réserve fédérale américaine, avait annoncé la réduction progressive du programme de rachats d’actifs de la Fed. Cette communication avait suscité une tension des taux longs américains et, en conséquence, ouvert une séquence de troubles sur les marchés émergents, sensibles aux craintes d’un durcissement des conditions de financement. Les marchés émergents avaient alors éprouvé des retraits massifs de capitaux. La remontée actuelle des taux d’intérêt outre-Atlantique, laquelle est soutenue par les craintes d’une accélération de l’inflation plus vive qu’attendu, peut-elle reproduire les mêmes effets sur les marchés émergents, cinq ans après ?
Des « cinq fragiles » aux « deux fragiles »
Jusqu’ici, la hausse des taux longs est plutôt bien supportée par les marchés émergents. A la différence de 2013, les économies émergentes se caractérisent par une plus grande robustesse. Certes, le resserrement de la politique monétaire américaine, et la remontée des taux d’intérêt qui en résulte, ont durci les conditions de financement des économies émergentes. Mais ces pays ont amélioré leurs fondamentaux, si bien que leur risque d’être emportés est faible.
Preuve d’une meilleure santé, la situation des « cinq fragiles » de 2013 -dénomination d’alors pour désigner la vulnérabilité de l’Inde, de l’Indonésie, de la Turquie, de l’Afrique du Sud et du Brésil - a évolué, et seules la Turquie et, dans une certaine mesure, l’Afrique du Sud, appartiennent encore à ce groupe aujourd’hui. Outre un important déficit courant, la Turquie affiche un taux d’inflation à deux chiffres, tandis que l’Afrique du Sud, malgré des améliorations indéniables sur certains fronts, reste exposée à une hausse des coûts de financement. En ce qui concerne les économies indienne, indonésienne et brésilienne, elles reposent désormais sur des fondamentaux plus stables.
Une meilleure résilience économique qu’il y a cinq ans
Au global, l’inflation moyenne des vingt principaux pays émergents n’atteint plus aujourd’hui que 3% environ, quand elle s’élevait encore à 4,5% début 2013. De plus, neuf de ces vingt pays affichaient un déficit courant supérieur ou égal à 3% du PIB. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas que de la Turquie et de la Colombie. Les finances publiques restent néanmoins le point faible des marchés émergents. La situation demeure préoccupante au Brésil, en Afrique du Sud, en Inde et en Colombie, qui a subi de plein fouet la baisse des cours pétroliers en 2014 et en porte encore les stigmates.
Enfin, s’ils se sont tendus ces derniers mois, les taux d’intérêt américains à 10 ans ne devraient pas dépasser de beaucoup les 3% en 2018, selon un mouvement graduel. Et la faiblesse actuelle du dollar américain constitue un atout supplémentaire pour les pays émergents endettés en dollars.
Reste à imaginer quels aléas pourraient compromettre ce scénario de taux d’intérêt? Probablement une politique budgétaire trop expansionniste aux Etats-Unis, qui causerait une surchauffe de l’économie américaine, avec les effets de ralentissement que l’on connait sur la croissance mondiale et celle des émergents. L’autre enjeu est celui de la diminution de la liquidité sur les marchés, potentiellement plus perturbatrice que supposé, au moment où la Fed et la BCE réduisent petit à petit leurs achats d’obligations.
En somme, le risque d’un nouveau « taper tantrum » pour les marchés émergents est contenu, « sauf si »…