Par Guy Wagner, Managing director chez Banque de Luxembourg Investments
Il semble dès lors intéressant de revenir plus en détails sur les 3 sujets qui, outre les déclarations/décisions du président américain, préoccupent à l’heure actuelle les marchés - croissance, inflation et politique monétaire de la Réserve fédérale - ainsi que sur les répercussions que certains des scénarios envisageables pourraient avoir sur les différentes classes d’actifs.
Tout d’abord, il y a lieu de se demander si la dynamique en matière de croissance et d’inflation a vraiment changé ? Après tout, il y a quelques mois, les investisseurs s’inquiétaient encore de la faiblesse de la conjoncture mondiale et de l’incapacité des autorités monétaires à atteindre leur objectif en matière d’inflation. Aujourd’hui, ils semblent craindre une ‘surstimulation’ de l’économie américaine et une remontée de l’inflation.
Il est indéniable que l’économie américaine s’est améliorée depuis quelques mois. Les arguments en faveur d’une accélération supplémentaire reposent sur une reprise de l’investissement privé à la suite de la réforme fiscale (qui diminue le taux d’imposition des entreprises et rend en outre l’investissement plus attrayant à travers un traitement plus favorable de l’amortissement) et une accélération des dépenses publiques. Toutefois, s’il se peut que la réforme fiscale conduise à une telle augmentation de l’investissement privé, force est de constater que le principal moteur de l’économie américaine est la consommation privée. Or, la hausse des dépenses de consommation sur les 2 dernières années a été financée en partie par le recours à l’épargne, de sorte que le taux d’épargne est tombé en décembre à 2,4%, son niveau le plus bas depuis septembre 2005. Par la passé, un taux d’épargne très bas a présagé une croissance plus faible. Qui plus est, la remontée des taux d’intérêt (à un moment où l’endettement est élevé) et la hausse du cours du pétrole devraient également peser sur la consommation privée. La faiblesse des ventes de détail sur les derniers mois n’est donc pas si surprenante.
L'impact du resserrement monétaire actuellement en cours de la Réserve fédérale devrait progressivement se faire ressentir. L’économiste Irvin Fisher a offert la formule arithmétique qui stipule que la masse monétaire (M) multipliée par sa vitesse de circulation (V) équivaut aux prix (P) multipliés par les transactions (T) et donc à la croissance nominale (MV = PT). La croissance de la masse monétaire est en train de ralentir et la vitesse de circulation n’a fait que baisser depuis la crise financière. Cette situation ne pointe a priori pas vers une accélération durable de la croissance nominale, voire de l’inflation. Concernant cette dernière, il est intéressant de noter que depuis son plus-bas de juillet 2016, le taux à 10 ans aux Etats-Unis a plus que doublé (passant de 1,36 à 2,84%), alors que l’inflation, telle que mesurée par les prix à la consommation hors énergie et alimentation ou par le déflateur des dépenses de consommation (indicateur privilégié par la Réserve fédérale) a reculé. Il en résulte une augmentation des taux réels qui, dans un environnement de surendettement généralisé, risque de peser sur la croissance.
En conclusion, l’idée que quelque 10 ans après la crise, les bases pour une accélération durable de la conjoncture mondiale soient enfin posées, nous semble irréaliste. Au contraire, les politiques monétaires des banques centrales ont empêché un assainissement de la situation et les freins structurels à la croissance - démographie, recul de la productivité, endettement historiquement élevé, déséquilibre entre épargne et investissement, inégalités sociales - restent présents. Qui plus est, les mesures mises en place par les autorités américaines en termes d’immigration ou de commerce risquent de renforcer davantage ces freins.
Enfin, la reprise économique des dernières années repose pour beaucoup sur la hausse des cours des actifs financiers et immobiliers ainsi que sur le rebond des cours des matières premières, rebond que le ralentissement de l’économie chinoise pourrait mettre en péril.
Le deuxième sujet important pour les investisseurs a trait à l’inflation
Les récentes craintes inflationnistes avaient notamment été nourries par les statistiques sur l’emploi aux Etats-Unis en janvier, statistiques qui ont montré une légère accélération de la croissance du salaire horaire moyen à 2,9%. Les chiffres pour février, publiés début mars, ont à cet égard à nouveau rassuré le marché avec une hausse du salaire horaire moyen de 2,6% (il est à cet égard affligeant de constater qu’aussi bien le chiffre de janvier que celui de février - et, partant, les décisions d’investissement que ces chiffres ont provoqué - s’expliquaient par certains ajustements statistiques douteux). En matière d’inflation, deux questions se posent :
- la hausse des salaires va-t-elle s’accélérer ?
- les entreprises pourront-elles faire passer une éventuelle hausse des salaires à leurs clients à travers une hausse de leur prix de vente ?
La première : il est vrai que le taux de chômage aux Etats-Unis a beaucoup reculé au cours des dernières années et pourrait prochainement tomber sous la barre des 4%. Par le passé, un taux aussi faible aurait effectivement provoqué des tensions sur les salaires. Depuis la crise financière, la relation entre taux de chômage et hausse des salaires est cependant devenue nettement moins claire. Une raison pourrait être le fait que le recul du taux de chômage s’explique pour beaucoup par la baisse du taux de participation au marché de l’emploi, sans que l’on sache à l’heure actuelle si cette baisse du taux de participation est structurelle (correspondant par exemple à des choix de vie) ou cyclique. Dans ce dernier cas, cette main-d’œuvre potentielle actuellement non reprise dans les statistiques pourrait revenir sur le marché de l’emploi et la situation sur celui-ci serait donc nettement moins tendue, même si la politique anti-immigration du gouvernement Trump pourrait réduire l’offre de main-d’œuvre à plus long terme. Il convient également de noter que le mouvement de fusions et acquisitions a nettement réduit le nombre d’employeurs dans beaucoup d’endroits, entraînant une baisse du pouvoir de négociation des travailleurs.
La deuxième : il convient de se rappeler que de nombreuses entreprises continuent à évoluer dans un environnement très compétitif et que des phénomènes tels que la digitalisation ou le commerce électronique entraînent souvent une convergence des prix vers le bas.
Une légère accélération de l’inflation ne signifie pas problème inflationniste
En conclusion, en matière d’inflation il y a lieu de faire la différence entre tensions sur les salaires provoquant des craintes inflationnistes et remontée durable de l’inflation.
A noter par ailleurs que légère accélération de l’inflation ne signifie pas problème inflationniste. Les tendances désinflationnistes liées à la révolution technologique restent bien présentes. Le véritable risque en matière d’inflation est de voir un jour les excès de liquidités créées par les banques centrales sortir de la sphère financière et entrer dans la sphère réelle.
Le troisième sujet à discussion concerne enfin le comportement de la banque centrale américaine au vu des incertitudes entourant la croissance et l’inflation : laRéserve fédérale va-t-elle accélérer le resserrementde sa politique monétaire, quitteà provoquer des turbulences éventuellessur les marchés financiers ? Ou alors préférera-t-elle jouer la carte de la prudencequitte à être perçue comme étant ‘behindthe curve’ ? La réponse à ces questionsest d’autant plus incertaine que JanetYellen, perçue comme ne voulant surtoutpas prendre de risques avec les marchésfinanciers, a été remplacée à la tête de laBanque par Jerome Powell, dont le marchéne connaît pas encore les convictions. Il sepourrait donc que la banque poursuive unepolitique exceptionnellement accommodantepour continuer à soutenir les coursdes actifs financiers ou qu’elle resserre demanière préemptive sa politique monétairepour éviter d’une résurgence d’une haussedes salaires. La question sera aussi desavoir si la Fed va réagir à d’éventuellestensions sur les salaires ou à l’évolutionde l’inflation sous-jacente. Enfin, il se peutque la Réserve fédérale décide d’accélérerson resserrement monétaire même aucas où l’inflation ne remonte pas pour secréer plus de réserves en cas de nouveauralentissement économique. L’expériencedes dernières années a néanmoins montréque dans un tel cas, les banques centralespourraient utiliser d’autres moyens pourrestimuler la croissance.
La réunion du 22 mars a montré que les membres de la Fed sont partagés quant au resserrement monétaire pour 2018 : 8 d'entre eux anticipant 3 hausses de taux ou moins, et 7 en prévoyant 4 ou plus. Jerome Powell a toutefois indiqué que leurs décisions dépendraient de l'évolution du contexte économique. Ceci laisse à penser que la banque centrale ne va pas précipiter les choses.
L’impact des scénarios envisagés sur les principales classes d’actifs
En fin de compte, les fondamentaux en matière de croissance et d’inflation ne nous semblent pas avoir dramatiquement changé. Il n’y a dès lors a priori pas de raisons de penser que les banques centrales vont adopter des politiques monétaires très différentes de ce qui est actuellement escompté. Ceci ne signifie toutefois pas un retour vers un environnement identique à celui de l’année dernière, marqué par une hausse des cours boursiers sans grande volatilité. La rhétorique protectionniste et isolationniste de Donald Trump pourrait ainsi encore augmenter en amont des élections de mi-mandat en novembre et renforcer ainsi l’aversion au risque des investisseurs. Les décisions en termes d’allocation entre classes d’actifs et à l’intérieur de ces classes d’actifs ne sont cependant pas nécessairement les mêmes dans un tel scénario que dans un scénario de remontée de l’inflation. C’est ainsi que lors de la correction des marchés boursiers entre le 26 janvier et le 8 février provoquée par les craintes inflationnistes, les cours obligataires reculaient également. Tel n’est pas le cas lors de la correction actuelle qui est plutôt basée sur des craintes protectionnistes. Pour les marchés boursiers, ceci signifie à nouveau que les répercussions en matière de comportement des différents secteurs sont différentes.
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