L’analyse de Rare Infrastructure, filiale de Legg Mason
Durant la campagne présidentielle américaine de 2016, Donald Trump répétait à l’envi qu’il était nécessaire pour les États-Unis de renégocier les traités commerciaux comme l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et plusieurs accords bilatéraux, dans le but de favoriser l’emploi et les entreprises domestiques.
Fidèle à sa vision protectionniste du commerce international, Donald Trump a annoncé le 1er mars dernier son intention d’imposer des droits de douane de 25% sur les importations d’acier et de 10% sur les importations d’aluminium. A la suite de cette annonce, les actions américaines et internationales se sont nettement repliées du fait des inquiétudes relatives au commerce mondial, comme en témoigne la chute de 1,3% de l’indice S&P 500.
Plusieurs négociations commerciales ont ensuite eu lieu avant que le gouvernement n’annonce, le 22 mars, qu’il allait suspendre jusqu’au 1er mai 2018 les barrières douanières sur les importations d’acier pour les pays suivants : le Canada, le Mexique, l’Union européenne, l’Australie, la Corée du Sud, le Brésil et l’Argentine.
Mais le même jour, en vertu de la section 301 de l’US Trade Act de 1987, Donald Trump a également lancé plusieurs mesures liées à l’enquête menée par le Bureau du représentant américain au commerce sur la politique commerciale de la Chine en matière de transfert technologique, de propriété intellectuelle et d’innovation. Ces mesures comprennent :
- des restrictions sur les investissements chinois aux États-Unis,
- l’application de droits de douane plus élevés sur les importations de produits chinois.
Cette annonce a soulevé des inquiétudes dans le monde entier concernant une potentielle guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, et provoqué une chute brutale des actions internationales : l’indice MSCI All Country World s’est replié de 2%.
Tandis que les négociations se poursuivent, de nombreux investisseurs restent indécis quant aux conséquences des tarifs douaniers proposés par Donald Trump et de la politique commerciale de son gouvernement. Ils considèrent en effet qu'une version édulcorée de la proposition initiale pourrait finalement être mise en œuvre. En tant que spécialistes du secteur mondial des infrastructures cotées, nous allons suivre attentivement l’évolution de cette question macroéconomique.
L’impact sur les infrastructures
En théorie, le fait d’instaurer des droits de douane modifie la dynamique commerciale entre les pays, ce qui a pour effet d’altérer les flux commerciaux. Au sein du pays importateur, les consommateurs devront trouver des alternatives locales ou payer plus cher des produits importés. Du point de vue du pays exportateur, et en supposant que le volume de biens produits reste identique, ces biens peuvent être redirigés vers d’autres pays. Cette réorientation des flux commerciaux a un impact positif net sur les infrastructures.
À l’échelle mondiale, les infrastructures financées par les usagers, à savoir les opérateurs portuaires, routiers et ferroviaires, permettent la circulation des biens au niveau domestique et mondial. Étant donné que les droits de douane ont une incidence sur les flux commerciaux, ces entreprises devraient être les plus exposées à l’impact des droits d’entrée imposés par les États-Unis sur les importations chinoises.
Dans l’hypothèse où la proposition de Donald Trump de taxer les importations chinoises serait adoptée, nous considérons qu’elle ne modifiera que la destination des flux commerciaux en provenance de Chine, et non leur volume.
En d’autres termes, les produits destinés initialement au marché américain seront vraisemblablement expédiés vers d’autres pays. Cela pourrait signifier un volume d’expédition inchangé pour les opérateurs portuaires. Cela pourrait même stimuler le besoin d’augmenter ce volume, ce qui aurait une incidence positive sur les infrastructures nécessaires pour réorienter ces flux commerciaux. Par exemple, la fréquentation de la voie commerciale entre la Chine et les États-Unis pourrait être compensée par une augmentation des exportations chinoises vers l’Europe. Dans le prolongement de ces changements, les pays qui vont bénéficier des afflux supplémentaires de biens importés vont devoir recalibrer leurs infrastructures pour leur permettre de réceptionner et faire circuler ces biens. Les opérateurs de fret ferroviaire ou de stockage pourraient être amenés à augmenter leur capacité pour pouvoir faire face.
Du point de vue des États-Unis, la baisse des volumes d’importations en provenance de Chine aurait une incidence sur les volumes de fret des opérateurs ferroviaires longue distance. À l’inverse, les opérateurs de transports intermodaux locaux pourraient bénéficier d’une augmentation de leur activité, les consommateurs américains se voyant contraints de se tourner vers des produits de substitution. Cela entraînerait un nécessaire recalibrage des infrastructures américaines. La proposition de Donald Trump en matière d’infrastructures, si elle est adoptée par le Congrès, permettra de débloquer des fonds en vue de ce recalibrage.
Autres éléments à prendre en compte
Concernant la politique commerciale de Donald Trump et sa posture protectionniste, RARE estime nécessaire de tenir compte de certains éléments importants :
1/ La politique menée par le gouvernement de Donald Trump, depuis le début de son mandat, a accru le risque politique aux États-Unis. Certains investisseurs estiment que les récentes fluctuations des cours indiquent que les marchés actions intègrent ce risque. Les incertitudes concernent moins les échanges commerciaux et davantage la politique générale (notamment au vu de la forte rotation au sein du gouvernement).
2/ Les actifs d’infrastructures sont généralement appréciés par les investisseurs pour l’étendue et l’utilité de leur durée de vie, ainsi que pour la stabilité de leurs flux de trésorerie. Les droits de douane, en revanche, s’inscrivent souvent dans une logique à court terme et n’ont ainsi qu’un impact limité. Par exemple, début 2002, le gouvernement de George Bush avait décidé de taxer les importations d’acier jusqu’à 30%. Déjà à l’époque, cette mesure avait été extrêmement controversée, de nombreux experts craignant une guerre commerciale mondialisée. En novembre 2003, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait statué contre ces barrières douanières sur l’acier, considérant qu’elles n’intervenaient pas dans un contexte de flambée des importations et qu’elles constituaient une violation des engagements pris par les États-Unis en la matière. Craignant des sanctions de 2 Mds$ et des mesures de rétorsion de la part de l’UE, les États-Unis avaient retiré leur mesure en décembre 2003. Ces droits n’avaient finalement été appliqués que pendant 18 mois.
3/ L’adoption d’une telle mesure pourrait ne pas totalement neutraliser l’avantage concurrentiel de certains pays s’agissant de la production de certains produits. Par exemple, l’Australie possède un avantage concurrentiel par rapport aux États-Unis en termes de production et d’exportation d’acier (en particulier sur le coût de transport entre le lieu d’origine - la côte Est de l’Australie - jusqu’au marché final - la côte Ouest des États-Unis). En l’état, il est très peu probable que des droits de douane sur l’acier australien ne parviennent à éliminer totalement cet avantage et à rediriger les exportations vers d’autres destinations, ce qui est l’objectif recherché.